Aux côtés de plus de 1500 acteurs du monde de la culture, Le Manège de Reims et La Comédie déposent un recours en référé-liberté auprès du Conseil d’Etat pour la réouverture des salles de spectacles. Les signataires demandent à être traités de façon équitable.
« Notre soirée du 15 décembre devait s’appeller "Opening", on a l’air fin. » ironise Bruno Lobé, le directeur du Manège à Reims. Les premiers spectacles auraient dû se jouer le 15 décembre. Un premier jour de déconfinement aux allures de douches froides pour les acteurs du monde culturel. Les musées, les salles de concerts, les théâtres vont finalement devoir attendre le 7 janvier. Non pas pour rouvrir, mais pour savoir s’ils en auront le droit, selon une « clause de revoyure » annoncée par le Premier ministre Jean Castex.
Pourtant, les directeurs de théâtres, de cinéma et de salles spectacles n’ont de cesse de le répéter : ils sont prêts. Les jauges ont été revues à la baisse, le port du masque est obligatoire et tout est fait pour que le brassage des spectateurs n’ait pas lieu. Le directeur du Manège à Reims ne cache pas son incompréhension : « Dans les aéroports, on fait la queue collés-serrés sans aucun problème quand on veut avoir un visa. Par contre chez nous ce n’est pas possible. On a pourtant travaillé sur des jauges réduites et on a montré à quel point on savait gérer la situation en terme de distanciation sociale, de gel et de masques. Dans une salle de spectacle, tout le monde regarde dans le même sens. C’est vraiment l’activité la plus sûre qui existe pour le coup », nous rappelle-t-il.
Un recours en justice
Un non-sens pour lequel il a décidé de se joindre à la démarche collective de recours en référé-liberté initié à l’unanimité par les syndicats du monde de la culture. Plus de 1.500 salles de spectacles et compagnies se sont unies pour déposer devant le Conseil d’Etat leur requête : la réouverture des lieux de cultures.
Des acteurs du monde culturel, mais politiques aussi. Plusieurs maires de grandes villes en France ont pris position pour la réouverture des lieux culturels, dont le maire de Reims, Arnaud Robinet.
Un recours à la justice pour mettre le gouvernement face à ses contradictions selon Chloé Dabert, directrice de La Comédie à Reims. « Pourquoi nous seuls, la culture, n’a-t-on pas le droit de rouvrir ? s’étonne-t-elle. Nous avons pourtant des protocoles hyper carrés. Je pense qu’on ne se rend pas compte à quel point la culture permet aux gens de rêver, de se libérer, de s’évader. Je pense qu’à partir du moment où on dépose ce référé au Conseil d’Etat, il va y avoir une réponse. » espère Chloé Dabert.
Est-ce que vous connaissez des secteurs où il y a des centaines de milliers de salariés qui sont à ce point maltraités ?
Après plusieurs manifestations en France ce mardi 15 décembre, la culture monte donc au créneau sur le plan judiciaire et attend du gouvernement un éclaircissement sur ce qu’elle considère être une injustice pour certains, une absurdité pour d’autres. « Il y a une méconnaissance totale de la part des instances qui décident de ce qu’aller voir un spectacle, aller au restaurant ou au cinéma apporte à l’être humain. Et ce mépris m’inquiète vraiment. Est-ce que vous connaissez des secteurs où il y a des centaines de milliers de salariés qui sont à ce point maltraités ? Les techniciens, les artistes, les gens des théâtre sont maltraités. » s’énerve Bruno Lobé.
Même son de cloche du côté de la Comédie : « Peut-être qu’on donne moins d’importance à la pensée et à l’esprit. La culture c’est la nourriture de l’esprit. On peut acheter plein de choses mais on ne peut pas se cultiver ou seulement derrière un écran. Nous, on fait du spectacle vivant. » déplore la directrice du Centre Dramatique National.
« De la casse » à partir de janvier
Le Manège comme la Comédie de Reims, sont des services publics. Ils fonctionnent donc en partie sur les subventions accordées par l’Etat. Pour le moment, les deux structures continuent de payer leurs salariés et les artistes qui auraient dû s’y produire. Ce n’est pas l’année 2020 qui les inquiète mais celles qui suivent. « En 2021, avec cette question des jauges réduites ou des yoyos d’annulations, cela va être plus compliqué. Pour le moment, personne n’est en chômage partiel. Mais dès qu’on va perdre des revenus de la billetterie, cela viendra forcément impacter notre budget. » détaille le Manège. « A partir de janvier il va y avoir de la casse, il y en a déjà un peu, mais à partir de janvier ça va être vraiment compliqué. » s’inquiète quant à elle Chloé Dabert.
« Les salles de concert sont mes églises » disait le scientifique et philosophe Hubert Reeves. Pourtant aujourd’hui, seuls les lieux de cultes et de consommation sont ouverts au public à quelques jours des fêtes de fin d’année. Un choix politique qui interroge : « Ce n’est pas qu’une question d’argent, c’est aussi la question de la place que l’on donne à la culture dans le monde dans lequel on vit. A quoi ça sert ? » nous demande Chloé Dabert.