C'est une tradition ancestrale : le Schieweschlawe. Le premier dimanche de Carême, des disques enflammés sont lancés. Jets de lumière dans la nuit hivernale. Une tradition particulièrement vivace à Offwiller dont le maire demande le classement au patrimoine mondial. Rien que ça.
Le premier dimanche de carême, en début de soirée, l'ascension commence. Au dessus du village d'Offwiller, en forêt, les habitants perpétuent une tradition ancestrale : des disques de bois sont enflammés et lancés dans la nuit hivernale. Lueurs incandescentes qui marquent l'équinoxe de printemps et le retour de la lumière. C'est le Schieweschlawe, littéralement "lancer de disques".
Une tradition millénaire, un patrimoine mondial ?
Offwiller, dans le nord de l'Alsace, est un des derniers villages à célébrer le Schieweschlawe. La tradition y est bien vivace. Mieux elle n'y n'aurait jamais été interrompue : "C'est le seul village alsacien à ma connaissance où ce rite a continué sans s'interrompre jamais. Même pendant la seconde guerre mondiale" explique Charles Leininger du Musée d'Arts et des traditions populaires d'Offwiller. Et Patrick Hilt, le maire de la commune, de poursuivre "On a pas de certitudes vraiment mais tous les témoignages, transmis de génération en génération, l'attestent. Toujours en forêt et même aux heures les plus sombres."
C'est le seul village alsacien à ma connaissance où ce rite a continué sans s'interrompre jamais
-Charles Leininger du Musée d'Arts et des traditions populaires d'Offwiller.-
Une tradition pérenne et surtout ancestrale. Elle remonterait aux Celtes et serait pratiquée dans tout l'espace rhénan supérieur. "On trouve des Schieweschlawe tout le long du Rhin. 65 kms en amont du lac de Constance jusqu'à Aix la Chapelle. On en trouve en Autriche et en Suisse. Ce rite est lié au fleuve indubitablement" poursuit Charles. Un rite immuable : chaque équinoxe de printemps, les disques de feu lancés dans la nuit chassent l'hiver et les mauvais esprits. La lumière combat l'obscurité. Un combat visiblement perdu cette année vu le temps pour le moins morose s'amuse Patrick Hilt "c'est pas grave, on recommencera l'année prochaine et on formera mieux les lanceurs de disques."
L'année prochaine, vu le mauvais temps, on formera mieux nos lanceurs de disques
-Patrick Hilt, maire d'Offwiller-
Chaque année à Offwiller, 500 à 1000 personnes y participent. " On vend 3000 disques par an à peu près, ça marche bien. C'est toujours un rendez-vous, une fierté." Une fierté locale qui pourrait bien un jour être inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. C'est du moins ce que souhaite Patrice Hilt qui s'apprête à lancer les démarches. Cette idée lui trotte dans la tête depuis qu'il s'est rendu compte qu'une manifestation comparable, un lancer de disques enflammés, avait été classée dans le Tyrol autrichien il y a quatre ans. "Je vais m'y rendre bientôt pour voir comment ça se passe et comment ils ont monté le dossier. Moi, je suis novice en la matière et le classement est très très compliqué."
Une idée simple, des démarches complexes
Et c'est un euphémisme. Obtenir le label relève du parcours du combattant. Même quand on est juriste comme Patrick Hilt "spécialisé en droit de la famille, ça aide pas trop." Il faut être patient. Comptez dix ans .. au bas mot. " Il ne faut pas être pressé et ça tombe bien parce qu'on ne l'est pas. On est décidé c'est ce qui compte.Qui ne tente rien n'a rien. Et puis je ne suis pas seul. On va fédérer autour de ce projet : le conseil départemental, le Parc naturel des Vosges. On peut y arriver."
Il ne faut pas être pressé et ça tombe bien parce qu'on ne l'est pas.
-Patrick Hilt , maire de Offwiller-
La première étape consiste à faire inscrire la coutume sur une liste indicative nationale des candidats, preuves à l'appui : témoignages, historicité de l'évènement, attachement de la population à l'évènement, études scientifiques et même ethnologiques : "Je suis serein de ce côté là : le Schieweschlawe fait partie de l'ADN des habitants d'Offwiller. On y est très attaché ça fait partie grandement de notre histoire, ça fait partie de nous." Pour les études ethnologiques par contre : "Il faudra faire appel à un cabinet. Il y a des bureaux d'études qui sont spécialisés dans les démarches label Unesco. Ca coûte cher mais on nous aidera à le financer."
Si l'Etat décide de présenter le Schieweschlave sur sa liste officielle, il y a encore d'autres barrages à passer. La candidature devra ensuite être validée par trois ou quatre commissions indépendantes qui devront se prononcer. Si elles y sont favorables alors et seulement alors, le dossier partira pour New York. A l'ONU qui confirmera (ou pas) que le Schwieweschlawe a une valeur universelle exceptionnelle. Ouf. "En plus, la première fois ça rate toujours, c'est comme un galop d'essai ... on verra bien".
Et après ?
Peut-on s'attendre à un flot de touristes sur les collines verdoyantes d'Offwiller à chaque équinoxe de Printemps ? Tout comme sur la Muraille de Chine ou le Taj Mahal ? "Absolument pas. Ce n'est pas du tout le but mais alors pas du tout. Peut-être y aura t'il un peu plus de monde mais l'aspect touristique ne nous importe pas vraiment." Non. Les avantages du label Unesco sont tout autres. Ils sont d'abord finaniers : "Une enveloppe de 500 millions d'euros est répartie chaque année entre les sites qui le demandent afin d'assurer les besoins de protection du site. Nous nous n'en avons pas vraiment besoin mais ça peut servir un jour."
Le réel avantage pour Patrick Hilt c'est la garantie que la coutume perdure. Toujours. Contre vents et marées, contre alerte orange même." Il faut dire que le Schieweschlawe est contraire à toutes les normes de sécurité : c'est la nuit, parfois dans la pluie, dans la boue, il peut y avoir du vent et on lance des disques enflammés, il y a des enfants ... la totale quoi. Il n'y a jamais eu aucun accident mais aux yeux de la réglementation c'est vraiment limite. Tout comme la tauromachie, les courses de vachettes, les lancers de je sais pas quoi ..."
Il faut dire que le Schieweschlawe est contraire à toutes les normes de sécurité
-Patrick Hilt , maire de Offwiller-
Il faut dire aussi que les normes de sécurité françaises sont très restrictives :"Elles sont trop nombreuses et parfois totalement inutiles. Nous, nous sommes pour l'instant à mi-chemin entre l'ancestral et la modernité administrative." La charte Unesco signée par 150 Etats fait que la norme internationale est supérieure aux normes nationales donc françaises. En gros, la préservation de la coutume l'emporterait sur les normes françaises. "Ce que nous craignons le plus actuellement c'est qu'une autorité nous empêche un jour de le faire car trop dangereux. Ce n'est encore jamais arrivé encore mais bon ... " Mieux vaut prévenir que guérir. Enfin façon de parler.
Ce que nous craignons le plus actuellement c'est qu'une autorité nous empêche un jour de le faire car trop dangereux.
-Patrick Hilt , maire de Offwiller-
Que souhaiter à Offwiller si ce n'est de réussir son lancer ? "Du courage et que le beau temps revienne, pour montrer que le Schieweschlawe ça marche." Aujourd'hui, le soleil tape sur mon clavier, j'ai même chaud. Espèrons qu'à Paris et New York aussi ....
Et ailleurs ?
En Alsace, seules la Grande Ile et la Neustadt de Strasbourg ont été classés au patrimoine mondial de l'Unesco.En 2017, chez nos voisins suisses c'est le Carnaval de Bâle qui s'était vu inscrit sur la liste du patrimoine immatériel mondial de l'Unesco.
En France, les évènements qui ont été eux aussi classés au patrimoine immatériel mondial sont peu nombreux :
- L'équitation (?)
- Le Fest Noz
- Le carnaval de Granville
- Le Gwoka
- Le savoir faire des parfumeurs de Grasse
- Les ostensions septennales limousines