Avant l'éclatement de la crise sanitaire, la dette de la France frôlait les 100% de son PIB. Aujourd'hui, elle devrait dépasser 120% du PIB. Comment régler la question de la dette, son remboursement ? Spécialiste des finances publiques, Hervé Groud analyse la situation, et avance des solutions.
Pendant 33 ans, Hervé Groud, Professeur émérite à l'Université de Reims, a enseigné les finances publiques. Il a publié plusieurs livres, dont un très remarqué sur la crise des "subprimes". Aujourd'hui, il est directeur d'une thèse consacrée aux aides des collectivités territoriales aux entreprises en difficulté. C'est dire si la question des dettes souveraines, autrement dit des dettes d'Etat, est une interrogation à laquelle il est en mesure d'apporter, pour le moins, quelques réflexions.
"Nous ne sommes pas le pays le plus endetté", indique d'entrée, Hervé Groud. Il est vrai que l'Italie et l'Espagne sont dans une situation bien plus préoccupante. "Toutefois, on partait d'une dette importante. Si l'on additionne la dette publique, celle de l'Etat, et la dette privée, on est l'un des états les plus endettés. Comme on peut s'attendre à quelques défaillances d'entreprises, dont les prêts sont garantis par l'Etat, la dette privée, alors deviendra publique".
Si l'on abandonnait cette dette, cela enverrait un signal aux marchés. C'est dangereux. On ne nous prêterait plus qu'avec des taux incluant une prime de risque.
La question de l'impôt
Lors d'une séance, à l'Assemblée Nationale, lundi 22 mars, le ministre de l'Economie, Bruno Lemaire, a exprimé, une nouvelle fois son refus d'augmenter les impôts. Pour autant, il propose d'affecter une part des recettes à venir, de l'impôt sur les sociétés au remboursement de la dette. Hervé Groud considère qu'il faudra, sans doute, "mobiliser plusieurs impôts. La règle prévoit que les recettes ne doivent pas être affectées à des dépenses, à priori, mais on n'est pas obligé de la respecter".
Jouer sur le contrôle des dépenses est, pour le professeur émérite, essentiel. "Il est inévitable que l'on poursuive la réforme des retraites, notamment dans la fonction publique. Les retraites de la fonction publique représentent, en effet une charge importante. On peut jouer sur ce point, en le complétant par la réduction du nombre des fonctionnaires".
L'épargne des Français
Actuellement, un quart de la dette de notre pays représente l'épargne des Français, en assurance-vie, notamment. Cette épargne est replacée en obligations d'Etat. "Ce serait catastrophique de ne pas rembourser les Français", s'inquiète Hervé Groud. "Ce serait jouer avec le feu. L'Islande et la Finlande, notamment, qui nous ont beaucoup acheté ces obligations, parce qu'ils ont confiance en nous, ne nous prêteraient plus, ou alors à des taux élevés".
La Banque Centrale Européenne possède, quant à elle, un quart de la dette de la France. "L'abandonner ou investir dans l'économie verte, la B.C.E. pourrait s'y opposer. Attention", met en garde l'universitaire," si l'on abandonnait cette dette, cela enverrait un signal aux marchés. C'est dangereux. On ne nous prêterait plus qu'avec des taux incluant une prime de risque. On aurait plus à y perdre, dans l'immédiat. Ne pas y toucher est une question de sécurité."
Une hausse des impôts ?
Cela rassurera, sans doute, les contribuables, Hervé Groud considère que ce serait contre- productif d'augmenter les impôts. L'une des solutions face à cette situation, c'est pour lui de faire remonter notre P.I.B. "Il faut que l'économie tourne à 6 ou 7% de croissance. Si l'on prend aux consommateurs, aux entreprises, cela freinera la relance. Il faut jouer sur les dépenses, pas sur les recettes. Il faut qu'avant cinq ans, pas davantage, notre dette soit retombée à 100% de notre P.I.B.".
Aujourd'hui, pour un salaire de 2.000 euros, un peu moins de 50%, sont prélevés en impôts et prélèvements sociaux. "On ne peut pas aller plus loin", souligne Hervé Groud. "L'amortisseur social a bien réagi, mais il ne faut pas toucher aux cotisations, en général".
Ce serait catastrophique de ne pas rembourser les Français. Ce serait jouer avec le feu.
Le dérapage évité
Que se serait-il passé, pour la France, sans l'Euro, l'Europe et la Banque Centrale Européenne ? Pour l'universitaire, ce sont ces trois facteurs qui ont permis à notre pays d'éviter un dérapage et de sombrer dans une crise économique et financière profonde. Toutefois, la situation est sérieuse. Il va falloir redresser la situation. "Parmi les gros moteurs de notre économie, il y a le tourisme, et les Chinois ne vont pas revenir tout de suite. Il y a également l'aéronautique, avec Airbus, et là aussi, ça ne va pas repartir, immédiatement. Mais, nous avons des conditions extrêmement attractives pour emprunter, car l'Etat est rigoureux dans sa gestion. Nos procédures rassurent les marchés financiers".
Le spécialiste des finances publiques estime qu'il est injuste d'attaquer l'Europe. "On a l'impression qu'elle est fragilisée, mais les conditions de la réduction de la dette, dépendent, avant tout des états. Le P.I.B. remontera si on maîtrise les dépenses et qu'il y a une relance rapide de l'économie". La soutenabilité de la dette s'est peu à peu imposer, dans le débat public. Après la crise sanitaire, celle des finances nécessite une réponse rapide et efficace.
Avec une dette proche de 120% de son P.I.B., la France dépasse largement le plafond autorisé, par le Traité de Maastricht, au moment de créer l'Euro. En 2007, François Fillon, alors Premier Ministre, dressait un bilan préoccupant de la France, en déclarant :"Je suis à la tête d'un Etat, qui est en situation de faillite". La dette de notre pays a doublé depuis cette phrase choc. Elle s'élève aujourd'hui à 2.600 milliards d'euros. Nombreux sont ceux qui s'en inquiètent et cherchent comment sortir de cette crise.