Secoués entre la disparition d'un monde et l'avènement difficile d'un autre, les habitants de la vallée de la Fensch (Moselle) ont à coeur de voir leurs villes renaître. La sidérurgie n'est plus, vive le patrimoine et le développement durable. Brisés, pincés, les coeurs sont désormais à l'ouvrage pour redonner aux anciens la fierté du passé et aux jeunes l'envie de rester.
C'est un étrange période que vit la vallée de Fensch (Moselle), joliment nommée "la vallée des anges" par Bernard Lavilliers. Là où presque tous les noms de communes se terminent en "-ange" : Hayange, Florange, Knutange, Sérémange-Erzange, Nilvange...Forte de son riche passé industriel dominé par la sidérurgie, elle a connu le déclin économique depuis les années 1990.
Alors que les sites sont en cours de démantèlement, ces monumentales traces du passé génèrent non plus la colère face à l'injustice de les voir fermer, mais la fierté d'un combat qui, pourtant perdu, a donné lieu à une loi de la République (loi Florange). Et de la nostalgie, beaucoup de nostalgie.
La réalisatrice Anne Gintzburger, qui a déjà travaillé sur le contexte social de la vallée des années auparavant, a donné cette fois la parole aux jeunes, aux millénnials pour comprendre ce qu'ils conservent d'hier pour mieux installer demain. Voici trois bonnes raisons de regarder Coeurs d'acier en replay.
1. Pour surmonter un traumatisme commun
Lorsque Sophie Hentges, professeure d'économie et de gestion du lycée professionnel Maryse Bastié d'Hayange fait parler ses élèves sur ce qu'ils savent de la sidérurgie, les réponses sont évasives. Pourtant, le lycée est situé à quelques pas des friches des hauts-fourneaux qui sont encore debout. Et même si beaucoup d'élèves lèvent la main pour évoquer les membres de leurs familles qui ont travaillé dans les usines, le constat est le même : "Ils n'en parlent pas beaucoup" dit l'un. "C'est tabou", s'exclame un autre. "Mon grand père, il n'a pas envie d'en parler", dit un troisième". "Ils pensent qu'on n''est pas capable de comprendre leur histoire", conclut un dernier.
Qu'à cela ne tienne, l'enseignante projette d'accompagner ses élèves, sur les traces du passé sidérurgique et de la société que cette industrie a généré. Elle est convaincue : "Là où ils vivent, au coeur de leur vie , de leur ville, il y a une usine qui ne fonctionne plus depuis dix ans et il faut qu'ils traversent ces friches. (...) C'est de la nostalgie de la vie passée. Il faut qu'ils composent avec ça, (...) ce trou béant dans la cité. Qu'est-ce qu'on fait de ça ?" C'est à la jeune génération de redonner la fierté à ceux qui l'ont perdue.
2. Pour redonner l'espoir
A l'image d'Edouard Martin, les sidérurgistes ont mené le combat pour le maintien de l'emploi dans les hauts-fourneaux et les usines. Mais le pot de terre lorrain n'était pas de taille face au pot de fer mondialisation. Le rude combat des travailleurs s'est soldé par une défaite : les usines, celle de Florange en tête ont fermé et sur les près de 100.000 sidérurgistes qui travaillaient dans les années 1960, il n'en reste que 6.000 à 7.000 selon Edouard Martin, interrogé par les jeunes. "Une usine, c'est ce qui structure la vie d'un territoire. C'est grâce aux usines que nous avons des écoles, des parcs, des hôpitaux, la Poste, des routes. On dit qu'un emploi industriel en engendre trois autres. Ça vous donne une idée des dizaines de milliers de familles qui vivaient grâce à ça. Ça grouillait de vie, de solidarité, d'entraide; c'était une grande famille."
Une époque certes fantasmée, Sophie Henztges, l'enseignante évoque "la nostalgie de la vie passée." Paul, 24 ans, qui est revenu dans sa ville natale la décrit ainsi : "Je me souviens, depuis chez mes grands-parents, dans les hauteurs, de voir les fumées orange, blanches, de l'odeur d'œuf pourri des usines. Surtout je me souviens de la flamme la nuit, en hiver." Il poursuit : "je suis fier de faire partie de cette histoire ouvrière, comme j'imagine les Lillois sont fiers de faire partie de l'histoire des corons, des mines, comme les paysans dans les régions rurales." La fierté d'un travail bien fait : "la Lorraine a produit tellement de richesses : il y a de l'acier lorrain sur la Tour Eiffel, quand même !"
Mais en réalité le travail était dur et le combat pour des conditions de travail permanent; Gianni, 17 ans l'explique ainsi : "La fonte, c'était un boulot dur. Il faisait très chaud, il y avait parfois des accidents, mais ils s'accrochaient. Il fallait vraiment du courage pour aller dans les usines." Morganne enchaîne "Ça ne devait pas être une vie facile : se dire que son mari part au travail et que peut-être il ne reviendra pas le soir."
Ils ont perdu une bataille, mais la suite on va la mener.
Paul, 24 ans
Et quand est venu le temps des fermetures et des fausses promesses, le combat syndical aussi a été dur. Paul s'en souvient, lui qui a assisté au discours du candidat Hollande, hissé, sur la camionnette de la CGT. "C'était des moments très très impressionnants et partout où on allait on nous parlait de Florange." De quoi renforcer le sentiment de compagnonnage et de solidarité. Edouard Martin le résume ainsi : "ces gens-là, ils s'organisaient avec leurs moyens pour lutter, et ils étaient fiers parce qu'ils étaient persuadés que ce qu'ils faisaient était de qualité, et que ça méritait de continuer à être produit."
"Ils ont perdu une bataille, mais la suite on va la mener", ponctue Paul du haut de ses 24 ans. Quant à Carla, 17 ans, elle dit, d'un ton décidé : "c'est à nous de donner l'envie de refaire vivre notre monde. (...) S'impliquer par de petites choses pour changer le futur."
3. Pour rebondir
Si certaines usines sont déjà en cours de démantèlement, il reste en partie la question de laisser les derniers hauts-fourneaux debout. Paul pense "qu'il faut garder ces hauts-fourneaux debout; moi je trouve ça beau; ça doit rester là comme une vigie (...) sur laquelle notre regard se pose tout le temps". Une vigie qui permet de voir plus loin un horizon plus clair. Il enchaîne " je comprends que ça fait un serrement au cœur de les voir mais ça nous rappelle ce qu'a été notre vallée."
Et même si certains, dans un très grand élan nostalgique, comme Rocco ou Claire, artiste peintre, collectent, récupèrent toutes les traces qu'ils peuvent conserver, c'est pour mieux les mettre en valeur pour les générations futures : des traces d'un passé prestigieux et rugueux pour les générations qui n'en auront aucun souvenir, mais pourront témoigner de l'âme de ces lieux.