Elise et Irfan Govce sont épiciers à Dommartin-les-Toul en Meurthe-et-Moselle. Originaire du petit village turc de Nurhak, situé à une cinquantaine de kilomètres de l’épicentre, le couple craint pour sa famille restée dans la montagne sans électricité et sous un mètre de neige. Ils appellent la France à l’aide, car selon eux, les secours n’arrivent que dans les grandes villes.
Le téléphone sonne sans arrêt. Les mêmes questions, et les mêmes réponses apportées calmement, en turc et en français, parfois dans la même phrase. Elise Govce explique qu’avec son mari Irfan ils participent à la collecte de l’association Nake pour les victimes du séisme : "nous avons déjà envoyé trois camions depuis lundi, et ça n’arrête pas".
Devant les étals et les vitrines réfrigérées, les couettes s’entassent, au milieu des couches pour bébés et des vêtements conditionnés dans des sacs : "on a besoin surtout de médicaments, de produits d’hygiènes, de gobelets, d’assiettes".
Des jeunes de notre village ont fait une heure de route dans des conditions difficiles pour trouver du réseau et nous envoyer des nouvelles ce matin
Elise Govce
Elise et Irfan Govce tiennent depuis 2020 l’épicerie à l’entrée de Dommartin-les-Toul. Impossible de les rater, d’autant qu’ils sont ouverts tous les jours jusqu’à minuit. Turcs tous les deux, ils sont membres de la communauté alévie, "mais nous pensons à tout le monde, peu importe son origine, nous voulons aider tout le monde" précise le jeune homme, arrivé en France il y a treize ans. "Nous avons seulement eu des nouvelles de notre famille aujourd’hui, par des messages sur les réseaux sociaux, sinon depuis lundi on n’avait rien. Des jeunes de notre village ont fait une heure de route dans des conditions difficiles pour trouver du réseau et les envoyer" explique Elise, qui montre les premières images : des maisons à terre, des rues lézardées, et de la neige partout, "dimanche le maire de la ville avait ordonné aux habitants de rester chez eux, parce qu’il allait faire -15, l’école allait être fermée. Tout le monde a obéi, et il y a eu le séisme dans la foulée". Nurhak se trouve à 1389 mètres d'altitude, au pied de la montagne qui porte son nom et culmine à 3032 mètres, couverte de neiges éternelles.
La crainte de mourir de froid
Le couple s’inquiète pour ses oncles et tantes, et pour les 13.000 habitants du village : "nous voulons témoigner du fait que l’aide n’arrive aujourd’hui que dans les grandes villes, elle n’arrive pas dans notre village où il n’y a plus rien, ni secours, ni police, ni autorité". La communauté turque de Toul compte plusieurs centaines de membres, souvent plusieurs générations qui se succèdent : "un membre de la famille vient, il est rejoint par un autre, c’est pour ça que nous sommes nombreux à venir de Nurhak ici".
Elise n’avait que 4 ans lorsqu’elle est arrivée en France. Depuis elle n’a revu son village que deux fois, en 2015 et 2022 : "si les secours n’arrivent pas rapidement, ni notre aide n’est pas acheminée assez vite, ceux qui ont survécu au tremblement de terre vont mourir de froid". Aucun bilan des victimes à Nurhak n’a pu être établi : "on entend entre cinq et quarante morts, mais en fait on ne sait rien" reconnait Irfan.