Expérience inoubliable et rare, dormir face à une meute de loups invite à un voyage dans la mémoire collective. Nous avons testé cette nuit insolite, avec une question en tête : pourquoi cet animal fascine-t-il toujours autant ? Pro ou anti, le loup ne laisse personne indifférent.
Une immense baie vitrée me sépare d’une meute de loups. Je mesure par réflexe l’épaisseur du triple vitrage…
lls sont cinq devant moi. Des loups gris, qui semblent immenses. Ils jouent, se chamaillent, l’un croque le museau de son frère. J’observe leur regard perçant. Leurs pattes et leurs gueules.
Les voilà donc, ces loups qui suscitent chez l’homme une peur séculaire. Face à eux, me revient toute la littérature qui s’en rapporte : Croc Blanc bien sûr, mais aussi la musique, Pierre et le Loup, la légende de la Bête du Gévaudan, les histoires des 3 petits cochons, le petit Chaperon rouge, la Petite poule rousse…
Pourquoi cet animal fascine-t-il autant ? Alors que je m’interroge, surviennent les hurlements dans la nuit. Un concert inoubliable. Des réponses, des tons différents, une musique qui a dû effrayer quantités d’hommes au temps où le loup peuplait davantage les campagnes.
Le loup ne laisse personne indifférent
Je colle mon nez à la vitre à nouveau. Ils se sont approchés. Cette fois, ils me regardent fixement. J’observe à loisir les yeux légèrement jaunes de l’animal. Sa mâchoire dont la force pourrait broyer ma main. Son pelage, ses oreilles dressées. L’un d’entre eux affiche sa domination sur la meute avec sa queue relevée. Tandis que les autres semblent acquiescer.
Clivant, le loup ne laisse personne indifférent. Dans ce parc zoologique mosellan qui propose aux visiteurs de dormir à quelques mètres seulement d’une meute, la logique est avant tout d’expliquer le rôle du loup dans l’écosystème de la nature. Conscient aussi des attaques du loup dans la région, en Lorraine notamment…
"Aux Etats-Unis, la réintroduction des loups dans le parc de Yellowstone a favorisé la régénération des sols", explique ainsi Clément Leroux, en charge de la communication du Parc de Ste Croix en Moselle, qui accueille en son sein plusieurs meutes et propose ce genre de séjour en "immersion". "Rien ne vaut la connaissance de l'animal pour mieux comprendre les enjeux de la survie de l'espèce. Partout où ils se trouvent, les loups font bouger les autres animaux, les cervidés. Du coup, les prairies se renouvellent ».
Michel Pastoureau, historien, et directeur d'études à l'École pratique des hautes études vient de publier en novembre 2018, un ouvrage sur le loup aux éditions du Seuil. "Une histoire culturelle ». Selon lui, le loup fait partie du "bestiaire central des européens, où il joue le rôle de la vedette". Il suffit de se pencher sur les expressions qui lui collent au pelage. "Une faim de loup, une soif de loup, le grand-méchant loup, connu comme le loup blanc, loup garou…Sans compter les patronymes liés à cet animal. Leloup, Pasdeloup, …"
"Dévoration" et métamorphose
Le loup occupe déjà une place dans la mythologie antique, à l’exemple de la louve romaine qui a nourri Romulus et Rémus. Sans parler des histoires de dévorations, de métamorphoses et de loups-garous.
Pour cet historien, la peur du loup est revenue à l’époque moderne. « Les documents d’archives illustrent une peur grandissante qui tient son paroxysme avec l’affaire de la Bête du Gévaudan entre 1765 et 1767. Dans les campagnes, la peur ne disparaît que lentement ». Puis au XXe siècle, le loup change de registre. De dangereux, il devient amusant. Le loup vorace et redouté est renvoyé au passé. Marqué dans l’histoire des lieux, les proverbes, et les légendes".
Les polémiques sur le retour du loup et les bergers continuent de nourrir cette histoire sociale et culturelle. "Sur le loup, il y a deux discours, précise Michel Pastoureau, le texte et les images, nombreuses. Le loup est un animal pris en mauvaise part. Les mauvais aspects l'emportent largement. Un animal considéré comme négatif.
Cruel, redoutable, rusé, vorace, menteur, lubrique. Tout celà est lié à la peur du loup.
Michel Pastoureau
Vénéré, redouté, relooké
Le loup se décline à loisir. A Metz, une marque de vêtements intitulée "In wolf we trust" (nous avons confiance dans le loup) a été créée par une jeune femme, Cassandra Bizzini. Pour cette amoureuse des loups, il doit être mieux connu, pour être accepté.
"J'ai toujours eu cet amour pour les loups, il est sociable, il vit en meute, hiérarchise sa famille. Il est proche du chien. On tisse ce lien dès l'enfance. C'est vrai qu'il est encore diabolisé, mais il faut aller au-delà des contes. Et dépasser la chasse à la sorcière. Il faut apprendre à le connaître, pour moi le loup st un bel exemple de vie collective.
Autre exemple de déclinaison du loup de façon commerciale, cette bouteille de vin "Soif de Loup". Surfant sur une expression populaire, la soif de loup, ou la faim de loup.
La connaissance pour coexister
Pour aller plus loin sur le phénomène, le spécialiste du Loup, Jean-Marc Landry a publié en 2017 une enquête fouillée, "Le Loup", aux éditions Delachaux et Niestlé, sur le canidé sauvage. Pour les amateurs, cet ouvrage constitue une référence. D'autant que ce biologiste ne se place dans aucun des deux camps qui s'affrontent, les pros et les anti. Voici son idée de départ, évoquée dans un entretien à retrouver ici.
"Les détracteurs du loup le diabolisent et ses admirateurs ont tendance à l’idéaliser. Mon idée, dans ce livre, est de montrer qu’il s’agit d’une espèce qui évolue depuis 40 millions d’années, au gré de bouleversements environnementaux et contextuels importants. L’être humain est bien souvent à l’origine de ruptures des équilibres naturels, le loup comptant parmi les espèces qui leur paient le plus lourd tribut".
De nombreuses études démontrent que le rôle des prédateurs dans la maintenance des écosystèmes a été largement sous-estimé. Jean-Marc Landry (biologiste et spécialiste du loup).
"Ils sont garants d’équilibres millénaires, dont la position actuelle de notre propre espèce nous rend responsables, à mon sens. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une espèce représentative de bien d’autres, menacées également, mais dont on ne parle jamais ou beaucoup moins, et que l’on doit aussi conserver".
Pastoralisme et loup
Sur la question du pastoralisme. L'expert de la biologie du loup en système pastoral conscient de la problématique rencontrée par les éleveurs, prône la pédagogie.
"Si le pastoralisme veut durer, il doit nécessairement respecter son environnement, garant des ressources dont il a besoin. Même si, fondamentalement, ce n’est pas le loup qui remet en question cette activité ancestrale, sa présence peut toutefois la fragiliser localement. Mon rôle est d’apporter les connaissances nécessaires à éviter cela".
Connaître une fois de plus pour mieux l'accepter ? La présence du loup continue de faire débat. Une nuit avec les loups m'a semblé une première étape dans cette meilleure connaissance. Preuve de son intérêt auprès du public. Il faut réserver plusieurs mois à l'avance pour avoir la chance de dormir, (voire de danser ?) avec les loups.
Danse avec les Loups. Le film sorti 1990 raconte l'épopée d'un officier nordiste (Kevin Costner) décoré de la guerre de Sécession, rejoint un fort à la frontière. Le campement est désert et isolé. Il sympathise avec les Sioux et le rapprochement devient fraternel. Il est surnommé "Danse avec les loups" et abandonne son poste pour vivre à leurs côtés.
Séquence nostalgie :
EN IMAGES :