Le changement climatique est une réalité. Inondations et sécheresse, les chercheurs, hydrologues et acteurs de la gestion l'eau consacrent une journée d'étude aux aléas climatiques qui menacent la Lorraine
Le laboratoire LOTERR (laboratoire de recherche en géographie) de l'université de Lorraine organise jeudi 4 mai 2023 à Montigny-lès-Metz (Moselle) en partenariat avec la DREAL Grand Est, une journée d'étude consacrée aux crues de 1983 qui inondèrent tout le bassin versant de la Moselle et à la sécheresse de 2003. Deux évènements climatiques majeurs qui ont marqué les esprits par leur ampleur. Didier François, ingénieur-hydrologue et membre du comité d'organisation explique: " Ce qui nous intéresse en hydrologie, ce sont les évènements extrêmes. Depuis 1983, les crues ne sont pas forcément plus graves mais plus fréquentes. Quant aux sécheresses, elles ont tendance à se banaliser."
A quarante ans de distance pour les crues de 1983 et vingt ans pour la sécheresse de 2003, il convient selon les chercheurs du laboratoire LOTERR de reconsidérer notre perception des évènements. Ils ont fait appel aux historiens afin de nous interroger sur notre perception faussée lorsque nous sommes confrontés aujourd'hui à un évènement climatique extrême.
Pour Claire Delus, maitre de conférence au laboratoire de recherche en géographie, travailler avec des historiens permet d'avoir le recul nécessaire pour se rendre compte qu'un évènement climatique actuel que nous considérons comme une catastrophe d'une ampleur inégalée, s'est déjà produit à plusieurs reprises dans le passé : " Dans les sources documentaires des historiens, on lit souvent des phrases du type : " de mémoire d'homme, on n'a jamais vu ça ! " la contribution des historiens permet de relativiser cette perception. "
Placer les travaux d'expertises des chercheurs du LOTERR dans une perspective historique
Deux historiens interviendrons sur le thème : " Faire face aux aléas hydrologiques extrêmes à Metz sur la période XVe-XIXe siècles ". Les sources narratives évoquent ce que l'on appelait autrefois " les grands débordements ". Ainsi, la chronique fait état de la grande crue d'octobre 1778 qui fit à Metz de nombreux morts et dévasta quantités d'habitations.
Placer les travaux d'expertises très pointus des chercheurs du LOTERR dans une perspective historique tout aussi exigeante donne une acuité particulière face à la question de la gestion des aléas climatiques par les pouvoirs publics. Les grandes crues du bassin versant de la Moselle sont restées en mémoire par les dégâts considérables occasionnés aux personnes et aux biens à Nancy et Metz. La cartographie de Nancy à ce stade est édifiante. En cinquante ans, tout le lit majeur de la Meurthe a été urbanisé.
Comme le souligne les chercheurs Emmanuel Chiffre, Denis Mathis et Anne Mathis dans : " Les inondations à Nancy, anciennes et nouvelles problématiques.", A l'origine, Nancy a été construite dans une perspective stratégique afin de contrôler le franchissement de la Meurthe via le plus vieux pont de l'agglomération, celui de Malzéville. Les habitants considéraient la Meurthe comme une rivière dangereuse et les habitations se tenaient à l'écart. Selon les auteurs, " la ville n’a pris conscience de sa vulnérabilité qu’avec l’extension de l’urbanisation." Une urbanisation galopante qui a fini au fil du temps par occuper le lit majeur de la rivière.
Il ne faut pas dire que l’on n’avait pas conscience des risques car il existe des documents du 19e siècle où des ingénieurs des ponts et chaussées écrivent qu’il ne faut pas construire en zones inondables.
Claire Delus, maitresse de conférence au laboratoire LOTERR de l'université de Metz
Les crues de 1983 marquent un tournant majeur dans la gestion du risque par les pouvoirs publics. Les inondations à répétition des quartiers entre Meurthe et canal, vécues comme une fatalité, sont devenues inacceptables pour les habitants. Des travaux d'envergure ont été entrepris et des aménagements calibrés pour des crues trentenales ont été entrepris.
L'orage de 2012 réveille une mémoire douloureuse
Les pluies diluviennes qui se sont abattues sur Nancy le 21 mai 2012 ont ravivé une mémoire locale douloureuse. 82 millimètres d'eau sont tombés entre 22H00 et minuit. Tomblaine et Essey-les-Nancy (Meurthe-et-Moselle) sont inondés par les ruisselements et le Grémillon en crue. Une femme nonagénaire perd la vie en se noyant dans sa cave.
Pour les organisateurs cette journée d'étude permet de réunir tous les acteurs concernés par la gestion des risques engendrés par les aléas climatiques. Voilà 30 ans, seuls l'Etat et l'Agence de l'eau étaient concernés par les travaux des hydrologues et des chercheurs de l'université de Lorraine. Aujourd'hui, les acteurs se sont multipliés comme les établissements publics de bassins, les communautés de communes, les associations de pêche. Toutes ces entités disposant d'expériences diverses mais morcelées.
Inciter les différents acteurs à s'approprier les outils
Les chercheurs du LOTERR ont identifié des territoires clairement touchés par le changement climatique. C'est le cas des Hautes Vosges considérées comme " le château d'eau " de la Lorraine et menacées de pénurie d'eau.
Pour les membres organisateurs de cette journée d'étude, ce type de rencontre est primordial. Le changement climatique doit pousser à la mise en commun des connaissances et surtout inciter les différents acteurs à s'approprier les outils élaborés par LOTERR: " Nous voulons en tant que chercheurs montrer ce que nous faisons car nos recherches sont opérationnelles. Nous souhaitons que les outils que nous proposons, les méthodes que nous élaborons soient utilisés."
Car le travail d'expertise reconnu des chercheurs et des ingénieurs-hydrologues lorrains ne peuvent avoir de sens que s'ils sont réellement pris en compte et traduis dans des plans d'actions.