Un enfant sur trois ne part pas en vacances : "accueillir un enfant, c'est recevoir beaucoup plus que ce que l'on offre"

Le Secours Populaire se mobilise, chaque année depuis près de 50 ans, pour permettre à des enfants de partir en vacances d'été. Pour cela, l'association a besoin de "familles de vacances" bénévoles. Objectif : accueillir pendant deux semaines un enfant et lui permettre de vivre des moments hors de son quotidien. Dans la Marne, le Comité départemental a lancé sa campagne de "recrutement" pour permettre à des petits de 6 à 10 ans de s'évader un peu.

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47 ans d'actions, et toujours le même constat. De nombreux enfants sont privés de vacances. Une situation souvent liée aux revenus insuffisants des parents et à une structure de famille monoparentale. Depuis toutes ces années de mobilisation, le Secours Populaire, qui porte l'opération "Familles de vacances" partout en France, se rend à l'évidence, elle devient de plus en plus difficile à mettre en place. Si les demandes sont toujours aussi nombreuses, le nombre de familles d'accueil, lui, est en très nette baisse.

"Nous parlons souvent, au sein de la Fédération de la Marne, de nos un ou deux bus qui partaient, chaque été, de Reims en direction de la Bretagne, explique Anne-Marie Duriez, bénévole, secrétaire départementale pour la solidarité en France au Secours Populaire de la Marne. C'était il y a plus de 20 ans et à l'époque, nous avions une centaine de familles d'accueil bretonnes qui participaient. L'an passé, 12 enfants marnais ont pu profiter de la Bretagne pour deux semaines". Et trois en ont été privés, faute de familles bénévoles. Un crève-cœur quand il faut l'annoncer et en même temps "si la situation ne correspond pas à l'accueil que l'on souhaite pour les enfants, nous ne pouvons pas les laisser partir", explique encore la secrétaire départementale du Secours Populaire. Pas toujours simple à expliquer.

Pas besoin d'extraordinaire

La situation est la même pour l'accueil des enfants dans des familles du département. L'an passé seulement trois sont venus passer deux semaines d'été. "Ce sont des enfants âgés de 6 à 10 ans des Yvelines et de Paris qui s'inscrivent dans leur région, précise encore Anne-Marie Duriez. Avant la pandémie de Covid, nous avions une dizaine de familles. Nous avons dû arrêter pendant deux ans et à la reprise nous n'avons retrouvé aucune des familles d'avant. Trois nouvelles ont permis à des enfants de passer de bons moments, mais c'est catastrophique pour tous ceux qui restent dans leur appartement l'été et sont privés de vacances. Nous aimerions au moins pouvoir en accueillir une vingtaine".

Il ne s'agit pas là de culpabiliser qui que ce soit. La pandémie a sans doute recentré les priorités de chacun. Et l'inflation, en rajoute un peu plus à la morosité et à l'impossibilité de se projeter voire d'accueillir financièrement un enfant supplémentaire pendant deux semaines d'été.

A la rentrée de septembre, nous voyons tout de suite les élèves qui sont partis et ceux qui n'ont pas eu cette chance. Ils ne sont pas tous dans le même état pour aborder les apprentissages scolaires.

Fabienne Assailly, famille de vacances et institutrice

Alors comment enrayer le phénomène ? Comment mobiliser à nouveau la population ? Peut-être en évoquant ce que cet accueil va provoquer chez l'enfant. Les souvenirs inoubliables, la découverte d'autres milieux, l'ouverture aux autres. "Et pas besoin pour cela de faire des choses extraordinaires, reprend Anne-Marie Duriez du Secours Populaire de la Marne. Ce n'est pas cela qui conditionne le séjour. Bien sûr les familles peuvent emmener en vacances l'enfant qu'elles accueillent. Mais parfois ce sont des grands-parents, qui ont en vacances leurs propres petits-enfants, et qui reçoivent une fille ou un garçon du même âge". 

Inaya, ses premières vacances à 7 ans

Inaya habite Paris. En 2018, sa maman l'inscrit auprès du Secours Populaire pour que la petite puisse bénéficier de deux semaines de vacances. Dans le même temps, la famille Assailly se manifeste, elle, auprès du Secours Populaire de la Marne pour devenir famille de vacances. 

"Nous sommes, tous les deux avec mon mari, instituteurs et nous savons à quel point les vacances sont importantes pour les enfants, explique Fabienne Assailly. À la rentrée de septembre, nous voyons tout de suite les élèves qui sont partis et ceux qui n'ont pas eu cette chance. Ils ne sont pas tous dans le même état pour aborder les apprentissages scolaires". Depuis quelques années, Fabienne et Olivier y pensent, mais leurs deux filles sont encore petites. Il fallait un peu plus de temps à la famille avant de construire cette aventure humaine tous ensemble. "Nous avons deux filles que l'on aime emmener se promener, découvrir des choses et nous nous rendions de plus en plus compte de l'inégalité par rapport à la situation d'autres enfants. Nous habitons un hameau, nous sommes proches de la nature, des animaux et nous avons décidé d'offrir cette opportunité-là à un autre enfant".

Ce que le couple souhaite aussi, c'est que ce projet d'accueil soit celui de toute la famille. Ils veulent impliquer leurs deux filles. "Nous voulions faire vivre à cet enfant des choses dans notre famille et que cela soit aussi un échange pour nos propres filles. Nous savions que la rencontre avec un petit ou une petite que nous ne connaissions pas allait leur apporter un nouveau regard" explique encore Fabienne.

Devenir "famille de vacances"

Chaque été, des enfants des Yvelines et de Paris peuvent être accueillis en vacances pendant deux semaines dans des familles marnaises qui se portent bénévoles. Le Secours Populaire gère le transport jusque sur le lieu de prise en charge.

Lorsque la famille Assailly postule, elle coche tous les critères. Alice la cadette a 8 ans, un an de plus qu'Inaya et Camille 14 ans. Le projet simple de vivre ces deux semaines en famille, à la campagne est plébiscité. "Alice était très enthousiaste, précise encore Fabienne. Mais elle voulait être la grande. Elle voyait déjà Inaya comme une cousine, une copine et imaginait que cela allait durer un peu dans le temps. Camille, elle était aussi super contente, mais plus âgée. Anne-Marie a été très attentive au souhait d'Alice. C'était très important".

Quel courage a eu cette maman de nous confier sa fille. Nous ne nous connaissions pas. Nous ne prenons pas du tout la place des parents. Inaya est très bien dans sa famille. Aujourd'hui, elle fait aussi partie de la nôtre.

Fabienne Assailly, famille de vacances bénévole

"Souvent effectivement, les familles qui s'engagent ont des enfants du même âge", précise Anne-Marie Duriez bénévole au Secours Populaire de la Marne. Un engagement, une responsabilité, il s'agit bien de cela aussi. La famille s'engage à s'occuper du petit garçon ou de la petite fille, comme de son propre enfant. C'est pour cela qu'il est important de "prendre rendez-vous avec elle en amont, reprend Anne-Marie. Nous allons, à deux bénévoles, au domicile des personnes volontaires, discuter, remplir un dossier. L'environnement de l'accueil compte mais ce qui est important, c'est de rencontrer l'ensemble de la famille. Cela nous permet de voir si c'est un projet commun. Je me souviens d'une maman et de son fils que nous avions visité dans ce cadre-là. Le jeune adolescent ne souhaitait pas voir arriver, dans son environnement, un enfant de l'extérieur. Nous n'avons pas donné suite car il y aurait forcément eu des tensions. L'état d'esprit de toute la famille d'accueil est essentiel". En sortant de ce rendez-vous, les deux bénévoles du Secours Populaire se concertent pour valider ou pas la candidature.

Et puis il y a la confiance à mettre en place. Laisser partir son enfant en Bretagne pour les familles marnaises ou dans la Marne pour les familles parisiennes n'est pas si simple. "Confier son enfant à quelqu'un que l'on ne connaît pas est un frein. Il y a beaucoup d'hésitations pour les familles. Alors, nous mettons les personnes en contact en amont pour rassurer tout le monde", sourit Anne-Marie en repensant à certaines mamans qui ont du mal à couper le cordon.

"Nous avons eu, dès le départ, un très beau contact avec Awa, la maman d'Inaya, reprend Fabienne Assailly. Elle est très reconnaissante et hyperconfiante. Quel courage a eu cette maman de nous confier sa fille. Nous ne nous connaissions pas. Nous ne prenons pas du tout la place des parents. Inaya est très bien dans sa famille. Aujourd'hui, elle fait aussi partie de la nôtre".

Des yeux qui brillent

À l'été 2018, Inaya arrive donc, en train, de Paris. Elle est encadrée par les bénévoles du Secours Populaire de la Marne et fait partie du petit groupe d'enfants venu profiter de deux semaines de vacances. La famille Assailly la prend alors sous ses ailes et elle s'installe à la campagne. "Elle avait 7 ans, se souvient Fabienne Assailly. Nous voulions juste voir ses yeux briller comme lorsque l'on offre quelque chose à un enfant. Et nous l'avons vécu pleinement".

Inaya arrive avec son histoire, ses habitudes, son insouciance et sa joie de vivre. "Elle nous a permis de prendre du recul sur notre vécu, reprend Fabienne. Elle nous a fait rire souvent. Nous, nous avons l'habitude de manger ensemble et elle a été surprise que cela se passe comme cela tout le temps. Nous jouons aussi beaucoup aux jeux de société après les repas. Ce fut une grande découverte pour elle et ensuite, c'est elle qui le proposait. Elle aussi appris à gérer sa peur des animaux".

Nous devons permettre à ces petites vies en construction de se déployer. Cela fait partie d'un projet de vie plus large, d'un vrai projet de société.

Fabienne Assailly, famille de vacances bénévole

Les deux premières années, la famille de vacances d'Inaya décide de passer les deux semaines à la maison, dans la Marne. "Ensuite, nous l'avons emmené en Bretagne. Elle a découvert la mer et un autre univers. Elle repartait à la fin avec son album photos de vacances et sa maman nous disait que c'était son trésor et qu'elle le regardait souvent. Ça nous a beaucoup touchés".

Et puis la pandémie arrive et le Secours Populaire est obligé d'arrêter l'opération. "Nous étions à la campagne et nous avons vécu tranquillement ce moment, et ça nous fendait le cœur de ne pas pouvoir accueillir Inaya. Nous avons pris contact avec Anne-Marie et elle nous a permis d'aller chercher la petite. À l'été 2020, Inaya était donc chez nous".

À 20 ans, ils continuent à voir leur famille de vacances

Aujourd'hui les liens tissés au fur et à mesure de ces étés sont particulièrement émouvants. Inaya a 13 ans désormais et n'est plus en âge de profiter de l'opération du Secours Populaire. Peu importe, la famille Assailly, elle, a décidé de poursuivre l'aventure. La petite devenue une jeune fille continue à venir chaque été, et bien plus que deux semaines. "Toute l'année nous nous écrivons et maintenant, Inaya et Alice ont leur téléphone et communiquent entre elles, reprend Fabienne. C'est souvent Alice qui nous donne des nouvelles ! Inaya nous a apporté et continue de nous apporter beaucoup de choses. Elle a un regard hyperdécalé par rapport à ce que l'on voit et ce que l'on vit".

Partir en vacances, crée des souvenirs inoubliables. C'est véritablement l'objectif de cette opération "Familles de Vacances". "Les enfants qui partent aujourd'hui ont souvent des parents qui sont partis en vacances avec le Secours Populaire quelques années plus tôt, précise encore Anne-Marie Duriez, secrétaire départementale pour la solidarité en France au Secours Populaire de la Marne. Ces parents ont vécu des expériences incroyables et ont tissé des liens avec leur famille d'accueil. Des liens durables". Ils ont envie de voir leurs propres enfants vivre la même chose. Se construire avec d'autres, découvrir des univers inconnus jusqu'alors. Faire des rencontres qui marquent une vie. "Aujourd'hui, nous avons des jeunes de 20 ans qui voient toujours leur famille de vacances. Ils font partie de la même famille".

"Les bénévoles du Secours Populaire font un énorme travail, reprend Fabienne Assailly. C'est vraiment aussi quelque chose qui me tient à cœur. J'aimerais bien les aider plus encore. Accueillir un enfant pendant les vacances peut faire peur, mais je vous assure, deux semaines cela passe tellement vite. Pour rendre un enfant heureux, pas besoin de choses très compliquées. De l'attention, lui faire découvrir son nouvel environnement. C'est une implication, mais nous recevons, chaque fois, beaucoup plus que ce que l'on offre. Nous devons permettre à ces petites vies en construction de se déployer. Cela fait partie d'un projet de vie plus large, d'un vrai projet de société".

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