Depuis plus d'un mois, le service d'anesthésie-réanimation du CHRU de Nancy est en perpétuelle effervescence. Ici, on accueille les patients les plus gravement atteints par le Covid-19. Vendredi 10 avril, l'équipe nous a exceptionnellement fait partager son quotidien.
Vendredi 10 avril 2020. Depuis quelques secondes, au bout du couloir du premier étage, la lumière rouge clignote. Comme pour annoncer le mauvais temps. "C’est pas bon signe. Une alarme critique qui nous oblige à aller vite". Alors Claire, 36 ans, infirmière dans le service anesthésie-réanimation du CHRU de Nancy, se dépêche. A pas rapides, elle se dirige vers la chambre 23. Dans le couloir, elle est suivie d'une autre infirmière, d’une aide-soignante, de deux médecins. Une attitude soudée. Ils sont méconnaissables derrière leurs masques et leurs filets à cheveux.
C’est un malade atteint du covid19. Il est là depuis une fièvre, une toux et une détresse respiratoire. Après un passage aux urgences, il est arrivé ici puis placé en coma artificiel depuis une semaine, branché à des respirateurs. "C’est notre quotidien on passe beaucoup de temps dans les chambres", dit Claire en sortant de la pièce en même temps qu'elle jette sa tenue de protection dans la poubelle.
Pour rentrer dans "le cœur du réacteur de la médecine d'urgence" comme dit la professeure Losser, il faut tout un équipement protecteur. Surtout se protéger le visage. "Je vous offre un masque FFP2, et vous pourrez venir avec nous".Je vous offre un masque FFP2.
- Professeure Marie-Reine Losser, responsable du pôle anesthésie-réanimation
A chaque fois lorsque l'on rentre dans la chambre d'un patient, il faut s'équiper. Les masques de protection, surtout les FFP2, en bec de canard, plus sûrs pour le personnel sont distribué au compte-goutte. "Ici on les tient sous clé, comme une denrée rare. Un trésor." Car dans la chambre d'un malade il faut renforcer plus que jamais les mesures barrières. "On commence sérieusement à manquer de surblouses, de masques. Pour les masques FFP2…", dit Marie-Reine Losser. Elle ne finira pas sa phrase. Le téléphone sonne, enveloppé dans un petit sac en plastique transparent. Tout va très vite.
Le covid19 ne laisse pas de répit
Le service anesthésie-réanimation et soins intensifs est en première ligne de cette pandémie due au covid19. Depuis déjà huit semaines. Au milieu de l’incessant ballet, tout le monde est en perpétuel mouvement dans un couloir rempli de bleu, de violet, de vert, de banc. Une farandole de couleur.Dans une autre chambre, elle se retrouve avec un kiné, un chirurgien et une aide-soignante. Ils se tiennent à distance, quand même. Par précaution. Les soignants doivent faire face à la peur de contaminer leurs proches. Ils sont nombreux à transposer chez eux les règles strictes d’hygiène qu’ils appliquent au travail. Avant de quitter l’hôpital Claire prend toujours une douche et obéit aux règles sanitaires les plus strictes pour rentrer ensuite chez elle, à quelques kilomètres de Nancy, pour retrouver sa famille et ses deux enfants. "J'ai trop peur de ramener la bestiole chez moi. C'est ma hantise". A ses côtés, une autre infirmière lui souffle "de toute façon, nous allons tous l’avoir".
"Nous sommes le mulet pour le virus", dit Marie-Reine Losser. Ainsi, dans le Grand Est, l'idée d'avoir passé le premier pic épidémique oblige les autorités à rappeler que seul le confinement permet d'éviter un rebond. "Les malades du coronavirus restent plus longtemps en réanimation. En moyenne, la durée varie de dix à vingt jours. Pour un malade du covid19, elle peut aller jusqu’à trois semaines."
Dans le couloir, entre deux soins, deux médecins discutent. "Je n’ai jamais connu un truc pareil. Je n’ai jamais fait ça. Et la contamination est un risque permanent mais ce n'est pas la guerre. Qui peut dire qu’à la place du ministère de la Santé, il aurait fait mieux?" Puis une autre médecin, venue de Grenoble pour donner un coup de main, s'invite dans le petit groupe. "Maintenant il faut que les gens comprennent que c'est le confinement qui produit cet effet-là. Mais comment mettre en place le déconfinement? C'est quand même de la médecine de catastrophe."Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi violent
- Un médecin du service
"Il y a une diminution de la pression sur les lits. Il y a quelques lits disponibles. C'est un signe encourageant. Petit à petit il y a à nouveau des lits disponibles", dit le Pr Marie-Reine Losser, responsable du pôle anesthésie-réanimation. "Nous sommes arrivés en haut de la crête et il va falloir tenir. Il faut que l'on s'organise."
La sortie et la guérison
La préparation d'une possible sortie d'un patient en voie de guérison, c'est une nouvelle qui remonte le moral de toute l’équipe. "Hier, un homme de 70 ans est parti. On était soulagé. Il était bien. On a eu tellement peur pour lui." Puis dans l'après-midi, le visage de Claire exprime un peu de fatigue. Elle aussi, comme les autres, ne compte plus les heures de gardes. "On est là 12 heures par jour. On alterne les nuits où les jours. Et l'inverse." Comme tous les autres elle a annulé ses congés. "On a eu très peur le week-end du 30 mars car ça n'arrêtait pas. Un malade arrivait toute les heures" se souvient-elle. "C’était très angoissant de voir la vague monter. On a eu peur de voir se reproduire la même situation qu'en Italie. Alors, franchement, oui à un moment, la situation était très tendue. Mais là, ça va mieux."Au bout de la pièce, dont la porte est barrée de sens interdits, la vie est en pause. Elles sont quatre, assises sur des tabourets. Un moment de calme plutôt bien venu. Au-dessus de la tête de l'infirmière, une télé nous rappelle quand même que nous sommes à l'hôpital, dans un service de pointe. L'écran, lui aussi avec des lignes, bleues, blanches, rouges, montre la fréquence cardiaque de tous les patients hospitalisés.La peste vient de l’excès. Elle est excès elle-même, et ne sait point se tenir
- Albert Camus, dans Exhortation aux médecins de la peste
Et toutes les deux minutes, Claire lève la tête. Pour contrôler. Ça crépite sans cesse. Un bip, bip, bip continu. A ce moment-là, son regard reste toujours en éveil. En alerte. Pas de répit. Toujours sur le qui-vive. Lorsque tout à coup, elle se lève. Là, en plein milieu d'une phrase, "je vous laisse. C'est une urgence". Le stress est monté. On ne terminera jamais notre discussion. Et comme tout à l'heure ils sont deux, trois, puis quatre à courir dans le couloir. C'est reparti.
Ici, ils voient tous la réalité de la situation. En espérant le vaccin. Un jour ou l’autre.