PATRIMOINE. Avenir du quartier des Grands Moulins, "le site a une histoire, il ne faut pas en faire n'importe quoi"

Les Grands Moulins Vilgrain de Nancy ont cessé leur activité en 2022. Anciens salariés et riverains se mobilisent pour sauvegarder la mémoire du quartier ouvrier en pleine mutation. Le gigantesque bâtiment-pont, symbole du quartier, est la propriété d'un promoteur immobilier. Il prévoit de le transformer en logements et parkings.

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Le soleil brille ce vendredi 23 août 2024 et met en valeur le colossal bâtiment-pont des Grands Moulins Vilgrain de Nancy (Meurthe-et-Moselle). La brique rouge et le béton rythment la façade sud, rehaussée de son beffroi et de sa grande horloge aujourd'hui arrêtée à 5h25.

Les archives attestent de la présence d'un premier moulin au XIIᵉ siècle. Arrivée de Moselle après l'annexion de 1871 de l'Alsace-Moselle par l'Allemagne, la famille Vilgrain acquiert la minoterie puis la détruit pour construire une véritable usine. C'est l'architecte nancéien Pierre Bourgeois qui conçoit entre 1913 et 1917 l'immense bâtiment-pont qui enjambe le canal de décharge. Détruit par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, il est reconstruit à l'identique en 1946.

Capable d'écraser plus de 3.000 quintaux de grains par jour, les Grands Moulins Vilgrain (GMV) vont pourtant entrer dans une phase de déclin à la fin des années quatre-vingt jusqu'à leur fermeture définitive en 2022.

Totem

Des riverains prennent alors conscience du risque de disparition de ce que le chercheur Léopold Barbier du laboratoire LOTERR de l'Université de Lorraine appelle "le totem du quartier des Rives de Meurthe". "Des habitants du quartier se sont mobilisés pour dire que le site a une histoire et qu'il ne faut pas en faire n'importe quoi. Ce n'est pas parce que l'activité a cessé qu'on ne peut pas valoriser cet héritage qui nous reste", estime Léopold Barbier.

Maïté FernandesTronco est la secrétaire de l'association l'Atelier Vie de Quartier Rives de Meurthe. Originaire de Caen (Calvados), la jeune femme découvre le bâtiment-pont lorsqu'elle intègre l'EEIGM, l'école d'ingénieurs sise rue Bastien Lepage, dans le voisinage de la minoterie désaffectée. "Je me demandais ce que c'était que ce gros bâtiment. Il y a eu une réunion pour inviter les gens à s'exprimer et raconter leur vécu. Le projet de la commission des Grands Moulins sur la mémoire du lieu a été présenté. Je me suis dit que c'était intéressant et que j'aimerais bien connaître un peu l'histoire de ce site", raconte-t-elle.

Recueillir la mémoire des anciens

Maïté FernandesTronco va faire connaissance avec des habitants qui ont déjà impulsé un travail de recueil de témoignages. Soutenu par la municipalité de Nancy, l'Atelier Vie de Quartier Rives de Meurthe organise, avec l'aide de la sociologue Anne Jadot, des permanences à la MJC Bazin, afin d'enregistrer les souvenirs des personnes qui ont travaillé aux Grands Moulins et des habitants du quartier. "Nous avons interrogé des membres de la direction et des ouvriers, des anciens du quartier. Ce qui revient souvent, c'est que pour ceux qui ont donné une partie de leur vie aux Grands Moulins, ça reste un lieu auquel ils sont très attachés. Beaucoup de riverains sont aussi sensibles au symbole architectural parce que le quartier des Rives de Meurthe connaît beaucoup de transformation. C'est une des dernières traces et peut-être une des plus marquantes de ce qu'était ce quartier populaire et ouvrier".

Le chercheur Léopold Barbier, spécialiste des mutations urbaines, est impliqué dans la transformation du quartier. Il confirme cette relation affective. "Les riverains sont globalement attachés à cette architecture, à ce phare dans leur quartier", dit-il. À l'origine, des projets d'architectes envisageaient de transformer les 35.000 mètres carrés du bâtiment-pont, aujourd'hui propriété d'un groupe immobilier, en parkings et de construire des logements sur l'île Vilgrain voisine.

Quand l'horloge de la tour s'est arrêtée, il y a même des gens qui sont allés manifester pour qu'elle soit remise en marche.

Maïté Fernandes Tronco, secrétaire de l'AVQ des Rives de Meurthe.

Patrimoine et nature

L'île Vilgrain, acquise par la ville de Nancy, est reconquise par la nature. Elle devrait rester une réserve pour la biodiversité et n'accueillir aucune construction. Tout comme l'ancienne voie ferrée industrielle désaffectée qui contourne Nancy à l'est. Conservée pour être convertie en axe routier, elle est devenue au fil des années un corridor naturel.

Conservation du patrimoine et préservation de la nature semblent être les priorités des profondes transformation urbanistiques qui touchent le quartier des Rives de Meurthe. Léopold Barbier explique : "on voit qu'il existe un consensus général pour dire qu'il y a une identité à la fois sur ce bâtiment des Grands Moulins ainsi que sur le quartier dans lequel il a été implanté. Mais évidemment, cela génère des problématiques aujourd'hui. Quand on dit conserver, que conserve-t-on exactement ? On est vraiment au carrefour des choix. Depuis l'arrêt de l'activité industrielle, le consensus tend vers une valorisation patrimoniale, essayer de préserver au maximum les bâtiments et essayez aussi de rendre le lieu accessible aux habitants".

Mémoire vive

Le bâtiment-pont n'est pas protégé au titre des Monuments historiques, mais le propriétaire privé est tenu d'informer la préfecture avant toute transformation majeure. Le projet actuel mixerait 390 logements et 210 places de parking. 

Maïté Fernandes Tronco, sait que la voix des riverains, à travers l'AVQ des Rives de Meurthe pèsera peu dans les choix du promoteur immobilier. Ces membres espèrent toutefois que le bâtiment sera préservé et le site tout ou partie accessible pour les habitants.

En attendant, ils ont investi le champ de la mémoire, une mémoire vivante. Depuis deux ans, l'Atelier de Vie de Quartier organise au mois de mai la fête des Grands Moulins. Anciens salariés et habitants, toutes générations confondues, se retrouvent pour partager des souvenirs et les plus jeunes s'emparent de cette histoire. Un livre est en préparation sous la direction de la chercheuse Anne Jadot. Il sera présenté en 2025 à l'occasion du salon littéraire Le Livre sur la Place. Une exposition sur le quartier des Grands Moulins est aussi prévue la même année. 

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