"C'est Jurassic Park" : les plantes carnivores du jardin botanique Jean-Marie Pelt de Villers-lès-Nancy

C'est un voyage extraordinaire que propose le jardin botanique de Villers-lès-Nancy avec ses collections de plantes carnivores des principales zones autour du monde où elles vivent. Tout un monde étrange et fascinant protégé par une équipe aux petits soins.

Non, la visite de l'espace des plantes carnivores du Jardin botanique Jean-Marie Pelt de Villers--lès-Nancy ne va pas vous emmener dans un univers à La petite boutique des horreurs. Rien de tel. Rien d'impressionnant au premier abord dans la petite salle qui leur est dédiée. Rien, pour celui qui ne sait pas voir. Mais, lorsqu'on y regarde de plus près c'est un bien singulier tour du monde qui s'offre à nous.

C'est, accompagnée du responsable scientifique des collections des plantes sous serres, dont font partie les plantes carnivores, Carl Berthold, que j'ai eu la chance de découvrir la nouvelle salle qui leur est dédiée. Cet espace, créé pendant la période de fermeture liée à la crise sanitaire, est conçu tout autour de la pièce pour vous faire circuler dans 15 écosystèmes qui reproduisent les conditions naturelles d'habitat des principales espèces de plantes carnivores connues.

D'un pas vous franchissez l'océan entre la région du Fynbos en Afrique du Sud et celle des Tepuys au Venezuela. Pour revenir ensuite sur l'espace méditerranéen et évidemment l'Australie qui compte un très grand nombre d'espèces.

Intarissable, le jeune homme explique sans répit et avec un enthousiasme communicatif les caractéristiques de l'installation et des plantes qui s'y trouvent. Bombardée d'informations, je suis d'abord un peu sonnée, puis mon bouillonnant guide m'invite à me rapprocher de ses petites protégées. Et là, la magie opère. Le spécialiste a le regard qui brille devant le détail d'une Drosera Micrantha  "On dirait un tapis, vous voyez ?", puis il passe à une autre et ainsi de suite pour me montrer la beauté de chacune des espèces présentées.

Il s'extasie aussi devant le résultat du travail mené par les experts du Jardin botanique pour réaliser ces zones de présentation, qui sont de petites prouesses techniques à elles toutes seules. Ça, le visiteur ne le voit pas et ne le sait pas. Mais la performance réalisée pendant la fermeture est unique en Europe. Des conditions climatiques propres à chacun des espaces sont reproduites, les caractéristiques géologiques sont respectées. Dans un souci de réalisme, les plantes carnivores sont présentées avec leurs voisines de contrées, comme sur les photos témoins, recréant ainsi fidèlement leurs conditions naturelles en milieu autochtone.

Il a fallu par exemple laver des sables, ou des tourbes pour que certains minéraux qui s'y trouvent soit ôtés, afin de préserver les plantes ! Imaginez encore, que pour recréer les conditions de vie australienne des Byblis, il a fallu déclencher et maîtriser un incendie à l'intérieur même de la salle. Cette plante ne se régénérant -comme le Phoenix - que par le feu. Ou encore, afin de présenter une espèce endémique à certaines falaises située sur une zone qui s'étend du Sud Ouest de l'Oregon au Nord de la Californie (la Darlingtonia californica), il a fallu trouver de la serpentine, une roche qui n'existe que là-bas (et également, le hasard faisant bien les choses, dans les Vosges). La diversité de ces "vitrines" de présentation de la collection du Jardin, nécessite un travail permanent de surveillance des cycles de vie de chaque plante, sans parler de leur nourissage. Mais, comme au théâtre, tout se passe en coulisses.

Les coulisses, ce sont les serres adjacentes, non ouvertes au public, et dont même l'accès à certaines allées n'est réservé qu'à une ou deux personnes. Dont évidemment le responsable scientifique des serres Carl Berthold. L'homme, à l'image de ses collègues que nous avons déjà présentés est un passionné. Il se lance dans des explications pointues et ne s'arrête que si vous avez une question. À vous, béotienne de base, il apparaît comme un puits de science botanique, mais son humilité, propre à de nombreux scientifiques, l'amène à mettre en valeur le travail de son prédécesseur Aurélien Bour, parti pour de nouveaux horizons botaniques.

Carl Berthold ne tarit pas d'éloge pour son atypique prédécesseur, autodidacte et référent reconnu dans son domaine. D'un geste, il balaye l'espace des serres autour de lui : "Il a fait tout ça tout seul; c'est enthousiasmant !" Tout ça, c'est-à-dire constituer la collection de plantes carnivores qui compte plus de 650 espèces (sur une estimation totale et non définitive, de 391.000 plantes -pas que les carnivores- nombre qui évolue chaque année avec de nouvelles découvertes) et qui est devenue l'une des plus grandes et des plus reconnues d'Europe. Carl Berthold ajoute, non sans une pincée de fierté : "Nous sommes un des plus grands  contributeurs d'échange de graines de carnivores en Europe; il y a de l'attente de la part des autres jardins."

"Bizarre vous avez dit bizarre, comme c'est étrange"

C'est dire si leur travail est essentiel. Ça l'est d'autant plus que certains pays, pour protéger leur biodiversité (ou pour des raisons moins avouables), règlementent drastiquement toute sortie de plante ou de graine, comme le Bhoutan ou l'Afrique du Sud, qui investissent dans la conservation de sa biodiversité et souhaitent mettre en valeur son propre travail de recherche. Seuls les jardins botaniques possédant déjà les végétaux concernés peuvent alors présenter les plantes et échanger les graines.

Le Jardin botanique Jean-Marie Pelt recèle ainsi quelques plants trésors, recensés dans son index seminum, le catalogue de la graineterie, que nous avons déjà évoqué. Il possède aussi des exemplaires de plants de Nepenthès qui n'existent plus à l'état naturel. Avec cet exemple, le jardin joue à plein son rôle de conservation et de préservation des espèces menacées et protégées. Ce que monsieur Berthold qualifie joliment en un sympathique et coloré franglais d'"Ark de Noah". L'homme est tellement passionné, qu'il n'hésite à mettre la main à la poche personnellement pour acquérir des espèces que le jardin ne possède pas encore. 

C'est un peu le sentiment qui nous anime lorsque notre regard se pose sur une plante carnivore. Elle nous apparait bizarre, contre-intuitive. Pour reprendre les mots d'Aurélien Bour, rapportés dans l'article de France Bleu (en lien plus haut) les plantes carnivores "sont des plantes punks, c'est transgressif et marrant". Dans une nature où l'animal semble régner, ce sont elles, malgré leur fragilité apparente, qui se nourrissent des insectes. Une inversion des rôles. Et on n'imagine pas tous les trésors de stratégie qu'elles ont développés au cours des millénaires pour arriver à leurs fins. Petite précision au passage, la présence de plantes carnivores sur terre est avérée depuis la fin du Crétacé. Ce que Carl Berthold traduit avec émerveillement en regardant une petite plante devant lui : "Quand tu regardes cette drosera, c'est Jurassic Park que tu vois!"

Quand tu regardes cette drosera, c'est Jurassic Park que tu vois !

Carl Berthold, responsable scientifique des serres

Au-delà de ce voyage dans le temps, le monde des plantes carnivores nous fait également voyager dans le monde de l'étrange, où les plantes démontrent qu'elles ont autant de ressources que l'imagination humaine peut en avoir, pour aboutir à leurs fins. Certaines se parent entièrement d'adhésif, dans lequel les insectes viennent s'engluer avant d'être digérés.

D'autres disposent d'urnes, d'outres avec ou sans clapet, au fond desquelles les insectes sont piégés par des liquides résineux ou enzymatiques. Et d'autres ont de grands poils, capables de faire la distinction entre le passage d'un insecte et celui d'une goutte d'eau, et d'enclencher la fermeture de ses parois uniquement lorsqu'elle détecte sa proie. Dionaea va ainsi pouvoir actionner son piège trois fois seulement avant de mourir. Il vaut mieux pour elle qu'elle sache différencier son repas du reste ! Brocchinia hechtioides, quant à elle fait partie de la famille des bromeliacées dont font également partie les ananas. "Une carnivore et un ananas dans la même famille !" s'amuse l'expert.

Il existe deux espèces qui usent de complicité avec un animal pour obtenir les nutriments dont elles ont besoin : Roridula est l'une de ces deux exceptions symbiotiques de l'espèce, et on la trouve à Nancy. Elle attire à elle un insecte compagnon Pameridae roridulae, qui vient déposer ses excréments, qui contiennent les éléments nutritifs pour la plante. 

Et puis il y a aussi, les plantes carnivores aquatiques tropicales qui ont développé un système d'aspiration tellement puissant que si on devait le reproduire à l'échelle humaine, ce serait selon Carl Berthold "phénoménal". 

Sans oublier les astucieuses, comme Sarracenia, qui changent leur état en fonction de la période: de plantes carnivores en phase de croissance, elles sont capables de se modifier en plantes à feuilles photo-synthétiques en période de repos. La liste est longue et on pourrait continuer à dérouler l'inventaire à la Prévert de toutes les particularités et étrangetés que les plantes carnivores ont su mettre en place. 

Laissons le mot de la fin au responsable scientifique des serres. Malgré sa jeunesse - il n'a que 33 ans - il a de sérieuses connaissances universitaires et de belles expériences derrière lui. Il a les yeux qui brillent quand il raconte son périple au Bhoutan, à la recherche d'une espèce rose de pavot bleu (!) dont on ne trouvait plus la trace depuis 50 ans. Arrivé presque au terme de la mission, l'équipe finit par trouver la fleur à 5.200 mètres d'altitude. Propice à la contemplation, le lieu lui inspire cette pensée : "Il n'y avait pas un être humain à l'horizon; je me suis assis et j'ai observé. Effet Waouh ! Et puis j'ai pris conscience de tout ce qu'on perd avec l'activité humaine, de la fragilité de ce qui nous entoure." Un déclic pour devenir un des acteurs de la protection de la flore. Et une bonne étoile ensuite pour accéder à ce poste au Jardin botanique de Nancy, très convoité. 

Avec sa collection de plantes carnivores, les serres du Jardin botanique Jean-Marie Pelt vous proposent trois voyages -autour du monde, dans le temps et dans l'étrange-, pour le prix d'un ticket d'entrée, qui dit mieux ? Et s'il vous reste des questions sur la façon dont on les nourrit et on les entretient, rendez-vous au Jardin.

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