200 œuvres d'art réalisées pendant les combats de 1916 et 1917 sont actuellement exposées au Mémorial de Verdun. Des tableaux, sculptures et dessins qui interrogent sur la question de la création artistique en temps de guerre.
Des lignes lumineuses qui se croisent au dessus de flammes et d'un nuage de gaz sous une pluie battante. C'est une représentation de l'Enfer que Félix Vallotton a réalisée en 1917 dans son tableau "Verdun". Une des évocations les plus fortes des combats de 1916. Dans un paysage où n'apparait aucun signe de vie, des puissances titanesques se déchaînent. Une allégorie de cette "hyper bataille" industrielle où des millions d'obus ont été tirés.
Le Mémorial de Verdun expose actuellement une esquisse préparatoire de ce tableau iconique. Une pièce prêtée par le Musée d'Orsay.
"C'est une immense fierté pour nous de pouvoir montrer au public ce Verdun... A Verdun", indique Nicolas Barret, directeur du Mémorial. En septembre, le tableau définitif, actuellement au Musée de l'Armée, rejoindra l'exposition. "C'est la première fois qu'il va être montré, à quelques kilomètres de l'endroit où il a été créé".
Point commun des 200 œuvres présentées: toutes sont nées dans le secteur de Verdun au plus fort des combats. Certaines sont signées par des artistes reconnus, d'autres par des amateurs. Tous ont été confrontés à l'horreur de la guerre et ont ressenti le besoin d'écrire, dessiner, peindre ou sculpter. Une création multiforme. Délicates feuilles piquetées où un cultivateur inscrit le prénom de ses enfants. Violon réalisé avec un bidon et une boîte de sardines pour jouer quelques notes entre deux assauts. Ou croquis griffonné sur un carnet au fond d'une tranchée. Autant de témoignages du besoin d'échapper, ne serait-ce qu'un instant, à la violence des combats.
"A travers cette création, chacun cherchait à continuer à vivre."
Edith Desrousseaux de Medrano, commissaire de l'exposition
"Ces œuvres évitent souvent de parler de la guerre. Comme si, à travers cette création, chacun cherchait à continuer à vivre", explique Edith Desrousseaux de Medrano, commissaire de l'exposition.
Un besoin de création universel. Le peintre expressionniste allemand Franz Marc, co-fondateur du groupe "Der Blaue Reiter", noircit ses carnets de croquis d'animaux alors qu'il est en poste au sud de Verdun. Des instants de vie que l'on retrouve dans plusieurs dessins, allemands comme français. Dès qu'ils s'éloignent de la première ligne, les combattants retrouvent une forme de "normalité". Pour beaucoup d'artistes, cette expérience est d'ailleurs une révélation. "Fernand Léger, venu d'un milieu parisien, a découvert un peuple d'artisans et d'ouvriers dont il s'est imprégné et à qui il a rendu hommage. On le retrouvera dans ses travaux d'après-guerre consacrés au monde de l'usine.", précise Edith Desrousseaux de Medrano.
C'est la première fois que le Mémorial organise une exposition entièrement dédiée aux beaux arts. "Cela a du sens" explique Jérôme Dumont. Le président du Département de la Meuse connaît bien la bataille de Verdun qu'il a enseignée en tant que professeur d'Histoire. "L'art nous apporte un éclairage très humain sur ce qui s'est passé ici en 1916. Il a sa place au Mémorial."
"Il n'y a pas plus cubiste qu'une guerre comme celle-là."
Fernand Léger
L'exposition "Art / Enfer: créer à Verdun" montre à quel point cette expérience a marqué une rupture dans la création artistique. Dans ce nid fait de boue et de barbelés, des mouvements vont bientôt naître. Le dadaïsme et le surréalisme en réaction à l'absurdité de la guerre. Fernand Léger écrit après sa participation à la bataille de Verdun: "Il n'y a pas plus cubiste qu'une guerre comme celle-là qui te divise plus ou moins proprement un bonhomme en plusieurs morceaux."
Edith Desrousseaux de Medrano conclut à propos de cette exposition: "L'art est un mystère qui ne cesse de nous intriguer. D'où vient cette force de création, surtout dans de tels moments ?"
Un mystère à explorer jusqu'au 31 décembre au Mémorial de Verdun.