RECIT. Au coeur du service réanimation à l'hôpital de Nancy : "je me dis, est-ce qu’il y aura une fin un jour ?"

Un an après le début de l'épidémie de Covid-19, et face à une situation toujours critique, dans le service de réanimation du CHRU de Nancy les patients sont de plus en plus jeunes. Mais ici tout le monde est fatigué et lassé avec cette question : "ça va s'arrêter quand ?"

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Derrière le tissu des masques FFP2 qu’elles étaient déjà habituées à porter bien avant l’épidémie, on peut imaginer toute la fatigue d'une longue année de virus, "il y a un effet de lassitude, on est dedans en permanence, en permanence, en permanence ...". En temps normal, Fanny est infirmière de bloc opératoire. "Puis je me suis retrouvée ici en réanimation avec une organisation différente et très spécifique." On ne voit plus l’émotion qui peut naître de son visage. Seul les yeux rougis par le manque de sommeil témoignent du reste. Il y a quelque chose dans son regard qui en dit parfois beaucoup. "Peur oui. J’ai eu peur surtout pendant la première vague où les familles n'avaient même pas l'autorisation de rendre visite à leurs proches mourants."

Au deuxième étage du bâtiment Louis Mathieu du CHRU de Nancy, dans les couloirs de la réanimation, visiblement l’été est déjà très loin et n’a pas suffi à recharger les batteries.

Mais comment cette fatigue est-elle devenue une compagne si familière ? "Franchement je me dis : est-ce qu’il y aura une fin ? Car en fait après la première vague on s’était dit qu'il fallait tenir et qu'après ça ira, puis il y a eu la seconde, et maintenant la troisième. On a l’impression que c’est sans fin. On ne voit pas le bout", dit Fanny. 

On veut que les gens respectent les consignes

Pauline, infirmière

Pour eux, il faut constamment gérer le flux épidémique. Mais après il va falloir rattraper le retard de prise en charge des patients dont les opérations sont déprogrammées. "Toutes les pathologies s’effacent pour la Covid, et pour les patients c’est difficile avec des conséquences parfois lourdes", raconte le docteur Jean-Marc Lalot, 

Un jour sans fin

A côté de Laurent, aide-soignant, elles sont trois infirmières, assises au coin d'une table tout au bout de la réanimation, devant une grande baie vitrée. Une vue sur le bâtiment un peu triste de l'hôpital d'enfant. Il date des années 70. Les années de Gaulle. Et puis il y a ce bruit incessant du moniteur. Et aussi celui du téléphone qui sonne souvent, "les familles appellent pour prendre des nouvelles". Dans les chambres les télés sont éteintes. Pas de BFM avec les chiffres des hospitalisations, qui s’emballent jour après jour, semaines après semaines. Et l'anxiété générée par cet environnement intense de stress permanent. Puis pêle-mêle tout le monde parle, en même temps : 

- "Y'en a marre de tous ces gens qui ne respectent rien", dit une infirmière. 

- "Le manque de respect c'est lourd. Car toi t'es ici comme un con et dehors ils ne respectent rien. Alors qu’ici tu vois les gens mourir, hein !  Cela m'énerve", répond une autre.

- "Mon mari, qui est chirurgien dit que si cette pandémie touchait vraiment les enfants et que tes propres enfants risquaient d’avoir la Covid et terminaient en réanimation, et bien crois-moi que tes amis tu ne les inviterais plus chez toi. Et qu’ils feraient attention. Mais là ça touche les personnes âgées, les gens obèses, bref… raconte de loin une infirmière avant de repartir aussi sec. Désolé, je croyais que vous parliez des soins."

- Et Fanny arrive : "l'autre jour on m'a demandé : "Il paraît qu’il y a du monde en réanimation? C'est vrai ?".  Alors forcément, je leur dit : "d'après vous ?" Mais venez voir !"

- Les gens ne croient pas ce qui se passe ? 

- Regardez, l'autre jour mon garagiste m'a demandé : Alors c’est comment ? Alors je lui dis : pas très bien ! 

Et c'est vrai. Ici c'est un monde à part. Tout le monde est toujours et tout le temps en mouvement. Pour rentrer dans une chambre, l'indispensable gel hydroalcoolique. Pour en sortir, encore le gel hydroalcoolique. Des chambres suréquipées qui protègent du virus mortel les malades aux défenses immunitaires devenues défaillantes, et de plus en plus jeunes.

L'apparition des variants

Ils sont six ou sept derrière le chariot et l'ordinateur. Les internes, les infirmières, les chefs de clinique. C'est l'heure des visites. "On fait le point, la tension, la prise de sang ..." 

Dans la chambre un malade de 56 ans, "lui il semble sorti d'affaire". Sur la petite tablette, des pansements, des compresses, une odeur de désinfectant. Un remue-ménage qui est fatigant. "C'est notre quotidien. On n’a pas le choix." Ce n'est plus la fatigue physique qui vient bousculer le mental, c'est la fatigue psychique qui vient envahir le corps. "On doit être sur un 50/50", dit Laurent, la charlotte bleue sur la tête. 

Au cœur des unités Coronavirus, les traumatismes vécus commencent seulement à s'exprimer. Avec les variants anglais ou brésilien, ils sont confrontés à un flux ininterrompu de patients. "On a des patients beaucoup plus fragiles, compliqués à prendre en charge qui ont une vraie perte de chance et qui deviennent des patients de réanimation avec l'apparition des variants, raconte Pauline infirmière en soins intensifs. Il n'y a pas un jour ou je ne pense pas à eux, ou je n'ai pas peur pour eux". La volonté de repartir au combat d'un côté. "Vous me dites enfin que je suis fatiguée ? Mais oui je suis épuisée".

De l’autre, le découragement de ses propres limites. "On n'arrive jamais à déconnecter. Et des fois je me dis : "Qui a fait entrer l’hôpital chez nous, à la maison ? On aimerait bien retrouver notre métier d’avant".

Ce qui me frappe le plus c’est la résilience des soignants

Jean-Marc Lalot, médecin anesthésiste-réanimateur

Jean-Marc Lalot est médecin-réanimateur. Il partage son temps entre Nancy et Epinal. Il est arrivé dimanche à 8h30. "Je suis de garde pendant 24 heures, et même un peu plus". Il est midi. Nous sommes lundi et il est toujours là, "bon cette fois je pars et je reviens demain"

Stress, épuisement, les soignants tiennent bon… mais jusqu’à quand ? Régulièrement, les médias nous ramènent à la réalité de l'hôpital. Des chiffres. "Le manque d’envie, ce n’est pas dans notre ADN, mais on est lassé de faire tout le temps la même chose, du lundi au dimanche. C’est toujours la même chose, scanner, intubation, prise de sang", dit Jean-Marc Lalot.

- Vous répétez souvent la même chose. 

Puis l'échange devient silencieux.

- "Oui je sais et c’est embêtant. Nous les médecins-réanimateurs on est justes des besogneux. Mais c’est notre travail. Notre ADN. Pourtant y'a pas que la Covid mais même si on dit demain c'est terminé, on ne va pas sortir de ça aussi facilement, il faudra du temps."

La voix un peu fatiguée, selon lui avec la troisième vague "la lassitude gagne du terrain"

- "On n’a jamais eu des étés comme on a eu l’année dernière. Ce n’est pas fini. C’est toujours pas fini, franchement on compte beaucoup sur la vaccination."

Au début c'est sûrement le manque de préparation face à cette maladie inconnue qui a ramené le plus de panique. Maintenant c'est l'interminable quotidien. "C’est toujours la même chose, on va tenir le coup. On n’a pas le choix". Jean-Marc Lalot est médecin avant tout. "Les malades sont là, et nous on est là c’est notre métier, même si cela durerait cinq ans, six ans, dix ans, on serait là." Quoiqu’il en coûte.

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