A l'occasion de Pâques, nous avons voulu savoir si le champagne, acide et le chocolat, amer, faisaient bon ménage. Le chef étoilé des Crayères, le restaurant gastronomique de Reims, Philippe Mille, lui, y croit. Une association surprenante mais pas impossible.
Le champagne et le chocolat ont longtemps entretenu des liaisons dangereuses. L'un est acide, l'autre amer, deux saveurs opposées mais pas incompatibles. Un mariage risqué mais subtil. Les grands restaurants n'hésitent pas les associer.
"Il y a dix ans on me disait le champagne sur le chocolat, même pas on y pense, c'était un peu le discours de la Champagne", se souvient Philippe Mille, chef du restaurant gastronomique deux étoiles Les Crayères à Reims (Marne), qui reconnaît que cet accord est "moins évident que sur du salé et de l'iode".
Mais il apprécie servir cette association "peu courante" à des clients souvent "surpris", venus déguster un repas accompagné exclusivement de champagnes, dit-il.
On joue sur le côté subtil, il faut des champagnes adaptés mais c'est pas impossible
"C'est très intéressant de travailler là-dessus, on joue beaucoup sur le côté subtil, il faut des champagnes adaptés pour mais ce n'est pas impossible, loin de là. On va aussi essayer d'atténuer l'amertume du chocolat et de glisser un peu sur son parfum", explique Philippe Mille, qui élabore des desserts chocolatés auxquels il ajoute des fragments d'agrumes ou de meringues.
A ce jeu d'équilibriste, la rencontre en bouche est délicate: si le champagne domine le chocolat, celui-ci s'éteint; si le chocolat imprègne trop le palais, il neutralise les notes du champagne.
Mais le défi se relève plus facilement car "on a une palette aromatique maintenant en Champagne, avec des artisans qui travaillent très bien et proposent des goûts différents", ce qui ouvre de nouveaux horizons gustatifs, assure Emmanuel Briet, artisan chocolatier à Epernay (Marne).
La diversité grandissante des champagnes, aux typicités et aux assemblages qui les singularisent toujours plus, offrent des opportunités nouvelles d'accords gastronomiques.
Parmi les 17 crus de cacao dont Emmanuel Briet dispose pour le chocolat noir, seuls ceux du Pérou et de Madagascar, "plutôt fruités", peuvent convenir avec un champagne à l'acidité contenue, "des vieux champagnes qui sont sur la rondeur", estime-t-il après cinq années à se pencher sur cet accord exigeant.
Sortir des codes traditionnels du champagne
L'artisan chocolatier a également élaboré un chocolat noir particulier, avec une pointe de piment d'Espelette, spécialement pour accompagner un champagne rosé de 2012 issu des caves de la marque rémoise Castelnau.
"Nous voulions sortir des codes traditionnels du champagne" et notamment faire "quelque chose que les autres ne veulent pas faire", indique Pascal Prudhomme, directeur général du champagne Castelnau, coopérative viticole centenaire aux 775 adhérents.
Cette association inédite, initialement mise au point pour la Saint-Valentin mais qui n'est pas encore commercialisée, nécessite de respecter la marche à suivre pour savoir quel goût aller chercher, d'abord des arômes fruités puis un "univers épicé", dévoile-t-il.
L'accord champagne-chocolat demeure "risqué parce que ça demande vraiment d'avoir les sensations en bouche", glisse Emmanuel Briet. Aux épicuriens, l'artisan chocolatier précise qu'il fonctionne "quand on prend le temps et quand on goûte réellement ce qu'on consomme".
Prêt à relever le défi ?