La crise du scolyte en Lorraine, "pire que la tempête de 1999"

Favorisé par le réchauffement climatique, l'insecte ravageur est en passe de détruire, dans le grand-Est, la quasi-totalité des plantations d'épicéas en plaine. Confrontés à une crise sans précédent, les propriétaires forestiers estiment que le gouvernement n'a pas pris la mesure de la catastrophe.

Depuis le petit matin, Eric est au travail en forêt d'Avricourt (Moselle).
Son énorme machine suédoise coupe, ébranche et débite chaque arbre en quelques secondes. La PME de travaux forestiers a été mandatée par les propriétaires pour "nettoyer" le massif de tous les épicéas, des arbres encore très loin d'être arrivés à la taille normale d'abattage. 
Car il y a urgence : ils sont contaminés par le scolyte, cet insecte qui pond sous l'écorce des résineux. Avec le réchauffement du climat, la bestiole pullule. En cette fin septembre 2019, elle entame son quatrième cycle de reproduction de la saison (deux en année normale).
De leur côté, les arbres, affaiblis par la sécheresse, résistent moins bien aux attaques des parasites. Ils meurent en quelques semaines. Il faut les couper très vite si l'on veut en tirer quelque chose.

L'épidémie concerne toutes les plantations d'épicéa, surtout en plaine.
Dans le Grand-Est, on estime à plus d'un million de mètres cubes le volume des bois scolytés. Pour Didier Daclin, responsable du syndicat des propriétaires-sylviculteurs de Moselle, c'est une catastrophe "pire que la tempête de 1999".
Elle ne se limite pas à la région, ni même à la France: l'Allemagne et certains pays de l'Est sont encore plus sévèrement touchés. Des montagnes de bois s'accumulent un peu partout en Europe.

Vente au rabais

Les exploitants forestiers ne savent pas ce qu'ils vont en faire: la plupart des grumes sont impropres à une transformation "noble" en scierie.
Les papetiers ne prennent que du bois fraîchement coupé. Reste à le vendre au rabais pour en faire des palettes, des panneaux de particules, ou des pellets de chaufferie. 
Résultat, le cours de l'épicéa est en chute libre: 80% de moins que l'an passé. Une catastrophe économique pour toute la filière.

Des pertes qui ne seront pas épongées l'an prochain : en forêt, le cycle de production se mesure en décennies. Déjà, il faut songer au reboisement des forêts sinistrées, un reboisement qui doit tenir compte de la nouvelle donne climatique.
En forêt d'Avricourt, les propriétaires ont de la chance dans leur malheur: les épicéas étaient mélangées à d'autres essences, feuillus ou pins sylvestres, résistantes au scolyte. La forêt ne sera pas totalement rasée. Mais ce n'est pas le plus fréquent. Au siècle précédent, des milliers d'hectares ont été livrés à la monoculture de l'épicéa, un arbre "rentable" qui pousse vite et droit.

Selon Didier Daclin, ce type d'exploitation va disparaître. La forêt de demain sera mixte, associant plusieurs essences dans un subtil dosage pour limiter les risques sanitaires. Un modèle par ailleurs plus favorable à la biodiversité et à la préservation des sols.

Coupe claire

Mais le reboisement nécessitera du temps, de l'argent... Et des compétences. Les propriétaires forestiers ne sont pas forcément qualifiés. Ils sont assistés dans leurs choix par les 360 techniciens du Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), un établissement public rattaché au ministère de l'Agriculture. C'est peu, pour s'occuper des trois quarts de la forêt française, détenus par des propriétaires privés. A comparer aux 4.000 agents de l'ONF affectés aux forêts publiques.

Curieusement, c'est en pleine crise de la forêt française que le gouvernement s'apprête à réduire de 15% la dotation du CNPF. Cette coupe claire résulte de la baisse des taxes foncières payées (entre autres) par les forestiers. Mais ceux-ci ne décolèrent pas : ils préfèrent continuer à verser l'impôt et bénéficier de ce soutien technique.

On ne comprend pas .. . On entend le Président de la République se mobiliser pour la forêt amazonienne... Et amputer les crédits du "médecin de la forêt" en France!
- Jean Birck, propriétaire forestier lorrain

Plus largement, les propriétaires sylviculteurs ont le sentiment que les pouvoirs publics n'ont pas pris la mesure de la catatrophe en cours. Le gouvernement allemand, de son côté, s'apprête à verser 800 millions d'euros, sur quatre ans, pour préserver les massifs forestiers.

La forêt, qu'elle soit publique ou privée, représente à la fois un enjeu économique et un atout écologique : elle fixe des millions de tonnes de carbone et abrite une grande partie de la biodiversité dans notre pays. Confrontée au problème climatique, elle pourrait être une partie de la solution. Encore faut-il s'en donner les moyens.
 
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