Le Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG) de Nancy fait partie des cinq laboratoires au monde à qui l'agence spatiale japonaise JAXA a confié la mission d’analyser les gaz de l'astéroïde Ryugu.
Il y a quelques jours, le Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG) de Nancy a reçu les précieux échantillons de gaz envoyés par l’agence spatiale japonaise, JAXA. Ils proviennent de l'astéroïde Ryugu. Des prélèvements opérés par la sonde Hayabusa2, qui s’était posée sur l’astéroïde.
Bernard Marty et son équipe ont pour mission, tout comme quatre autres laboratoires dans le monde (un aux États-Unis, un en Suisse et deux au Japon) de les analyser. Il nous explique : "Des scientifiques japonais ont procédé au prélèvement de ces gaz directement dans la capsule d'échantillons rapportés par la sonde en Australie le 5 décembre 2020. Ils ont monté un petit laboratoire sur place pour prélever le gaz et le répartir dans plusieurs bouteilles".
Capsule collection! The helicopter team immediately flew to the location identified by the DFS team. They searched for the fallen capsule by using radio waves and maps. Thank you very much!
— HAYABUSA2@JAXA (@haya2e_jaxa) December 6, 2020
(Collection Team M)#Hayabusa2#はやぶさ2#AsteroidExplorerHayabusa2 #HAYA2Report pic.twitter.com/KSyEbnU3Yd
C'est la première fois qu'il y a des gaz qui sont rapportés d'un astéroïde
"C'est la première fois qu'il y a des gaz qui sont rapportés d'un astéroïde. En fait, ce sont les échantillons de roches prélevés qui ont "dégazé" après le retour sur Terre de la capsule. C'est un peu l'atmosphère de cette petite "planète" qu’est un astéroïde que l'on découvre". Toutes les précautions sont prises. Les échantillons de gaz ne sont jamais libérés. La capsule, dans laquelle ils arrivent, est directement insérée dans un circuit sous un ultravide très poussé.
"La mission a décollé en 2014 et atteint sa cible en 2018. Le robot a échantillonné des grains et de la poussière à deux endroits. Le second échantillonnage fut particulièrement acrobatique puisqu’il consista à envoyer d’abord une charge explosive, le vaisseau spatial l'ayant largué s’étant réfugié derrière l’astéroïde, puis à prélever du matériel frais au centre du cratère formé."
"Le vaisseau spatial a quitté l'astéroïde en novembre 2019 et a ramené sa précieuse cargaison en larguant la capsule contenant les échantillons, qui atterrit le 5 décembre 2020 à Woomera en Australie. La capsule étant étanche, le gaz ambiant à l'intérieur a été récupéré et sera analysé dans plusieurs laboratoires. L'échantillonnage a été envoyé au centre de la JAXA à Tokyo, où les scientifiques ont eu l'excellente surprise de découvrir 5,4 grammes de grains et de poussière noire, 50 fois plus que la quantité nominale attendue" écrit Bernard Marty dans The Conversation.
C’est du gaz qui n’est pas terrestre
Bernard Marty et Michael Broadley, post-doctorant CRPG-CNRS, Université de Lorraine commencent à avoir des premiers résultats. Mais impossible d’obtenir d’eux la moindre information. "Pour l’instant, on ne peut pas en parler. Tout ce qu’on peut dire : c’est sûr, il y a du gaz qui n’est pas terrestre." Et pour cause, la primeur de leurs informations sera pour l’Agence Spatiale Japonaise, JAXA et pour les autres laboratoires. "D'ici un mois, nous aurons une vision de ce que les uns et les autres auront trouvé".
L’objectif étant une publication scientifique ensemble ou séparément d’ici moins de six mois. "Que nous disent les données sur l'astéroïde et la matière qui le forme ? C’est le but". Ces gaz et les échantillons de roches pourraient nous renseigner sur la formation du système solaire et donc sur nos origines.
Performant au niveau mondial
Si le CRPG de Nancy a été sélectionné pour recevoir ces échantillons, c'est qu'il a une expertise reconnue mondialement. "On a développé un savoir-faire sur l'analyse d'une certaine catégorie de gaz que l'on appelle des gaz nobles et on fait partie des laboratoires performant au niveau mondial". Les gaz nobles ont la particularité d’être inertes chimiquement. Ils ne provoquent pas de réaction chimique quand ils sont en présence d’autres gaz. Par exemple, dans l’air que nous respirons, il y a 1% d’argon qui est un gaz noble. L’hélium utilisé par les plongeurs est aussi un gaz noble.
L’intérêt d’étudier les gaz nobles est qu’ils permettent de dater les roches et minéraux. "Certains de ces isotopes de gaz rares sont produits par la radioactivité. Cela permet de mesurer l'âge des roches. Sur un astéroïde, on peut évaluer et mesurer combien de temps un échantillon a été exposé à la surface de l'astéroïde. Ils donnent de précieux renseignements sur l'origine du matériel qui composent l'astéroïde. Ce sont des témoins précieux."
Spécialisé dans l’analyse d’échantillons extraterrestres
Le CRPG s’est un peu spécialisé dans l’analyse d’échantillons extraterrestres. Sa force tient dans ses équipes de chercheurs et dans ses équipements de pointe. Il possède un spectrogramme de masse que le fabricant a spécialement adapté aux besoins du laboratoire. "En France, seuls deux laboratoires font ce type d’étude : Paris et nous" explique Bernard Marty.
Voyez ce reportage réalisé en mars 2019 dans lequel, l'équipe du laboratoire nous expliquait son travail sur la mission Hayabusa2 :
Des missions américaines, japonaises et chinoises
Une longue histoire existe entre le CRPG et la recherche spatiale. D'abord, il y a eu les roches lunaires apportées par les missions américaines Apollo. "Ensuite, nous avons été choisis par la NASA pour Genesis (2001-2004) puis Stardust. Pour les Japonais, Ayaboussa un autre astéroïde et Ayaboussa2. On est également sélectionné pour une mission américaine qui s'appelle Osiris Rex et qui va échantillonner un autre astéroïde du nom de Bennu. Le retour est prévu sur terre en 2023."
Le rover Perseverance qui s’est posé sur Mars, il a quelques jours, est aussi dans le calendrier de Bernard Marty qui travaille avec d’autres scientifiques pour la NASA au protocole pour le retour sur Terre des échantillons vers 2030. "On a des réunions zoom trois fois par semaine pour réfléchir à comment on va pouvoir les rapporter sur Terre sans risque de contamination martienne. Ensuite comment on pourra les sortir pour les caractériser et les analyser."
Nous vivons une accélération de l’exploration du système solaire. Début février, un nouvel acteur est entré dans la danse. La sonde Al-Amal (espoir en français) lancée par les Émirats arabes unis, s’est placée en orbite autour de Mars. Elle devrait fournir une image complète de la dynamique de la température dans l’atmosphère de la planète rouge. Comme l’écrit Bernard Marty, "La fête ne s'arrêtera pas là : la mission MMX de la JAXA qui décollera en 2024 va échantillonner une des deux lunes de Mars avec un retour dans les laboratoires terrestres en 2029. L'agence spatiale chinoise, CNSA a aussi de grandes ambitions dans ce domaine, projetant d'échantillonner la Lune – ce qu'elle a déjà commencé à faire avec la mission Chang'e 5 qui a ramené des basaltes les plus jeunes de notre satellite le 16 décembre 2020. Mais la Chine souhaite aussi ramener sur Terre des échantillons de l'astéroïde Kamo'oalewa vers 2032 (mission Zheng He) et de Mars à l'horizon 2040 ou avant. Plusieurs projets américains visent à analyser de la matière cométaire ramenée sur Terre, bien qu'aucune mission ne soit sélectionnée pour l'instant. Outre leur intérêt scientifique, ce type de missions a également comme conséquence d'accroître la connaissance technologique du domaine spatial, et de dynamiser la technologie analytique, dont l'Europe est un des leaders."
Plusieurs laboratoires en Lorraine et à Nancy en particulier participent à ces missions grâce à leurs scientifiques de haut niveau et à leurs équipements de pointe.