"On aura un problème dans trente ou quarante ans" : ces élus réclament "une dépollution efficace" d'un ancien site d'essais nucléaires

L'ancien site d'essais de détonateurs de bombes nucléaires de Pontfaverger-Moronvilliers sera-t-il dépollué ? Une vingtaine d'élus de la Marne ont signé ce vendredi 13 décembre un courrier destiné au président de la République et au Premier ministre. Ils s'inquiètent notamment pour la nappe phréatique.

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C'est une action de plus pour obtenir des réponses concernant le site du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de Pontfaverger-Moronvilliers, à une vingtaine de kilomètres de Reims dans la Marne. Ce vendredi 13 décembre, une vingtaine d'élus ont signé un courrier adressé au président de la République et au (tout juste nommé) Premier ministre.

Cette démarche fait suite à la diffusion du documentaire "Polygone, un secret d'État", de Cédric Picaud, sur France 3 Grand Est mi-octobre (toujours disponible en replay). "Depuis dix ou quinze ans, j'essayais d'expliquer mais je ramais tout seul dans le désert. Grâce au film, beaucoup d'élus ont été interpellés de la réalité des choses", explique ce vendredi le maire sans étiquette de Pontfaverger-Moronvilliers, Damien Girard, à notre journaliste Émilie Forzy.

Le Polygone d'expérimentations de Moronvilliers (PEM) a été le théâtre pendant des années d'essais de détonateurs pour des bombes nucléaires. Installé en 1958 sur un ancien champ de bataille de la guerre 1914-1918, le site a fermé en 2013. Les élus s'inquiètent de la pollution à l’uranium qui pourrait bientôt atteindre la nappe phréatique.

Une plus grande transparence réclamée

"Le problème est pour les générations futures. On sait aujourd'hui que l'eau de Pontfaverger et des environs n'est pas polluée, il n'y a pas de problèmes sur l'eau qu'on consomme. Mais on est sûr qu'on aura un problème dans trente ou quarante ans", assure Damien Girard. "Je pense aux générations futures. Moi dans quelques décennies, je passerai mon chemin. Mais pour les petits enfants, on ne peut pas laisser passer ça. Si on est un élu responsable, on n'est pas là juste pour travailler sur le court terme."

"J'espère que dans quelques années, on va dépolluer, poursuit l'élu. Ça coûtera beaucoup moins cher à dépolluer aujourd'hui que dans trente ans. Ce sera une catastrophe dans trente ans, parce qu'on est vraiment sur le grand bassin parisien qui va des Vosges à Paris. Comment dépolluer ça ?"

Dans leur courrier, les élus des vallées de la Suippe et de la Vesle demandent la dépollution du site et que le CEA ne soit plus en charge des contrôles, pour davantage de transparence pour la population.

Arnaud Robinet parmi les signataires

Selon Dominique Besson, ancien du médecin du village pendant une quarantaine d'années, les cancers sont plus nombreux dans le secteur. "Sans que j'en aie une preuve statistique, j'ai quand même le sentiment qu'il y a eu plus de cancers dans certaines zones que dans d'autres", indique-t-il. "Les intervenants extérieurs, les maçons, les menuisiers, qui ont passé leurs vies à faire des constructions qui étaient démolies après, ont quand même plus de cancers que les autres."

Pendant plus de cinquante ans, des expérimentations ont été menées sur ce site militaire. Même onze ans après sa fermeture, tout est encore classé secret-défense. Denis Spicy, qui habite Bétheniville, se souvient de l'époque où les essais s'enchaînaient. "On était gamins, c'était notre terrain de jeu. On allait voir les bombes, les champignons [d'explosion]. Ça faisait joli, mais ça tremblait énormément."

Il assure que la population n'a longtemps rien su de la réalité des essais menés au sein du Polygone. "On savait qu'il y avait un centre d'essais. Mais les gens pensaient que c’étaient des obus, des bombes. Ils ne pensaient pas du tout à l'atomique en ce temps-là."

Parmi les signataires de la lettre adressée à Emmanuel Macron et François Bayrou, on retrouve Arnaud Robinet, président Horizons du Grand Reims, pour faire que le courrier pèse un peu plus lourd à l’Élysée.


Le texte complet du courrier :

"Monsieur le Président de la République, 
Monsieur le Premier Ministre, 


Nous faisons suite à la projection publique du film « Polygone » et en avant-première du 18 septembre dernier. Ce film a remis sur le devant de la scène de nombreux éléments d’histoire sur l’activité de détonique et d’essais militaires réalisés par le Centre à l’Energie Atomique de Moronvillers durant plusieurs dizaines d’années.

Ce film a également fait l’objet d’une diffusion télévisée sur France 3 Régions, le 17 octobre dernier. Depuis dans nos communes respectives, nous avons eu de nombreux retours et témoignages d’habitants inquiets de l’avenir pour leurs enfants. Sans que nous, élus du territoire, nous ne puissions apporter de réponses factuelles. 

Le débat public réouvert lors de la projection du 18 septembre dernier a confirmé les nombreuses incertitudes et les flous scientifiques autour de la question centrale : quel est le niveau de pollution résultant de l’exploitation militaire du site ? 

Plusieurs pollutions en profondeur et diffuses au plutonium, uranium et autres produits dangereux sont évoquées, documents et témoignages de travailleurs de l’époque à l’appui. Elles pourraient menacer à termes la santé sanitaire de notre territoire. Trop de questions restent en suspens. La seule chose certaine est que la dépollution ne se fera pas naturellement. Pire, le temps joue en défaveur du territoire en raison des caractéristiques géologiques et géomorphologiques des terrains, une percolation de la pollution au travers de notre « Champagne Crayeuse » est à craindre.

Pour nous élus locaux, maires des villages environnants, le fond du problème est bien là. Non seulement la connaissance exacte de la pollution du site reste absconse, mais l’Etat n’a jamais évoqué en comité de suivi annuel du site l’opportunité réelle d’une dépollution, privilégiant le scénario du stand-by.

Si le suivi hydrogéologique mis en place depuis 2023 grâce au partenariat de la Communauté Urbaine du Grand Reims, est une étape récente qui permet d’avoir un suivi piézométrique désormais régulier et objectivé. Il n’en reste pas moins que le suivi environnemental et sanitaire du site, notamment sur les points singuliers que sont les fosses de rétention des déchets de l’activité militaire reste inconnu. Les conditions de stockage de ces déchets sur le long terme restent des sujets de préoccupations majeurs. Dans la mesure où les témoignages démontrent qu’à l’époque, ils n’ont pas été conçus selon les règles de l’art visant un stockage étanche de tels déchets dangereux. Les risques de contamination du sous-sol et des nappes aquifères de la Suippe, de la Vesle, sont avérés et ils ne peuvent continuer à rester sans réponses scientifiques tangibles. 

Nous rappelons d’ailleurs que le site CIGEO de Bure Saudron est situé à moins de 2 heures de Moronvillers, pourquoi l’expertise de l’ANDRA n’est pas envisagée ?

Dans ce contexte, nous souhaitons que l’Etat assume pleinement ses responsabilités comme il le fait supporter à toutes les installations, entreprises, présentant un risque majeur (ICPE, SEVESO, INB…) et ayant des impacts ou dangers pour l'environnement, la santé et la sécurité publique. Pour ces raisons, 
elles sont soumises au respect de nombreuses obligations réglementaires, allant jusqu’à la consignation financière, pour gérer et encadrer la fin de leur activité, leur démantèlement, leur dépollution au titre de la protection des populations et de l’environnement.

Plus de 12 ans après la fin de son activité, il nous importe donc que l’Etat puisse assurer la dépollution complète de ce site et nous donner un calendrier de remise en état sanitaire de l’ensemble des emprises militaires.

Il n’est plus possible de vivre dans le doute, de procrastiner sur la décontamination des sols et du sous-sol ou d’attendre d’observer les effets d’une pollution en profondeur, qui ne manquera pas de dégrader nos eaux superficielles et souterraines. Et pour se dire qu’il est urgent d’agir ! 

Par ailleurs, ce site longtemps théâtre d’une activité militaire expérimental n’est pas complètement exsangue du point de vue économique. Il constitue un potentiel en énergies renouvelables remarquable.

Nos communes ont ainsi inscrit ce site en Zone d’Accélération des ENR pour la production d’énergie solaire au sol, pour faciliter le projet de centrale voltaïque au sol envisagé par le CEA. 

Cette initiative est à saluer car elle est une vraie opportunité d’économie circulaire, qui va dans le sens d’un recyclage utile de cette friche militaire. Nos collectivités sont favorables à ce que l’Etat puisse accélérer ce programme ambitieux de développement durable, à la réserve qu’il soit partagé en aménités avec les acteurs du territoire : co-développement, réflexions pour une auto-consommation territoriale partagée, par un système coopératif d’intérêts sous la forme d’un GIE au service de la transition énergétique du territoire, … 

Nous souhaitons ouvrir ces pistes de réflexion car nous considérons en responsabilité qu’il s’agit d’un bon moyen de réconcilier exploitation passée et avenir durable de notre territoire. Par ailleurs, les ressources financières issues de la production solaire de Moronvillers pourraient largement servir à financer le programme de dépollution du site.

En conclusion, nous réaffirmons l’urgence absolue de disposer d’informations précises et transparentes sur la réalité environnementale du site de Moronvillers. Les mesures nécessaires à une dépollution efficace et complète doivent être identifiées, planifiées et communiquées. Il en va de la santé publique, de la préservation de notre environnement et de l’avenir de notre territoire, que nous souhaitons construire autour de projets durables et partagés.

Nous comptons sur l’engagement de l’État pour répondre à ces enjeux cruciaux, en apportant des réponses claires, en agissant concrètement pour la protection et la valorisation de ce site et en évitant à notre territoire la double peine : celle du passé et celle du futur.

Nous vous prions Monsieur le Premier Ministre de bien vouloir recevoir nos salutations républicaines les plus respectueuses et distinguées. 


Les Maires

Le Président du Grand Reims 


Copies : Monsieur le Préfet de la Marne

Mesdames, Messieurs les Parlementaires de la Marne 

Monsieur le Président de la Région Grand Est 

Monsieur le Président du Département"

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