Grève des internes en médecine : « j’ai 27 ans et je suis déjà fatiguée »

A l’appel de plusieurs associations étudiantes et de syndicats d’internes en médecine, les futurs généralistes sont appelés à la grève vendredi 14 octobre 2022. Ils entendent protester contre la volonté gouvernementale de mettre en place une quatrième année d’internat afin de combler le manque de praticiens dans les déserts médicaux.

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Elle ne décolère pas. Clothilde, effectue son sixième semestre d’internat en gynécologie à l’hôpital de Saint-Dié. Elle parcourt quotidiennement les 180 kilomètres aller-retour qui séparent son lieu de stage de son domicile nancéien : "je pars à 7h, j’ai pas le temps de voir mon fils, je rentre à 20h, quatre jours par semaine, pour 1800 euros nets par mois".

Le système de santé ne peut pas fonctionner sans nous, les internes en médecine.

Mikaël Bour, interne en médecine aux urgences du CHR de Metz-Thionville à l’hôpital de Mercy

L’ajout d’une quatrième année d’internat lui fait grincer les dents, fort : "on va encore servir de bouche-trous, sans le salaire qui va avec". La future médecin généraliste n’a rien contre une installation dans les "zones sous-denses", l’appellation ministérielle des déserts médicaux.

Avec son mari pharmacien, elle a le projet de créer une maison médicale en milieu rural, "on ne sait pas encore où, mais on ira là où on a besoin de nous". Mais la réforme annoncée plombe la jeune maman : "il n’y a déjà pas assez de maitres de stages pour toute la promo, je ne vois pas comment on pourrait en trouver pour une quatrième année, ou alors la formation sera bâclée, avec des médecins qui ne nous consacreront pas le temps nécessaire à un bon accompagnement".

Laetitia Mouche, trésorière du Rassemblement Autonome Unifié de Lorraine des internes de médecine générale (RAOUL IMG) craint également des effets délétères à la coercition : "comme un déconventionnement ou encore la limitation du quota de remplacement pour ceux qui refuseraient le dispositif, avec le risque d'une médecine à deux vitesses. Or les remplaçant sont essentiels au système de médecine générale".

Ne pas exercer seul

Mikaël le reconnait lui-même. Son parcours le distingue des autres internes. En première année il effectue actuellement son deuxième semestre aux urgences du CHR de Metz-Thionville à l’hôpital de Mercy. Il a 45 ans et a commencé sa carrière médicale comme infirmier libéral. Son ton est doux, posé, patient. Mais sa détermination est identique : "nous voulons de la reconnaissance pour notre travail et notre investissement dans le parcours de soin des patients".

Alors qu’il lui reste plusieurs années d’études, il a déjà le projet de s’installer à Verny, au sud de Metz, dans une maison médicale : "je ne veux pas exercer seul, j’ai besoin du contact de mes confrères". La coercition ne passe pas non plus : "nous ne pensons pas que ce soit aux jeunes médecins de payer le manque d’anticipation des différents gouvernements successifs quant à la pyramide des âges, quant à la démographie médicale et aux nombreux départs en retraite passés et à venir prévisibles des professionnels en place".

Le futur médecin est très attaché à la liberté de s’installer : "nous avons besoin de considération, et elle tarde à suivre. Lors de la revalorisation des gardes de nuits et de week-ends, bizarrement les internes avaient été oubliés". Il sera en grève demain vendredi, "nous sommes huit internes aux urgences à Mercy, et les huit seront en grève". Il se joindra au rassemblement des étudiants devant le CHRU de Nancy à 16h30.

Clothilde craint même qu’une quatrième année mal ficelée provoque l’effet inverse de celui escompté par le gouvernement : "je suis sûre que la coercition peut dégoûter du rural certains de mes  futurs confrères, et qu’ils pourraient du coup ne pas choisir de s’installer à la campagne, alors que je sais pertinemment qu’ils apprécieraient la patientèle rurale, exigeante mais fidèle".

Car la ruralité exige des visites à domicile, parfois nombreuses : "je le vois quand je fais mes remplacements le week-end, et on n’a aucune indemnité pour ça". Elle estime qu’une quatrième année, avec un quota de remplacements à faire en zones sous-dense serait une bien meilleur solution que l’année à temps plein : "la discipline serait revalorisée aux yeux de la population comme de nos confrères spécialistes, surtout si on peut être payé à l’acte".

Revalorisation de l'acte

Car l’exercice de l’internat reste rude financièrement : même s’ils remplacent des médecins installés, ils conservent leur salaire hospitalier. Pour Mikaël c’est 1539 euros bruts par mois, pour 48 heures de travail hebdomadaire : "on est à moins de huit euros de l’heure, et encore, quand on ne dépasse pas le quota légal d’heures…". Clothilde la jeune maman, et Mikaël l’ancien infirmier partagent la même vision de leur métier : "notre génération d’internes ne veut plus d’un sacerdoce et sacrifier sa vie personnelle sur l’autel de la vie professionnelle. Et même, si pour beaucoup d’entre nous, la médecine est une vocation nous attendons d’exercer dans de bonnes conditions avec du temps pour nos patients et pour nous pour bien les soigner".

Selon les internes que nous avons rencontrés, il devient également urgent de revaloriser l’acte, plafonné à 25 euros la consultation depuis 2017 : "on se sentirait enfin écouté, et compris". Leurs ainés, déjà installés, réclament la même augmentation et appellent à un mouvement de grève le 1er décembre prochain.

Le projet gouvernemental en détail

Interrogé par mail, le cabinet du ministre de la Santé François Braun nous fait savoir que "la médecine générale est aujourd’hui la seule spécialité à ne compter que trois années d’internat, en l’absence d’une année au cours de laquelle les étudiants exercent en tant que « docteur junior », dans une autonomie dite supervisée. Cette absence de phase de consolidation est considérée comme une faiblesse, qui ne favorise pas une installation immédiate en sortie de cursus. Concrètement, cette année complémentaire se traduira par la réalisation de stages exclusivement en pratique ambulatoire, c’est-à-dire sur le terrain auprès de médecins généralistes maîtres de stage universitaires".

Le gouvernement affirme agir dans la concertation : "nous souhaitons discuter avec les parties prenantes pour identifier les conditions qui permettraient que ces stages se fassent prioritairement dans les territoires les moins pourvus en médecins généralistes (zones dites « sous denses »).  Il ne s’agit pas ici d’une obligation mais d’une politique d’incitation forte et d’orientation des cursus en ce sens, qui produira des effets solides dans le long terme".

Une seule certitude, le gouvernement veut aller vite, puisqu’il nous confirme que "cette mesure forte, demandée par les acteurs du terrain comme par les élus locaux, afin de susciter une dynamique favorable d’installation dans les territoires, entrera en vigueur à la rentrée 2023".

Le ministère de la Santé précise que "la réforme, si elle est adoptée, s'appliquera aux étudiants qui débuteront leur troisième cycle d'études de médecine à la rentrée 2023", donc à ceux qui commenceront leur internat en 2023.

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