C’est une véritable enquête scientifique à laquelle des chercheurs de l’Institut Jean Lamour de Nancy participent actuellement avec le groupe "Pierre" du CNRS. Leur mission : découvrir la recette des mortiers utilisés sur la cathédrale par les bâtisseurs du Moyen Âge.
L’affaire est palpitante. Elle nous entraîne au Moyen Âge grâce à des outils ultra-modernes, à la pointe de la technologie. Ici à Nancy, sont arrivés des échantillons de matériaux de la cathédrale Notre-Dame de Paris, une vingtaine de pierres "provenant de l'arc-doubleau effondré de la nef et du chœur".
Il y a deux ans, le 15 avril 2019, un terrible incendie se déclarait. Chacun se souvient de ces images de la flèche qui s’effondre. Des blocs qui forment l'arc de la nef de la cathédrale ont été retrouvés éparpillés au sol après l’incendie. Un gigantesque puzzle archéologique pour les scientifiques. Pour aider les architectes, le CNRS a lancé une recherche scientifique de grande envergure en invitant des laboratoires sur tout le territoire à étudier les matériaux de l’édifice : le bois, le verre, le métal et la pierre.
Une occasion unique pour révéler par exemple la recette des mortiers du Moyen Âge utilisé pour Notre-Dame. Cédric Moulis, ingénieur d'études au laboratoire HISCANT-MA (HisCAnt-MA (Histoire et Cultures de l'Antiquité et du Moyen Âge - Université de Lorraine) et Jean-Michel Mechling, enseignant-chercheur à l'Institut Jean Lamour (CNRS / Université de Lorraine), sont allés sur place début mars et sont revenus avec de précieux échantillons.
Un maximum d’informations avec peu d’échantillons.
"Il va falloir essayer d’avoir un maximum d’informations avec le peu d’échantillons que l'on a". Jean-Michel Mechlling est totalement fasciné et il y a de quoi par les pierres qu’il a entre les mains. Il mesure l’importance de la mission. Il nous explique qu’avant toute chose, pour garder une sorte de reproduction numérique en trois dimensions des échantillons, l’équipe commence par la tomographie. "c’est la même chose qu’un scanner médical".
Les premières analyses se font d'abord avec les yeux. Des premiers indices, que nous explique Cédric Moulis : "Ce bloc provient d’un petit interstice entre deux claveaux de l'arc-doubleau de la nef. Celui qui est tombé lors de l’incendie. Il nous apprend pas mal de choses. Tout d’abord, on a l’épaisseur de ce joint de mortier qui est inférieur à 1 cm. Cela permet de comprendre quelle était la dose de mortier par rapport aux pierres à cet endroit précis" Pour Cédric Moulis, on peut aussi entrevoir quel outil a été utilisé pour tailler la pierre. "Cela agit un peu comme un négatif par rapport à ce que l’on ne voit plus. Il y a plein de petites dents, qui correspondent au passage d’un outil que l’on appelle une bretture, qui était très utilisée dans la taille de pierres, en particulier à la fin du XIIe siècle pendant tout le XIIIe siècle, en Île-de-France notamment". On peut voir aussi une croix. L'hypothèse la plus crédible est celle d'une marque qui indique sans doute le sens que devait prendre la pierre lors de la pause de l'arc.
C’est un mortier vieux de 800 ans
Pour l’équipe, il s’agit de répondre à plusieurs questions. Comme celle-ci : quelle recette a été utilisée pour le mortier ? Le mortier est une sorte de pâte utilisée comme une colle pour lier les pierres les unes aux autres. Il est composé généralement de sable, d'eau et d’un liant. La technique utilisée au Moyen Âge pour Notre-Dame a-t-elle une particularité ? Encore une question pour l’équipe de scientifiques. Les chercheurs de l’institut Jean Lamour aidés par leurs collègues du Laboratoire GeoRessources, vont chercher à voyager au cœur de la matière grâce à différents instruments. "C’est un mortier vieux de 800 ans. On récupère des échantillons sur les blocs qui sont tombés. Ils ont subi le feu, l’eau d'extinction de l’incendie" explique Jean-Michel Mechling. L’analyse des "lames minces", une des techniques de la géologie et de la pétrographie, (une section amincie d’un fragment de roche qui permet à la lumière de traverser la plupart de ses minéraux qui ne sont pas translucides), confectionnées par le laboratoire GeoRessources donne de premières informations sur la composition des matériaux qui composent les mortiers.
Une autre étape se déroule un peu plus loin, dans un autre laboratoire de l’Institut Jean-Lamour. Ici, on trouve des instruments nommés des diffractomètres de rayons X. Ils permettent de caractériser les cristaux. "Le plus important de France" nous précise Pascal Boulet, le responsable du laboratoire, ingénieur de recherche à l'Institut Jean Lamour (CNRS / Université de Lorraine). Un petit échantillon de mortier est préalablement réduit en poudre avant d'être placé dans la machine.
Le chantier de Notre-Dame est un chantier exceptionnel pour lequel on met aussi des moyens exceptionnels
La dernière étape, nous conduit au plus profond de la matière et dans les sous-sols de l’Institut Jean Lamour. Grâce à un microscope électronique à résolution atomique, on descend à une échelle de l'ordre de l'infiniment petit. Ici, apparaissent les pores des mortiers, des grains de quartz et des nodules de chaux, traces d'un mélange probablement réalisé au XIIe siècle. Et à ce niveau, les scientifiques cherchent "une aiguille dans une botte de foin". Jean-Michel Mechling et Mélanie Emo, ingénieure d'études en microscopie à l'Institut Jean Lamour, cherchent une singularité, quelque chose, qui pour être vérifié, devrait se trouver dans tous les échantillons analysés… "Le Graal" ! Une particularité qui marquerait une sorte de signature. "Le chantier de Notre-Dame est un chantier exceptionnel pour lequel on met aussi des moyens exceptionnels. On cherche des micros détails grâce à ce microscope électronique. Les autres techniques sont nécessaires pour trouver beaucoup de choses. On cherche éventuellement à voir des signatures fugaces qui pourraient exister uniquement dans certains mortiers."
"Le problème est que cela se passe à une très petite échelle. On pourrait passer des semaines sur un seul échantillon. C’est une des difficultés de la technique. Il faut essayer d’avoir quelque chose qui est le plus représentatif possible. Sur quelques microns cube de matière, essayer de discerner ce qui est du bruit de fond, de ce qui est ou peut être intéressant pour l’enquête que l’on mène".
Les premiers résultats semblent indiquer que ces mortiers sont assez homogènes et que les joints utilisés étaient particulièrement fins. "Les architectes qui ont la charge avec la maîtrise d’œuvre et qui vont piloter les travaux de la cathédrale auront accès à ces données. L'idée est d'être le plus près possible des matériaux et des techniques de l'époque" conclut Jean-Michel Mechling.
L’enquête se poursuit à l’Institut Jean Lamour pour tenter de reconstituer la recette d'origine de ce mortier vieux de 800 ans. L’équipe continue d’espérer trouver une signature caractéristique des mortiers.
L'équipe a jusqu'à l'été pour rendre ses conclusions. Le président de la République, Emmanuel Macron vient tout juste de réaffirmer que les délais seront tenus pour une réouverture au public de la cathédrale Notre Dame de Paris en 2024.