Pour les 70 ans d'Emmaüs, Thierry Kuhn, directeur à Emmaüs Mundolsheim, nous raconte ce qui a changé au sein des communautés. En bien comme en mal. Avec en ligne de mire, toujours, l'économie solidaire et durable. Emmaüs est peut-être en ce sens, non pas le passé mais l'avenir de notre société.
Si j'ai appelé Thierry Kuhn aujourd'hui ce n'est pas un hasard. Cet homme de 53 ans a dirigé Emmaüs France pendant six ans avant de retrouver sa communauté à Mundolsheim où il mène depuis 14 ans maintenant une politique ambitieuse. Celle d'insérer des personnes en situation d'exclusion ou de précarité par le travail. Où les gens s'aident en aidant. Le coeur même de la philosophie de l'Abbé Pierre. Dès 1949.
70 ans et 27 000 personnes
En 1949, quand tout a commencé, ils étaient deux. Deux compagnons d'infortune. Un plus que l'autre. Un curé et un bagnard. L'Abbé Pierre et Georges Legay. Ce dernier, désespéré, est venu demander de l'aide au "petit gars avec sa soutane". Il entendra ces paroles qui resteront gravées dans l'histoire : "Je ne peux t'aider, je n'ai rien à donner. Mais toi, tu peux m'aider à aider les autres." Emmaüs est né à Neuilly-Plaisance.
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— Le Media Social (@Lemediasocial) November 15, 2019
"La philosophie est toujours restée la même depuis" explique Thierry Kuhn. Depuis, cette famille s'est considérablement élargie. "Aujourd'hui nous sommes 27 000 en France : compagnons, bénévoles, salariés. Soit 300 structures."
En Alsace, est créée début des années 50 la première communauté hors Ile de France... à Cernay. Quatre autres suivront accueillant désormais 200 à 250 compagnons. Sans compter les structures d'insertion comme celle de Mundolsheim qui emploient 150 salariés.
La pauvreté a désormais mille visages
Si Emmaüs s'est développé ainsi c'est parce qu'il a aussi fallu s'adapter. S'adapter aux visages de la pauvreté. " Jusque dans les années 70, les communautés étaient très masculines. D'anciens détenus, des hommes seuls en situation de grande exclusion ou de pauvreté, souvent alcooliques. Mais au fil du temps, le profil a changé parce que la pauvreté a évolué."
"Aujourd'hui nous accueillons beaucoup de jeunes, je dirais environ 25% des hébergés. Beaucoup de femmes seules aussi avec des enfants. Les plus de 50 ans au chômage, les primo-arrivants : il y a 50 à 70% de sans-papier dans certaines de nos structures. Nous avons une politique d'accueil inconditionnelle."Jusque dans les années 70, les communautés étaient très masculines.
-Thierry Kuhn, directeur Emmaüs Mundolsheim-
Un public en quête de sens
Le public qui vient à Emmaüs a lui aussi énormément évolué. Il reste encore bien sûr tous ceux qui n'ont pas ou peu de revenus et qui viennent chercher ici meubles, vêtements, vaisselle à petits prix. Mais un autre profil pointe depuis quelques années le bout de son nez. Le jeune sensible.
" Emmaüs est devenu le laboratoire de la biodiversité. Tous les milieux se mélangent. C'est assez extraordinaire ce qui se passe. C'est devenu tendance de venir à Emmaus. On voit de plus en plus de jeunes qui viennent y chercher des objets originaux, qui ont une histoire. Pour eux, c'est un achat solidaire, écologique et responsable. Pas forcément acheter du neuf à tout prix. Ca va bien au-delà du phénomène de mode."
A Emmaüs, tous les milieux se mélangent. C'est assez extraordinaire ce qui se passe.
-Thierry Kuhn-
"Moi ça me rassure de les voir, les jeunes. Ils sont de plus en plus soucieux et investis dans l'économie solidaire. Ils cherchent du sens. Veulent travailler dans une activité économique qui lutte contre l'exclusion. Un métier qui correspond à leurs compétences et qui a du sens. Il y a 15 ans quand je cherchais quelqu'un pour travailler ici, je devais passer une petite annonce et encore c'était laborieux. Aujourd'hui, je reçois une dizaine de CV par semaine, des candidatures spontanées ..."
Emmaüs ? C'est l'avenir
Thierry Kuhn n'est pas du genre à se morfondre. Il ne serait pas là où il est. Là où certains pourraient regretter qu'Emmaüs aient plus que jamais besoin d'exister, lui constate "Emmaüs ? C'est l'avenir."
"Oui les exclusions sont plus fortes, oui les inégalités se creusent mais regardez ce que nous avons bâti avec Emmaüs ... Ce qu'on a bâti ce n'est ni plus ni moins ce vers quoi doit tendre la société de demain. Une société qui lutte contre les inégalités, qui jette moins en recyclant et qui donne du sens au travail. En ce sens, Emmaüs est, depuis ses origines, le précurseur de l'économie solidaire et circulaire."
Emmaüs est, depuis ses origines, le précurseur de l'économie solidaire et circulaire.
-Thierry Kuhn-
"Ceci doit nous faire réfléchir sur notre modèle de société. Moi, ce que je voudrais dans 70 ans, c'est que le système économique et politique soient construits ces bases-là. Sur ces interrogations fondamentales : Qu'est-ce qu'on apporte aux gens les plus défavorisés ? Qu'est-ce qu'on apporte à la planète ?"
L'économie solidaire en France c'est 10% des emplois. Il faudrait que ça devienne la norme.
-Thierry Kuhn-
" Bref, ce que je voudrais c'est que la société fonctionne comme Emmaüs. Et que donc logiquement Emmaüs disparaisse." Et pourquoi pas ? "Certaines entreprises s'en inspirent déjà, c'est un début. L'économie solidaire en France c'est 10% des emplois. Il faudrait que ça devienne la norme."
En parlant d'avenir, plus proche celui là, deux grands projets sont à l'oeuvre pour 2020. Deux belles idées. En décembre, un nouveau lieu de 2000 m² ouvrira ses portes à Bischheim comprenant un magasin solidaire, des ateliers partagés de réparation, un restaurant et un centre de formation. Une ferme d'insertion devrait également voir le jour dans la vallée de la Bruche, écologique et solidaire. Vous pouvez faire un don ici. Histoire de changer dès maintenant la société de demain.