Pendant près d'un an, Baya Bellanger, réalisatrice, a suivi des militants gilets jaunes de Commercy (Meuse). Un mouvement sans chef, participatif, qui a dû évoluer au gré des événements. Voici trois raisons de regarder "Nous ne sommes rien, soyons tout !" en replay.
(Republication d'un article du 03/11/2020)
La mécanique d'un système. Le mouvement des gilets jaunes est né d'une convergence des colères et des luttes. Des personnes sans aucun rapport les unes avec les autres ont appris à se rencontrer, sur les ronds-points d'abord, à s'écouter et à se fédérer. Leur adversaire commun : un système qui écrase les plus pauvres, ne leur donne plus la parole et les rend invisibles.
Baya Bellanger a suivi pendant près d'un an quelques militants gilets jaunes de Commercy. Et nous montre les rouages "d'un nouveau système dans le système". Voici trois bonnes raisons de regarder "Nous ne sommes rien, soyons tout !" de Baya Bellanger en replay ci-dessus.
1. Pour assister à une rencontre
C'est Elisabeth qui le décrit le mieux. Elle, qui était commerçante sur Commercy. Elle est désormais à la retraite. Elle a dû en voir passer des Commerciens dans son magasin, pourtant les gilets jaunes qu'elle côtoie, elle ne les connaissait pas : " Je les voyais passer [ce petit couple de retraités, NDLR], mais on n'aurait jamais su qu'ils avaient des galères. Et puis, avec Guy, on ne s'était jamais rencontré et maintenant, on discute et ça...
Dit-elle en se laissant embrasser amicalement…, sans les gilets jaunes ça ne serait pas arrivé." Ils sont là, à discuter, à échanger, à l'abri sous leur cabane de fortune installée à quelques encablures de l'hôtel de ville de Commercy. Il y a Steven, l'éducateur spécialisé, Jonathan le fonctionnaire territorial, Mireille l'agent d'entretien, Claude, fonctionnaire ou Emmanuelle qui travaille dans l'industrie aéronautique. Il y a aussi tout autour, ceux que l'on ne voit pas à l'image, mais qui constituent le reste du groupe, de la chef d'équipe " qui manage 40 personnes" en passant par les retraités. La force de ce groupe-là, c'est que personne ne cherche à le diriger ; il y a certes, ceux qui parlent plus ou plus fort que les autres, mais tous peuvent s'exprimer. Même Mireille, retranchée derrière son sourire qui avoue : "J'ai jamais eu la parole en étant gosse, alors c'est dur de parler." La main de Steven se pose furtivement sur son épaule " Ici, tu l'as !"
2. Pour comprendre la dynamique d'une mobilisation
Après le temps de la rencontre et de l'écoute des maux de chacun vient le temps de la structuration du mouvement. Les gilets jaunes de Commercy se sont mis d'accord, leur lutte commune, c'est la hausse de leur pouvoir d'achat, la protection des plus pauvres, le partage. Claude, le fonctionnaire, s'émeut : " Quand même, il se passe quelque chose, là. C'est génial de retisser ces liens qui n'existaient plus, tous ces gens, toutes ces idées qui se retrouvent. J'ai jamais osé rêver de ça."
Leur utopie, ou plutôt celle dont on voudrait — presque — tous. Pour l'obtenir, pas question de désigner un chef ou un représentant ; le représentant coupe le peuple de sa voix propre. Les décisions se prennent en assemblée par vote à main levée et le mouvement enclenche ainsi sa dynamique de groupe. Le groupe appelle le groupe et décision est prise de provoquer une assemblée des assemblées, convergence ultime des petits groupes locaux et diffus partout en France. C'est voté Commercy accueillera la première assemblée des assemblées.
3. Pour se frotter aux difficultés de la gouvernance
Le mouvement aurait pu durer longtemps, prenant un peu plus d'ampleur à chaque nouvelle assemblée des assemblées. Mais la loi de la République s'est rappelée à eux, sous la forme d'une mise en demeure de destruction de leur cabane. Un premier accroc qui révèle les sensibilités différentes de tous ces partenaires réunis sous un même trop large drapeau. Faut-il se défendre en utilisant les outils d'un système qu'ils veulent combattre, faut-il au contraire faire œuvre de résistance ? " Ça va revenir la vague jaune, on a été trop gentils" s'exclament les uns ; "il faut un référendum d'initiative citoyenne (RIC)" réclament les autres. Au gré des difficultés rencontrées, restent les chants, celui des partisans (dont ils revisitent les paroles), ceux des cortèges militants " On lâche rien !" et ceux de circonstances gilet jaune (hey), qui continuent de perpétrer le sentiment de groupe et de solidarité.