Social. "Des parcours d'insertion brisés", les jeunes étrangers isolés sont nombreux à devoir quitter la Marne

Depuis le déconfinement, les obligations de quitter le territoire ne cessent de tomber pour de jeunes étrangers isolés. Mineurs lors de leurs arrivées dans la Marne, ils ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Aujourd’hui, on leur demande de partir.
 

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"Aujourd'hui (30 juin) les gendarmes sont venus chercher chez moi un jeune qui ne s'est pas rendu à sa convocation de police. Il devait commencer à signer ce jour, le dernier de juin, une assignation à résidence. Ce jeune a disparu depuis que son recours contre l'OQTF (obligation de quitter le territoire) a été rejeté par le tribunal administratif". C’est ainsi que Marie-Pierre Barrière, membre de l’association Réseau éducation sans frontière (RESF) explique ce que sont en train de vivre une dizaine de jeunes étrangers isolés de la Marne. Pour celui que l’on appellera Hasseeb*, une enquête a été menée, dans son pays d’origine. « (Par) des avocats mandatés par le Consulat de France, la préfecture de la Marne a pu établir qu'il avait pris l’identité d'un autre pour abuser les services sociaux français. C'est faux. Pour preuve les avocats ont confondu son nom avec son prénom". 
 

Depuis le jeune, formé et inséré ici a disparu des radars. Il sera probablement inscrit dès demain au fichier des personnes recherchées puisqu'il s'est dérobé à la convocation de police. Son trajet d'insertion est brisé.

Marie-Pierre Barrière, membre de Réseau Education Sans Frontières


Ils s’appellent Tanguy*, Archange*, Wahid*, Haseeb* ou encore Hacim* et subissent, depuis la fin du confinement, le même sort.
"On n’arrête pas de recevoir des obligations de quitter le territoire pour ces jeunes et les recours portés auprès du Tribunal administratif, jusqu’à présent favorables aux jeunes, sont aujourd’hui défavorables. Le Tribunal Administratif ne casse plus les OQTF".

Résultat, ils sont où seront convoqués en gendarmerie ou au commissariat de police. "S’ils n’y vont pas ils passent dans le registre des personnes recherchées. Et le fait de s’être dérobé à une convocation de police ou de gendarmerie peut être utilisé contre eux. Et s’ils y vont c’est pour être assigné à résidence et leur signifier tôt ou tard qu’un billet d’avion les attend". "Non, non, ces jeunes-là ne sont pas assignés à résidence, précise Denis Gaudin, secrétaire général de la préfecture de la Marne. On leur notifie l’OQTF, on leur explique ce qu’ils doivent faire".
Ils ont 30 jours pour quitter le territoire. Cruel dilemme pour ces enfants arrivés mineurs dans la Marne et qui ne rêvent que d’une seule chose : étudier et se former.
Un des jeunes a même reçu une obligation de quitter le territoire sans délai avec deux ans d’interdiction de retour. Il est sur le territoire depuis 5 ans. "Le gamin est hébergé par une association. Il est parrainé. C’est un jeune hyper encadré. On a fait un recours"

Des actes de naissance rejetés

"Les OQTF sont principalement sur des jeunes qui n’arrivent pas à faire la preuve de leur identité à cause d’actes d’état civil jugés faux ou irrecevables par la police aux frontières, explique encore Marie-Pierre Barrière. Donc on leur demande d’en rapporter de nouveaux et puis au final, je pense que la préfecture se lasse et elle décide de trancher et de mettre une interdiction de quitter le territoire. On a l’impression d’une sorte de sortie de crise où on élimine très vite ceux qui étaient tangents pour lesquels jusqu’à maintenant on attendait, on leur laissait une chance. Maintenant il faut rejeter, exclure, expulser. Je ne sais pas, mais nous sommes très inquiets".

"Pour nous, ces gens arrivés sur le territoire français, réclament une régularisation avec des faux papiers, explique Denis Gaudin, secrétaire général de la préfecture de la Marne. Ils nous présentent des documents d’état civil qui sont faux, falsifiés, non valables. Je vous dis cela avec beaucoup d’assurance parce chez nous cela est vérifié par deux personnes dont c’est le métier. Ils sont formés à cela, ils connaissent les papiers des différents pays, ils savent reconnaître les fraudes. Tout ceci me pose problème et notamment il est assez étonnant de réclamer des papiers à un pays, où l’on souhaite s’installer, en commençant par une fraude. Des fraudes à l’état civil et des fraudes à la nationalité. Quand on se trouve devant ce cas de figure, on leur demande de revenir vers nous avec des papiers qui soient utilisables. Et force est de constater que soit ils n’en ont pas, soit il y a des gens qui reviennent deux fois, trois fois, jusqu’à six fois avec des papiers qui ne sont pas plus valables la première fois que la dernière. Je n’accepterai pas de régulariser quelqu’un qui arrive avec des faux papiers, c’est aussi simple que cela".

Mais pourquoi reviennent-ils jusqu’à six fois s’ils ne sont pas convaincus qu’ils ont entre les mains leurs vrais actes de naissance ? D’ailleurs ces dix jeunes concernés n’ont pas été, à ce jour, condamnés pour faux et usage de faux. L’état français n’est pas non plus sans savoir que dans de nombreux pays d’Afrique ou d’Asie, l’état civil est quasi inexistant. Que déclarer un enfant à sa naissance n’est pas une obligation. "Ca n’est pas mon problème, précise encore Denis Gaudin. Mais nous avons un nombre conséquent de jeunes qui arrivent à être régularisés et qui nous fournissent des papiers valables".


Mineurs devient majeurs et doivent partir

Ibtissam Bouchaara, autre membre de RESF, et Marie-Pierre Barrière se battent au quotidien auprès de ces jeunes. "Quasiment tous ont été accueillis mineurs et placés", insiste Ibtissam Bouchaara. Jusqu’à leur majorité ces jeunes, reconnus mineurs, ont été pris en charge par le service d’aide sociale à l’enfance qui dépend du conseil départemental de la Marne, et placés en foyer. A leur sortie très peu bénéficie des "contrats jeunes majeurs", un outil qui permet aux jeunes de 18 à 21 ans de continuer leur insertion sociale et scolaire faute de ressources et de soutien familial suffisants. "Et quand ils en bénéficient, c’est pour six mois", précise Marie-Pierre Barrière. Ce sont donc les associations comme RESF, Hesope pour l’hébergement, le Secours Catholique, et bien d’autres, déjà présentes auprès du jeune, qui prennent le relais. Un travail incessant pour les soutenir et quand arrive la décision de l’administration, c’est le coup de grâce pour les jeunes adultes mais aussi pour les bénévoles qui les ont encadrés depuis des années.

Tous scolarisés

"Ils sont en formation et réussissent bien. Ils ont de bons résultats, ils sont vraiment méritants, précise Marie-Pierre. L’un d’entre eux est arrivé totalement illétré. Il s’est formé en logistique et veut refaire une formation en coiffure. Il a bossé comme un fou. C’est vraiment un gars super sérieux. Il y en a trois qui commencent un BTS l’année prochaine et un autre qui demande une 1ere STMG, une passerelle, après un CAP de cuisine, parce qu’il souhaite faire des études de droit et science politique". C’est le cas de Tanguy*. "Il a une volonté de progresser. Son souhait c’est de continuer les études. Il a obtenu son CAP et soit il continue en bac pro, soit il bénéficie de cette passerelle. On va présenter son dossier à l’académie. S’il est pris, on va payer l’internat et faire en sorte que cela soit possible. Sinon il continuera en 1ere bac pro au CFA". Pour Archange* aussi la situation est tendue. Il va obtenir son baccalauréat en juillet et il est pris dans plusieurs BTS. Il a même été repéré par un patron qui l’a auditionné… et pour cause son dossier est excellent.
 

Je comprends bien qu’il y a un problème d’affect que ces jeunes sont sympathiques, bien intégrés. Je ne vais pas vous dire le contraire. Mais j’applique une réglementation comme on applique les lois dans ce pays de droit.

Denis Gaudin, secrétaire général de la préfecture de la Marne


"On est trois à prendre une décision. C’est une décision en escalier, il y a le chef de bureau qui fait une proposition, le directeur qui précise et moi à la fin qui prend la décision. Et deux tiers à trois quart des dossiers qui me passent sous les yeux sont régularisés, définitivement ou avec un titre de séjour temporaire", précise encore Denis Gaudin de la préfecture.

Un grand gâchis

Pour Tanguy*, "là encore c’est un problème de papier, d’acte de naissance, explique Ibtissam Bouchaara. Généralement quand tu obtiens une autorisation provisoire de séjour, ce qui est son cas, tu es régularisé. Ses papiers ont été jugés faux puis irrecevables. Qu’est-ce qu’on fait de tous ces gamins nous ? Ce sont des jeunes qui veulent se prendre en charge. Ils sont capables d’aller chercher du travail, de bosser à côté de leurs études. Ils ont prouvé qu’ils pouvaient passer des CAP en alternance. Ce n’est pas une charge pour la société. Je ne comprends pas. Tanguy* a commencé son apprentissage quand il était placé en foyer. Et malgré ses 24 fiches de salaire on vient de lui mettre une OQTF", s’étonne-t-elle.
La régularisation par le travail est possible, la Cour des comptes dans son rapport souligne l’augmentation de ces situations. En 2010, 515 personnes ont obtenues pour un motif professionnel leur titre de séjour. En 2018, 7564.
 

Certains partent à Paris et maintenant sont régularisés parce qu’ils ont travaillé. C’est quelque chose d’assez pénible pour nous parce qu’on estime que ces jeunes-là ont quelque chose à faire sur notre territoire.

Marie-Pierre Barrière, membre de Réseau Education Sans Frontières


"Ils ont été formés ici. La logique voudrait qu’ils soient employables ici et on les pousse à quitter le département et à aller travailler ailleurs. Pour moi c’est du gâchis".

On ne change rien

Un constat difficilement soutenable et pour autant les bénévoles de RESF et de toutes les autres associations vont continuer leur travail. Quant aux jeunes qui sont là depuis 4 à 5 ans, ils ont compris une chose. Ils savent désormais que ce n’est la France qui les rejette, mais l’administration. "Au départ certains me disaient, je ne comprends pas je n’ai pas fait de bêtises, pourquoi la France ne m’aime pas". Aujourd’hui, même avec cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, ils poursuivent leurs efforts.
"Je leur dire toujours de ne rien changer, reprend Marie-Pierre. Ils ont un projet, ils vont, ils font, Globalement, pour eux, ça ne modifie pas leurs ambitions. Il faut continuer à vivre comme avant (l’OQTF). C’est ce qui s’est passé pour Mouminy (jeune guinéen arrivé mineur puis renvoyé dans son pays. Il est depuis revenu pour continuer ses études) qui a eu son BTS sous OQTF. Plus ils montent et plus ils ont de chance soit de revenir si cela se passe mal, soit d’être soutenus par des gens qui croient en eux".
Alors, "nous ne pourrons pas laisser ainsi briser les destins de tant de jeunes méritants qui ont travaillé, œuvré sans trêve pour leur régularisation depuis le jour où ils ont touché le sol français. Il faudra agir, protéger, mobiliser. Ils sont de chez nous, ce sont nos enfants, nos élèves, nos frères, ils doivent rester ici", termine Marie-Pierre Barrière.

Il y a quelques jours à peine, un jeune, devenu majeur, a dû quitter le foyer de l’aide sociale à l’enfance. Dans ses valises une obligation de quitter le territoire.


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