Un projet franco-allemand redonne espoir aux défenseurs français du lynx

Dans les années 1980, la réintroduction du lynx dans les Vosges alsaciennes s’est soldée par un échec. Désormais, les scientifiques essaient d’éduquer les éleveurs pour que les nouveaux lynx introduits dans nos montagnes survivent.

La réintroduction de lynx slovaques cet été en Allemagne, à quelques kilomètres des Vosges alsaciennes, donne espoir aux défenseurs du grand félin de le voir repeupler à terme l'est de la France, alors que la seule région à comporter une population viable est aujourd'hui le Jura.

Des lynx réintroduits dans les Vosges

Le 30 juillet, Luna, Kaja et Lucky n'ont fait que quelques bonds, le cou ceint de gros colliers émetteurs, avant de disparaître dans les fourrés. Ils sont les premiers lynx d'une longue série à poser leurs pattes dans cette zone située à une quarantaine de kilomètres de la frontière française: en tout, 20 lynx, slovaques et suisses, devraient y être introduits au cours des cinq prochaines années, trente ans après une réintroduction dans les Vosges françaises qui s'est soldée par un échec. Au sein de cette forêt qui forme avec les Vosges du Nord une réserve de biosphère transfrontalière de plus de 3000 km2, les responsables du Parc des Vosges du Nord, partenaires d'une fondation allemande pour ce projet, espèrent que les lynx franchiront la frontière française sans s'en rendre compte.

Car si on n'aperçoit plus les plumets aux oreilles et la fourrure tachetée du lynx dans les Vosges ces dernières années, ce n'est pas seulement parce que le félin est discret : malgré la réintroduction de 21 bêtes entre 1983 et 1993, il a quasiment disparu des Vosges.

Braconnage

Lâchers trop espacés pour atteindre une masse critique, alors que le lynx est connu pour sa faible fécondité, diversité génétique insuffisante, collisions routières? Plusieurs explications sont avancées, mais pour Pierre Athanaze, président de l'association Action Nature et auteur de "Qui veut la peau du lynx?", pas de doute: "La cause de la disparition du lynx dans les Vosges, c'est le braconnage, même si personne n'ose le dire officiellement". Un braconnage que faciliterait la tradition de la chasse à l'affût, populaire en Alsace-Moselle, qui permet, mieux que les battues, d'apercevoir les lynx.

Les chasseurs se défendent de tout braconnage mais restent hostiles au principe de lâchers de lynx. "J'ai vécu l'introduction par la force des années 1980, qui s'est révélée être un fiasco parfait, l'animal ne s'adaptant absolument pas au biotope en question", assure Gilles Kaszuk, président de la fédération du Haut-Rhin. Il estime que la présence du lynx est "incompatible avec ce que nous essayons de faire pour avoir une faune intéressante, en termes de cervidés, chamois et chevreuils". "Le chevreuil a un bon potentiel de reproduction et un prédateur n'a jamais détruit sa proie", tempère son collègue du Bas-Rhin, Gérard Lang. 

Plus de lynx : plus de chevreuils 

Pour Gilles Moyne, du centre jurassien de protection de la faune sauvage Athénas, des études montrent même que le lynx, qui consomme environ un chevreuil par semaine, "améliore toujours qualitativement l'état des populations de proies: il fait éclater les hardes, limite les risques d'épidémies, les rend plus méfiantes et de ce fait moins exposées à d'autres facteurs de mortalité". 

Instruits par les échecs du passé, les porteurs du projet de réintroduction ont cette fois beaucoup misé sur la pédagogie, associant chasseurs et éleveurs à leur démarche, à travers des actions de sensibilisation, la mise en place d'un "parlement du lynx" et une étude sociologique sur la représentation du lynx chez les chasseurs.

Pédagogie

Mais alors que les chasseurs de Rhénanie-Palatinat ont apporté leur soutien officiel au projet - en y posant 13 conditions -, "du côté français on n'est pas encore au même niveau que du côté allemand", reconnaît Christelle Scheid, chargée de l'information en France. Elle préconise d'adapter le prix des baux de chasse, au moment de leur renouvellement, à la présence ou non du lynx sur un territoire. Chez les éleveurs, l'enthousiasme aussi est très modéré, la présence de grands prédateurs apparaissant comme un problème de plus dans un contexte économique difficile.

"Il y a quelques années, il y avait eu deux-trois cas (de bêtes tuées par un lynx) et au niveau des indemnisations il n'y avait pas eu de souci. Mais faire venir les inspecteurs, c'est une perte de temps et une contrainte supplémentaire qu'on a du mal à avaler", explique Hervé Wendling, président du syndicat ovin du Bas-Rhin.

Eleveurs et chasseurs mécontents

Les défenseurs du lynx soulignent, eux, qu'un lynx peut tuer une bête mais décime rarement un troupeau : une pression de prédation bien inférieure à celle du loup. Pour Claude Kurtz, cofondateur de l'association "Projet Lynx Pfälzerwald-Vosges du Nord", "réintroduire, ce n'est que 5% de la problématique: après, il reste à mettre en place une acceptation durable de tous les acteurs". 

Malgré ces difficultés, auxquelles s'ajoutent les piètres qualités de colonisateur du lynx, ses partisans espèrent que les animaux réintroduits feront la jonction avec les lynx du Jura, ce qui apporterait de la diversité génétique à leur population. La structure des lâchers, moins espacés et comportant plus de femelles qu'en 1980-1990, pourrait augmenter les chances de succès. Selon Eric Marboutin, chef de projet grands carnivores à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, "sur le long terme, la pérennité d'une population réintroduite dépend souvent de l'effectif qu'elle atteint et de ses connexions démographiques avec d'autres entités voisines". 

Jonction avec le Jura

Le Jura est la seule zone de l'Hexagone à compter une population de lynx conséquente, avec une centaine de bêtes, qui ont recolonisé "naturellement" le massif à partir de la Suisse, où le lynx a été réintroduit dans les années 1970. Pourtant, dans le Jura non plus, tout n'est pas rose pour les lynx. Huit femelles adultes ont disparu sur le massif entre l'été et l'hiver 2015, soit un quart de l'effectif estimé de femelles adultes, un chiffre "considérable", déplore Gilles Moyne, qui craint de voir disparaître le lynx du Jura.
 
Pour que des lynx du Jura puissent un jour croiser des lynx venus des Vosges, les défenseurs du félin plaident aussi pour la construction d'un écopont au-dessus de l'autoroute A4 au col de Saverne, point de jonction entre Vosges du Nord et du Sud.
La réintroduction du lynx en France, une histoire à rebondissements
La réintroduction débutée au mois de juillet de lynx dans le Palatinat (ouest de l'Allemagne) et les Vosges du Nord (nord-est de la France) intervient plus de 30 ans après une autre tentative du même genre dans les Vosges.

Comme dans d'autres pays d'Europe, le lynx boréal a disparu des différents massifs français entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe. La chasse pour sa fourrure, la raréfaction des ongulés dont il se nourrit et l'urbanisation qui empiétait de plus en plus sur la forêt ont alors eu raison du grand félin.

Dans les Vosges, une opération de réintroduction menée entre 1983 et 1993 a abouti au lâcher de 21 lynx, originaires de Slovaquie - 12 mâles et 9 femelles. Les Carpates constituent en effet une des régions d'Europe dont le lynx n'a jamais disparu à l'état sauvage. Les lynx qui y sont capturés présentent donc un bon patrimoine génétique, augmentant les chances de succès de la réintroduction. 

Pourtant, la réintroduction s'est soldée par un échec. Après s'être maintenue pendant une vingtaine d'années sans beaucoup augmenter, la population de lynx s'est effondrée. Un lynx a bien été photographié dans le massif du Donon en 2012, mais il aurait été tué depuis dans une collision routière. Si le lynx n'est pas complètement éteint dans le massif, son état de conservation est au minimum "critique", selon l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. 

Parallèlement à la tentative de réintroduction dans les Vosges, le lynx s'est réinstallé dans le Jura, qu'il a colonisé à partir de la Suisse, où des lynx ont été relâchés à partir des années 1970. Le versan français du massif du Jura compte aujourd'hui une centaine de lynx. 

Selon Gilles Moyne, directeur du centre de protection de la faune sauvage Athénas, basé à L'Étoile (Jura), 90% de la population de lynx en France se trouve aujourd'hui dans le massif du Jura (30 dans le département du Doubs, 30 dans le département de l'Ain et 40 dans le département du Jura), mais
il y a aussi eu "quelques tentatives de colonisation dans le Beaujolais et il y a quelques individus dans le nord des Alpes, dont la présence est très difficile
à quantifier à cause du relief et de la présence du loup". 

Le projet de réintroduction du lynx dans le Palatinat et les Vosges du Nord devrait permettre de lâcher en cinq ans 20 lynx en provenance de Slovaquie et de Suisse. L'ensemble de la zone, côtés allemand et français confondus, pourrait à terme accueillir 45 lynx, selon les porteurs du projet. Les défenseurs français de cet animal déplorent l'absence de plan d'action national du ministère de l'Environnement français, alors qu'il en existe pour le loup, l'ours brun ou encore le vison. 
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