Le maire de Reims, Arnaud Robinet l'a annoncé ce mercredi 27 janvier, il souhaite créer une monnaie locale pour favoriser les commerçants de proximité touchés par la crise sanitaire et ses conséquences économiques. Les conseils d'un Ardennais co-créateur du "marcassol", une monnaie locale.
Il y aura bientôt une monnaie locale à Reims. Cela fait partie des pistes de travail de la "commission Colbert" mise en place pour "inventer le Reims d'après". Entendre, après la crise sanitaire du Covid-19. Le maire de la cité des sacres, Arnaud Robinet, l'a annoncé ce mercredi 27 janvier après-midi lors d'un échange en direct sur Facebook, avec nos confrères de L'Union et Champagne FM. Le maire de Reims a précisé qu'il s'agissait d'un moyen de paiement "qui va privilégier les circuits courts, l'appartenance et la relance, a expliqué le maire de Reims. Un nouveau moyen de paiement en lien avec l'économie sociale et solidaire. Une monnaie locale existe déjà en Normandie. Elle doit être simple par la gestion et cela va nous aider à préparer le Reims d’après, un nom reste à trouver". La "monnaie des sacres" ou "l'Erlon", commencent déjà à emerger.
Plusieurs villes ont déjà fait l'expérience de cette monnaie locale, notamment dans les Ardennes, avec le marcassol, qui a été abandonné en février 2020. Christophe Rousseau, commerçant et gérant d'une brasserie-bar à Charlevile-Mézières, est l'un des membres de l'association qui a oeuvré à sa mise en place. Il nous a livré quelques leçons, tirées de cette expérience qui duré deux ans et demi.
Pourquoi le marcassol n'a pas fonctionné dans les Ardennes ?
Christophe Rousseau : Il y avait un souci, le financement public. Il fallait un salarié pour s’occuper de la monnaie, une personne ne suffisait pas. Il fallait financer son salaire. On avait des fonds publics, mais ils ont été restreints, et ensuite, un réel engouement n’était pas là, mais je ne désespère pas qu’on redémarre. Il y avait un engouement à faire passer auprès du public. Il faut aussi des acteurs économiques qui jouent le jeu. Au début certains croyaient que cela allait apporter plus d’argent, or le but est de faire du circuit court et de faire prendre conscience aux clients des atouts de la proximité. Il faut créer une envie, il faut informer sur la philosophie de la monnaie locale.
Est ce une bonne idée pour relancer l'économie localement ?
Oui, car c’est une monnaie locale, mais aussi et surtout un prétexte pour faire connaître ses voisins, favoriser les circuits courts. Se rendre compte qu’il y a des producteurs à côté de chez soi, et pas plus chers qu'ailleurs. C'est surtout une publicité sur son environnement proche. Beaucoup de gens, quand je donnais l’annuaire avec la carte de membre, me disaient tiens c’est à côté de chez moi. Certains découvraient la richesse d’à côté. Pour l’économie d’un département, c'est une bonne façon de faire connaître les acteurs locaux du commerce.
Quels conseils donnez vous au maire de Reims avant de se lancer ?
L’avantage, c’est que c’est un acteur politique qui est à l’origine de cette idée à Reims, c’est une bonne chose, et c’est un privilège par rapport à une association. Il a un réseau plus important, une rapidité d’éxécution non négligeable sur l’information auprès de la population. Sur le pourquoi de la monnaie.
Comment commencer ?
Il faut avoir un réseau de personnes, d'acteurs écomiques, créer une charte, définir sa stratégie. Qui on accepte et qui on n'accepte pas. Car il existe des questions de déontologie. Le but n’est pas de vouloir promouvoir les produits des grandes marques. Certains avaient ciblé uniquement sur la nourriture, or il faut cibler tous les acteurs. Sans oublier les services. On s’est heurté à ça. Il faut pouvoir payer la piscine, la bibliothèque, il faut que ces structures acceptent la monnaie locale. Il faut se mettre à la place du consommateur. En faire une monnaie sociale. Dire aux gens dans les quartiers, oui, Aldi c’est pas cher, mais certains petits commerçants offrent aussi un avantage. Il faut être clair : la philosophie de la monnaie locale, ce n’est pas ce que l’on va voir en premier. Il faut des avantages concrets. Moi j’avais fait une double tarification, c'était moins cher en monnaie locale qu'en euros.
Il faut proposer un avantage en plus. Certains restaurateurs offraient le café. On l’avait formulé sous forme de clin d’oeil.
Si c’était à refaire ?
Il faut avoir surtout un appui politique. C’est là où le réseau est le plus fort dans un département. Le maire de Reims a déjà une belle avance. Il faut être solide, et bien organiser les choses, avec des endroits pour faire le change, récupérer les caisses, relever des caisses et promouvoir la monnaie locale. Vu que c’est un projet municipal, il y aura je pense, une équipe dessus.
Quid du paiement en numérique ?
Une étude existe sur des solutions de monnaie locale en numérique avec une appli smartphone. Avec des moyens pour payer avec son téléphone, on pourrait payer en numérique. Cela se fait à Bayonne, qui fait partie des monnaies locales performantes dans le Pays Basque. Toutes les monnaies locales travaillent sur le développement de monnaie numérique. On était en train de voir différents systèmes. Il faudra malheureusement une rébellion de garder une monnaie papier, car l’Etat accélère avec la fin de la monnaie physique. Elle existe de plus en plus, aujourd’hui 90 % des clients paient par carte, et 10% en liquide.
Pour les gens c’est un frein, de ne pas pouvoir payer avec un smartphone ou une carte. De plus en plus payent avec leur téléphone. Il ne faut pas se butter non plus, mais faciliter la distribution. Cependant, le but c’est que cette monnaie tourne en permanence. Moi j’avais peu de fournisseurs qui prenaient le marcassol. Je prenais beaucoup de monnaie locale et ça devenait vicieux, j’ai des clients qui ne l’utilisaient que chez moi.
Géographiquement, quelle est la meilleure stratégie ?
Il faut faire par étape, ça a été notre erreur de faire une monnaie pour les Ardennes, mais avec une seule salariée et des bénévoles, on n'était pas assez puissants. Personne ne connaissait, donc on a rentré des commerçants d’un peu partout, c’était éparpillé, après réflexion, on aurait du dire d’abord Charleville et l'agglomération, voir si ça fonctionnait et prévoir la deuxième étape.
Reims semble une bonne taille pour commencer ?
Oui, on peut commencer par Reims, avec l’agglomération, car en dehors c’est la campagne.
Vous seriez prêt à l’aider ?
Avec le peu d’expérience que j’ai oui, j’ai pu expérimenter ça pendant deux ans et demi. Il y a eu le montage pour créer tout ça. Le nom avait été choisi en concertation, avec les membres de l'association. Avec un tirage au sort. Le fait d’associer la population est une bonne chose, nous on est resté un peu trop entre nous, associer les gens c’est mieux, il faut donner de nouvelles sur l'avancée du projet. Seul, on ne peut pas avancer. Les gens doivent se sentir partie prenante.
Quel délai pour se lancer ?
Il faut bien organiser les choses, on peut aller vite car c’est politique, mais il faut compter un an et demi, pour se lancer. Pas moins, ça peut être un an minimum, si on a une bonne équipe. D'abord, bien développer le réseau, la charte précise, puis créer le réseau des artisans et commerçants, les démarcher, leur dire quels sont les avantages. Après il faut imaginer la monnaie. Le meilleur moyen, c’est le billet, pas les pièces. Il y a différents niveaux de sécurité. Des imprimeurs de la région peuvent le faire.
Les pièces, ça peut exister, mais les gens n’aiment pas le poids, et cela prend plus de place. Nous, on avait fait un billet de 70 centimes, en se basant sur les baguettes de pain. Or, ce qui est bête c’est qu’on aurait du faire un billet de 20 et de 10 centimes, ça aurait suffit. Comme ça, on peut acheter presque tout. 1, 5 10, 20 et 50. Faut faire des petites sommes, pensez au prix de pain.
Il faut faire une double caisse, côté commerçant, mais elle n’est pas compliquée à gérer. Moi, j’avais rajouté marcassol dans ma caisse. C’était répertorié, il faut un fond de caisse en monnaie locale, car on ne peut pas rendre en euros si on paye en monnaie locale. Je conseille de ne pas faire de taux de change au début. Car ça complique les choses et les discussions. Il ne faut pas que les gens perdent surtout en ce moment.
La crise du Covid change-t-elle la donne ?
Oui ça me parait une bonne mesure de lancer ça maintenant. La covid favorise le fait que les consommateurs regardent davantage autour d’eux, ils pensent aux circuits courts. Ils font attention à la provenance et à ce qu’ils consomment, le local revient à la mode ! Il y a de plus en plus de propositions locales. On a pu recréer en parallèle un magasin de produits locaux et participatif, la Marcasserie, qui vient juste d’ouvrir. On devait y accepter la monnaie locale. Dans ce magasin participatif on trouve des produits locaux à des prix très concurrentiels, les bénévoles font fonctionner le magasin, chacun donne trois heures de son temps.