A Vitry-le-François, une rencontre-débat sur le harcèlement scolaire était organisée ce lundi soir avec Nora Fraisse. Cette maman, qui a perdu sa fille victime de harcèlement, a créé l'association Marion, la main tendue.

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"Marion, ma fille, le 13 février 2013, tu t’es suicidée à 13 ans, en te pendant à un foulard, dans ta chambre." Ces mots sont ceux de Nora Fraisse dans le livre Marion 13 ans pour toujours (2015, éditions Calmann-Lévy), une lettre écrite à sa fille, partie trop tôt. L' histoire de Marion, insultée au collège et sur Facebook, est devenue un symbole. Avec son association baptisée Marion la main tendue, Nora Fraisse multiplie les interventions dans les écoles et les conférences, pour qu'on prenne au sérieux le phénomène de harcèlement scolaire.

Elle était l'invitée ce lundi soir, avec la psychologue de l'association, d'un débat organisé à la salle Simone-Signoret de Vitry-le-François. Très sollicitée, cette maman a accepté l'invitation de Bords II scènes car la structure culturelle vitryate mène depuis plusieurs mois tout un travail autour du harcèlement scolaire avec des interventions en classe, des conférences et un spectacle inspiré du livre sur Marion. Nous avons pu nous entretenir avec Nora Fraisse avant cette rencontre.

Votre livre "Marion 13 ans pour toujours" a été traduit dans le monde entier. C'est un succès rassurant ou inquiétant ?
Nora Fraisse : "C'est rassurant en se disant qu'on arrive à faire passer cette parole dans le monde entier. Et c'est inquiétant parce que ça veut dire que le monde entier doit s'attaquer à la lutte contre le harcèlement à l'école. Il y a un besoin d'expliquer ce qu'est le harcèlement, comment ça fonctionne, qui le subit, comment on peut le prévenir, comment on peut le détecter, comment on peut agir. Et surtout arriver enfin à faire baisser les chiffres. Un enfant sur trois au Mexique est victime d'intimidations, un sur dix en France. Tous nos enfants dans le monde entier sont un jour confrontés à ce phénomène de violences dans les écoles et autour des écoles, aux abords et sur les réseaux sociaux."

Marion, dites-vous, a sauvé des vies. D'un cas particulier, peut-on tout comprendre ? 
"D'un cas particulier, on ne peut pas tout comprendre mais on peut essayer de trouver des solutions pour le plus grand nombre. Il faut toujours malheureusement une première fois pour avancer et dire que ça ne doit plus arriver. Malheureusement, elle a en effet sauvé des vies, mais d'autres sont encore victimes de harcèlement. Il faut agir plus vite, plus fort, avec de vrais moyens."

La loi dit qu'il y a "harcèlement scolaire quand un élève fait subir à un autre, de manière répétée, des propos ou des comportements agressifs". Pourtant le harcèlement scolaire, c'est souvent l'affaire d'une meute.
"Absolument. C'est ce qui le différencie des autres types de harcèlement. C'est l'effet de groupe, c'est un groupe contre une autre personne. Une relation qui va être déstabilisée, asymétrique, où un groupe va s'en prendre à une personne qui va devenir la victime, la cible de menaces, de violences physiques, verbales, psychologiques à répétition et qui va rendre la personne victime susceptible de vouloir mettre fin à ses jours ou de ne plus vouloir aller à l'école. C'est ce qu'on appelle la phobie scolaire. La victime va développer aussi une grande fragilité personnelle."

A partir de quand les enfants peuvent-ils être confrontés au harcèlement ?
Dès 3 ans, dès la socialisation. Très vite, on voit les enfants qui ont de l'empathie, ceux qui en ont moins, ceux qui sont rejetés, poussés, exclus, seuls à la récréation, ceux à qui on ne donne pas la carte d'anniversaire. La répétition de toutes ces choses marque un enfant.

"La loi existe, il faut maintenant qu'elle soit appliquée."
- Nora Fraisse, présidente de l'association Marion la main tendue

Désormais, le harcèlement scolaire est un délit puni par la loi. Est-ce qu'Internet a accéléré les choses ?
"Oui, Internet a changé la donne. Après, ce n'est pas le fait d'être sur Internet ou sur les réseaux sociaux qui pose un souci, mais l'usage qu'on en fait. Il faut qu'on apprenne à nos jeunes, et à nos adultes aussi, à ne pas être haineux sur les réseaux sociaux, ne pas partager des rumeurs. Il faut faire un travail de prévention. Le délit de harcèlement à l'école est reconnu depuis la loi du 4 août 2014. Le cyberharcèlement est une circonstance aggravante, encore plus sur une personne vulnérable. Il faut agir, la loi existe, il faut maintenant qu'elle soit appliquée."

Aujourd'hui, un numéro existe : le 3020.
"Il ne faut pas avoir peur d'appeler si on est harcelé, si on est parents. Si on se pose des questions en se disant 'Est-ce que ce que je fais à l'autre est grave ? Est-ce peut-être du harcèlement ?', on peut aussi appeler pour essayer de comprendre la mécanique. Il y a aussi le 0800 200 000, le net écoute, qui est dédié au cyberharcèlement, si on voit une photo de soi qui est partagée. Si on est témoin, on peut également contacter la plate-forme Pharos qui dépend du ministère de l'Intérieur pour des propos qui vous paraissent incongrus ou diffamants. Surtout, il faut en parler, il faut sortir du silence."

L'Education nationale a-t-elle pris la mesure du problème ? 
"Avant, on collait une affiche dans les écoles et c'est tout. Depuis un an et demi, ça bouge un peu plus dans les établissements. Les parents, et aussi les enfants, sont plus conscients des problèmes de harcèlement. Les fédérations de parents d'élèves poussent les établissements scolaires à intervenir, à en parler avec les élèves. Mais l'Education nationale peut en faire plus. Il le faut, parce que les chiffres ne baissent toujours pas."

"L'empathie et la bienveillance, ce ne sont pas des gros mots. Il faut les apprendre aux enfants."
- Nora Fraisse, présidente de l'association Marion la main tendue


Comment agir justement contre le harcèlement ? 
"Il faut vraiment agir sur les témoins et les adultes. Il suffit d'une personne qui vous tend la main, qui vous dit 'Ça n'a pas l'air d'aller, qu'est-ce qui se passe ?' pour faire changer les choses. Il faut continuer à informer les parents, les grands-parents, travailler avec les équipes éducatives, les coachs sportifs... Ce 25 mars dans l'après-midi, à Vitry-le-François, les élèves de CM1 ont fait des ateliers sur le harcèlement en se mettant en scène. Une petite fille est intervenue pour empêcher qu'une autre se fasse harceler. 'Je me suis mise à sa place et je ne veux pas qu'on me fasse la même chose', a-t-elle dit. Cette petite fille a tout compris. Il faut toujours se demander 'Et si c'était moi ?' L'empathie et la bienveillance, ce ne sont pas des gros mots, il faut les apprendre aux enfants. Et aux adultes aussi. Le harcèlement existe dans tous les milieux."

Le harcèlement peut continuer quand on est grand, on l'a vu récemment avec la Ligue du LOL...
"Tout le monde est scandalisé par cette affaire de la Ligue du LOL, qu'une meute s'en soit prise à des personnes isolées, mais ça fait cinq ans que je vous raconte la même chose pour des enfants et on dit que ça va passer, que la victime est fragile, que ce sont des histoires de gamins, que 'c'était la faute à pas de chance', qu'il ne fallait pas s'inscrire sur un réseau social. Alors que non, sans agresseur, il n'y a pas d'agressé, c'est le début de l'histoire. Lors de mes interventions, je dis souvent aux victimes 'Vous n'y êtes pour rien, ce n'est pas de votre faute, c'est eux'. Quand on veut s'en prendre à quelqu'un, on trouve toujours quelque chose : il est trop gros, il est roux, ou encore homosexuel. Il faut d'abord écouter et se demander 'Et si c'était moi cet enfant harcelé ?'. Il reste encore tant de choses à faire, mais ça avance."

    
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