Depuis novembre, des contractuels qui remplaçaient des professeurs absents apprennent chacun leur tour qu’ils ne seront pas reconduits. Résultat : des enseignants sans travail non remplacés et des élèves aux cours annulés, du jour au lendemain. Dans l'Académie de Reims, plusieurs dizaines de personnes sont concernées.
“La veille de la fin de mon contrat, on m’a annoncé que je ne serais pas renouvelée. On m’a dit ‘Il n’y a plus d’argent dans les caisses’”, raconte Aline*, professeure contractuelle depuis trois ans, dont deux dans le même lycée professionnel de la Marne. Jusqu’à récemment, son contrat était renouvelé d’arrêt maladie en arrêt maladie, c’est-à-dire tous les un mois à un mois et demi. “J’ai pris le pli. Mais être arrêtée brutalement, c’est d’une violence inouïe”, assène-t-elle.
L’enseignante, également professeure principale, a appris qu’elle n’était pas reconduite en sortant du réfectoire, avant de recevoir un mail lui donnant la marche à suivre pour s’inscrire à France Travail. “Je ne vous raconte pas comment j’ai dû finir la journée”, commente Aline*. “Il y a eu un côté extrêmement brutal, en plus d’être légalement problématique”, ajoute Julien Duruisseau, secrétaire général adjoint du syndicat Sgen-CFDT Champagne-Ardenne.
Aujourd’hui on a besoin de toi, tu viens. Sinon, on t’éjecte et surtout tais-toi.
Aline*contractuelle
D’autant qu’Aline* a dû annoncer à ses deux classes qu’elle ne les retrouverait pas le lendemain et que leurs cours seraient annulés, puisque la collègue qu’elle remplace a bel et bien prolongé son arrêt. “On est de la chair à canon. Aujourd’hui on a besoin de toi, tu viens. Sinon, on t’éjecte et surtout tais-toi”, dénonce-t-elle.
Les contrats courts concernés
“On a donc une classe sans professeur principal avec 12 heures de cours par semaine en moins sur trois matières et une classe avec 10 heures en moins sur une matière principale coefficient 10 au baccalauréat. S’ils n’ont pas la moyenne sur l’épreuve de ma matière, ils ne passent même pas au rattrapage”, alerte la contractuelle.
Dans un autre établissement de l’Académie de Reims, ce sont 200 collégiens de dix classes qui se retrouvent sans professeur de SVT, matière qui pourrait faire partie du brevet. Benjamin* devait effectuer un contrat de trois mois renouvelé tous les quinze jours. Finalement, au bout d’un mois, il ne l’est pas. “On m’a prévenu à la fin de la troisième semaine que la quatrième serait la dernière, raconte-t-il. Je l’ai appris en journée de formation et on était trois ou quatre à avoir reçu le même mail.” Dans ce courrier électronique daté, pour sa part, du 28 novembre dernier, il était indiqué : “En raison de fortes contraintes budgétaires, je vous informe qu’il a été décidé de ne pas prolonger votre contrat au-delà de son terme actuel.”
En raison de fortes contraintes budgétaires [...], je vous informe qu'il a été décidé de suspendre tout recrutement jusqu’au 1er janvier 2025.
Mail du rectorat de Reims
Au sein de l’Académie, les premières désillusions ont commencé dès le 14 novembre, en fonction de la date de fin de contrat, avec un mail interne du rectorat que nous avons pu consulter. Il commence de la même manière que celui envoyé aux contractuels : “En raison de fortes contraintes budgétaires [...], je vous informe qu'il a été décidé de suspendre tout recrutement jusqu’au 1er janvier 2025”, est-il écrit.
Fortes contraintes budgétaires
Une date qui correspond au début d’une nouvelle année budgétaire, étant donné que le budget 2024 dédié aux contractuels a été épuisé. Généralement, si l’enveloppe financière est entièrement utilisée en fin d’année, l’Éducation nationale utilise en avance celle de 2025, contextualise Julien Duruisseau. “Solution” aujourd’hui impossible puisque dans le contexte politique actuel, le nouveau budget n’a pas encore été voté.
Pour la première fois, on cesse les remplacements pour faire des économies.
Julien Duruisseausecrétaire général adjoint du syndicat Sgen-CFDT Champagne-Ardenne
“Pour la première fois, on cesse les remplacements pour faire des économies”, dénonce Julien Duruisseau, qui estime qu’en Champagne-Ardenne, plusieurs dizaines de personnes pourraient être concernées par cette perte de temps de travail et de paiement de vacances scolaires. “En cas d’arrêt, l’État paie deux fois pour un poste : la personne absente et le remplaçant", explique-t-il. Autant d’économie réalisées, pour l’Éducation nationale, sur les salaires des contractuels - pourtant déjà au plus bas niveau de grille tarifaire. “L’avenir des enfants est budgétisé !”, abonde Aline*.
Contacté par téléphone, le rectorat de Reims réfute pourtant l’explication budgétaire, ainsi que l’arrêt des recrutements : “Il s’agit d’une réalité nationale inhérente à des contraintes rencontrées par toutes les académies sur cette période de fin d’année. Les recrutements nécessaires reprendront dès le début d’année et les professeurs dont le contrat n’a pas été renouvelé seront remobilisés”, assure-t-il.
"Une réalité nationale"
Le rectorat indique également qu’aucune consigne n'a été donnée par le ministère sur une quelconque réduction du nombre de contractuels : “Ce n’est pas un ‘merci au revoir’. Chaque contrat est arrivé à son terme. Nous ne sommes pas sur une vague de fin de contrat des contractuels qui rendent un grand service, pas du tout”, se défend l'institution.
À l’échelle nationale, les contractuels représentent 3% des professeurs dans le premier degré et 10% dans le second. Ils permettent d’atteindre un taux de 91,6% de postes vacants ayant trouvé un professeur, en octobre 2024, tient à souligner le rectorat de Reims.
Nous ne sommes pas sur une vague de fin de contrat des contractuels qui rendent un grand service, pas du tout.
Rectorat de Reimspar téléphone
Un chiffre toutefois établi avant la concrétisation, en novembre, des difficultés. Depuis, contractuels, élèves et parents restent désemparés. “Les Premières partent en stage en janvier, mais ils n’ont plus personne, puisque je suis habituellement leur référente, contextualise Aline*. Je reçois des SMS de mes élèves. Ils sont complètement perdus et laissés à l’abandon”, déplore la professeure, elle-même pieds et mains liés. Elle a bien tenté de prévenir le rectorat, mais s’est vue répondre : “Vos élèves s’en remettront”.
Des parents dans l’incompréhension
Une phrase qui ne passe pas, surtout quand, en parallèle, l’institution lui reproche d’avoir prévenu ses classes de son absence, suscitant de nombreux appels de parents au rectorat : “On m’a dit que ce n’était pas déontologique. Parce qu’apprendre la veille pour le lendemain que l’on n’est pas reconduit, ça l’est ?”, s’insurge Aline*.
Les élèves sont complètement perdus et laissés à l’abandon.
Aline*contractuelle
Pour elle, il s’agit de l’illustration parfaite du “fameux, pas de vague” : “Il faut tout cacher sous le tapis. Et là, le rectorat aurait pu faire passer l’annulation de mes cours pour une absence de mon fait, ce qui les aurait bien arrangés.” Des parents lui ont en effet déjà reproché l’annulation des cours, notamment à chaque retour de vacances. “On nous met absent, alors que nous aussi on est dans l’attente d’un contrat que le rectorat tarde à nous envoyer”, déplore-t-elle. Pour expliquer ces délais, le rectorat indique quant à lui que tout s’organise autour des ressources possibles : “Parfois, un contractuel à la fin de son contrat est mobilisé ailleurs”.
Aline* appelle toutefois les parents concernés par ces situations à ne pas se taire et à faire savoir leur mécontentement à l’institution. Qui plus est quand les heures de cours ne sont pas compensées, comme assumé par le rectorat dans son mail interne : “Les moyens permanents ne permettront pas de répondre à l'ensemble des demandes de suppléance ou de remplacement. Aussi, à titre exceptionnel, une attention particulière sera portée sur les classes à examens et sur les enseignements de spécialité.”
Prise de position du ministère ?
Encore faut-il que les titulaires remplaçants ne soient pas déjà en remplacement sur d’autres postes. “Ils sont déjà à l’os. On élargit les trous dans la raquette et on en fait de nouveaux”, estime l’enseignant et syndicaliste Julien Duruisseau. Quant aux professeurs en poste, la plupart ont refusé d’effectuer les remplacements, en soutien aux contractuels. “Cette solution est ubuesque, sachant qu’une heure supplémentaire ou une heure avec le Pacte enseignant est payée le double, voire le triple d’une heure à moi”, souligne Aline*.
Les contractuels ont toujours été la variable d’ajustement.
Julien Duruisseausecrétaire général adjoint du syndicat Sgen-CFDT Champagne-Ardenne
Mais le rectorat de Reims l’affirme : “l’Académie observe et suit avec attention chaque situation”, dans un contexte tendu qui s’ajoute à des conditions de travail déjà précaires en temps normal. “Les contractuels ont toujours été la variable d’ajustement. En cas de suppression de poste aussi, car qui est-ce qui ne va pas être recruté ? Ce sont les contractuels”, explique Julien Duruisseau, inquiet à l’idée que l’argument soit utilisé de plus en plus tôt, en fonction du budget restant.
D’après une récente communication du vendredi 13 décembre, dans l'après-midi, la ministre de l'Éducation démissionnaire, Anne Genetet, aurait demandé à tous les recteurs et rectrices que les contractuels sur des remplacements de longue durée soient réintégrés et payés pendant les vacances.
*Les prénoms ont été modifiés.