Des galets et des petits silex façonnées de main d'homme… préhistorique. Ces récentes découvertes dans la région de Niederbronn permettent aux spécialistes d'affirmer sans hésiter : oui, l'homme de Néandertal a bien séjourné en Alsace du Nord, il y a 100.000 ans. Un fabuleux voyage dans le temps.
Attachez vos ceintures, le saut dans le temps est vertigineux. Pourtant, pour le néophyte, le paysage paisible des hauteurs de Niederbronn n'évoque en rien un voyage spatio-temporel. Des prés, des champs, quelques arbres fruitiers, des collines de grès et de la forêt. Mais pour l'œil du spécialiste averti, un monde perdu s'ouvre à ses pieds. Et même pas besoin de creuser, les témoins de ce passé lointain sont juste par terre. Il suffit de se baisser pour les ramasser… Encore faut-il savoir ce que l'on cherche.
Des outils de l'âge de pierre trouvés par terre
"Parfois, c'est le hasard qui permet de trouver. On se promène et on ramasse quelque chose. Et quand on est du métier, on peut comprendre ce que c'est" explique Jean-Claude Gérold, référent de la Maison de l'archéologie de Niederbronn et médiateur culturel. "Mais il faut avoir des notions de géologie, d'archéologie, et savoir lire un paysage."
Durant ses études, Jean-Claude Gérold s'est spécialisé dans la période gallo-romaine. Mais peu à peu, il a pressenti qu'en Alsace du Nord, célèbre pour son grès rose, il devait encore y avoir autre chose que des ruines romaines et des châteaux médiévaux. Des traces humaines beaucoup, beaucoup plus anciennes… Car la région recèle aussi des terrains calcaires qui contiennent du silex. Et qui dit silex dit, peut-être, traces d'homme préhistorique.
Suivant son intuition, il a donc repéré des zones intéressantes, qu'il arpente depuis une dizaine d'années. Et sa ténacité a payé. "Un jour, j'ai ramassé un caillou qui était "quelque chose" de particulier : un objet fabriqué, en silex local" se souvient-il. Il a fait appel à d'autres spécialistes qui ont confirmé : cette pierre avait bel et bien été transformée par une main humaine… ou plutôt, pré-humaine, de l'âge de pierre.
Un jour, j'ai ramassé "quelque chose" : un objet fabriqué en silex local.
En analysant le type de fabrication, les spécialistes ont compris que l'objet remontait au paléolitique moyen, c'est-à-dire à l'homme de Néandertal. En Alsace, sa présence avait déjà été repérée du côté de Mutzig, et datée d'il y a 100.000 ans. Mais jusqu'à présent, aucune trace de son passage n'avait encore été identifiée au nord de Strasbourg.
Poursuivant ses prospections, Jean-Claude Gérold a trouvé d'autres sites prometteurs à Preuschdorf, Dieffenbach-lès-Woerth et Goersdorf. Parfois en sous-bois, parfois en terrain découvert. En une seule année, il lui est arrivé de passer au peigne fin un même champ à trois ou quatre reprises. Toujours avec l'accord du propriétaire, de la préfecture et du service régional de l'archéologie de la DRAC Grand Est. Et, bien sûr, pas question de piétiner des semailles. Il faut attendre le temps des labours, "quand les mottes ont été lavées par la pluie, et qu'on peut avoir la chance de trouver quelque chose."
Mais dans l'immédiat, il ne s'agit pas encore de fouilles au vrai sens du terme. Tout comme l'homme de Néandertal, Jean-Claude Gérold est un "ramasseur en surface". "Néandertal était un opportuniste" sourit-il. "Il prenait son matériau brut là où il le trouvait." En revanche, contrairement au scientifique actuel, Néandertal pouvait repérer immédiatement ce qu'il cherchait, car à l'époque, il n'y avait pas de forêt.
"C'était plutôt un paysage de toundra, de steppe, comme tout au nord de l'Europe actuelle (…) Il voyait donc immédiatement s'il y avait quelque chose d'intéressant. Il le travaillait grossièrement sur place, puis l'emmenait pour le transformer." Le silex local "est très grossier, mais il en récupérait la meilleure partie, la couche vitrifiée qui se trouve à l'intérieur, pour en faire des outils."
Déjà un millier de ces artefacts identifiés
En quelques années et d'innombrables balades, Jean-Claude Gérold a pu collecter près d'un millier de ces objets anthropiques (transformés par la main de l'homme) : éclats, nucléus, racloirs, grattoirs, perçoirs… Tous sont conservés à la Maison de l'archéologie de Niederbronn, où il sont lavés, triés et identifiés. Une jeune Autrichienne en service civique, Julia Draskowitsch, prend aussi le temps de les dessiner.
Avant de saisir son crayon, elle procède à un examen très minutieux à la loupe. "L'intérêt, ce n'est pas du tout la couleur de la pierre, mais sa structure" explique-t-elle. "Ce que nous recherchons, ce sont ses aspérités", creux, bosses et arêtes. "Chaque détail le plus infime doit être dessiné, il faut vraiment travailler de façon très précise." En commençant son service civique, elle n'y connaissait pas grand-chose à la préhistoire. Mais après quelques mois en contact avec ces cailloux venus du fond des âges, elle a "appris plein de choses sur la vie de ces gens. Les pierres qu'ils ont employées, et ce qu'ils en ont fait."
Néandertal a cassé ce galet puis en a prélevé des éclats pour en fabriquer ses outils.
Parmi les spécimens les plus parlants de ce millier d'objets conservés dans des boîtes de carton, Jean-Claude Gérold présente un "nucléus" : le reste d'un galet, dont plusieurs morceaux ont été prélevés sur tout le pourtour. "Un déchet, pour ainsi dire." Avec un percuteur, son "marteau" – vraisemblablement une autre pierre – l'homme de Néandertal "a d'abord cassé ce galet en deux, puis il en a prélevé plusieurs éclats. Et c'est à partir de ces éclats qu'il a fabriqué ses outils."
Dans une autre boîte, un éclat de pierre à la tranche bien affûté : "Ça, c'est un racloir. Quand ils avaient réussi à détacher un éclat, ils en affinaient l'arête pour en faire un racloir (…) Avec ça, on peut sans problème détacher la peau d'une carcasse, et couper la fourrure d'un renne ou même, pourquoi pas, d'un ours."
Cro Magnon aussi était dans le secteur
La collection de trouvailles comprend aussi des objets plus fins, plus délicats qui, même aux yeux d'un non-spécialiste, témoignent d'une technologie de fabrication différente. Plus évoluée… Ainsi, cet éclat de pierre blanchâtre, de moins de deux millimètres d'épaisseur, dentelé, qui évoque une lame de couteau. "Ça c'est une lamelle d'une période beaucoup plus récente" explique Jean-Claude Gérold.
"On voit parfaitement les "dents", qui ont été fabriquées." Il y a également cette petite pièce noire, arrondie, "un petit grattoir dont on voit très bien les dents, qui ont été ajoutées…" Et même si l'usage de ce type d'objet est difficile à déterminer avec exactitude, "sans hésitation, c'est un objet qui a servi."
Nous avons sur plusieurs champs des traces de deux périodes, de deux types d'humains.
A chaque période de l'âge de pierre correspond une méthode particulière pour fabriquer ses outils. "Et nous avons la chance d'avoir, sur plusieurs champs, des traces de deux périodes, de deux types d'humains, si on veut" jubile Jean-Claude Gérold. C'est donc là une autre de ses découvertes, non moins passionnante : sur les mêmes sites, dans les mêmes "carrières" où l'homme de Néandertal venait se servir il y a 100.000 ans, on trouve aussi les "signatures" de Cro Magnon, l'homo sapiens sapiens du mésolithique, au savoir-faire nettement plus élaboré.
"Sapiens, qui est venu près de 90.000 ans plus tard, s'est parfois installé aux mêmes endroits, et a pris les déchets de ces prédécesseurs. Il les a retransformés pour en faire des outils beaucoup plus perfectionnés", entre 10.000 et 5.000 ans avant notre ère.
Les collections du musée s'enrichissent
Bientôt, les plus belles pièces seront exposées dans la salle du musée dédiée à la préhistoire. C'est d'autant plus intéressant que, jusqu'à présent, la vitrine du paléolitique moyen, la période néandertalienne, n'avait aucune pierre locale à présenter.
"Les objets les plus anciens exposés dans le musée venaient du sud de la France" précise Jean-Claude Gérold. "Les plus anciennes trouvailles régionales de l'âge de pierre remontaient à – 10.000 ans, et venaient de Climbach. Maintenant, on fait un retour dans le temps jusqu'à – 100.000. Et on a vraiment quelques beaux objets à montrer."
Prochaine étape, retrouver l'habitat de Néandertal
Désormais, un nouveau défi se profile : après avoir retrouvé des outils – et des déchets d'outils – des hommes de Néandertal nord-alsaciens, il s'agit de déterminer où ils vivaient. Jean-Claude Gérold a bien une petite idée sur la question : "Probablement en face, dans les collines de grès, là où il y a des grottes. On ne sait pas encore, il faut prospecter (…) On trouvera, on se prendra le temps."
C'est donc le début de nouvelles aventures et, si tout va bien, de nouvelles découvertes, pour lesquels le scientifique se réjouit : "Si on a la chance de trouver des habitats de ces hommes préhistoriques, - je ne suis pas seul, d'autres scientifiques cherchent avec moi – on pourra vraiment écrire une nouvelle page d'histoire pour toute l'Alsace du Nord."