Une torréfactrice de Strasbourg nous fait partager sa passion pour le café

Depuis quatre ans, dans son atelier de Strasbourg-Neuhof, Danièle Dauger torréfie des cafés grands crus. Un nouveau métier-passion pour cette ingénieure de formation, qui a décidé de changer de cap.

De l'extérieur, le bâtiment industriel qui abrite l'atelier de torréfaction de Balzac Café ne paie pas de mine. A l'intérieur, tout le rez-de-chaussée est occupé par une jeune micro-brasserie. Mais dans un angle discret, celle-ci est surplombée d'une plateforme ouverte, accessible par un escalier. C'est là qu'est le domaine de Danièle Dauger.

Un petit espace où trône un torréfacteur rutilant, à côté d'une quinzaine de sacs en toile de jute, plus ou moins rebondis. Le long du mur, un comptoir avec moulin électrique, balance et percolateur, tout le matériel nécessaire pour torréfier, peser, ensacher… Et un canapé pour que les clients de passage puissent déguster un petit noir crémeux, même si ceux qui viennent sur place sont encore rares, car l'endroit n'a rien d'un magasin, et sa localisation reste assez confidentielle.

La torréfaction, un savoir qui sollicite les cinq sens

D'ordinaire, la matinée est réservée à la torréfaction, souvent réalisée par son fils, qui travaille avec elle. Le processus complet, d'une vingtaine de minutes, est renouvelé en fonction du nombre de commandes. Danièle Dauger le reconnaît : elle pourrait, bien sûr, programmer sa machine. Mais elle préfère travailler au feeling, et superviser chaque étape, les cinq sens en alerte.

Dès que le café vert ("huit kilos, pas plus, sinon certains grains risquent de brûler") est versé dans le torréfacteur préchauffé, c'est la vue qui est sollicitée. Bien visibles derrière une petite vitre, les grains tourbillonnants changent de couleur avec l'élévation de la température. Vers 153 degrés, ils jaunissent. A 160 degrés, ils prennent une teinte cannelle.  

Ensuite, l'oreille perçoit nettement les craquements émis par les grains qui augmentent de volume "un peu comme le pop corn". En quelques minutes, le thermomètre s'approche des 190 degrés. A ce stade, la vigilance est de tous les instants. Car quelques secondes de trop, et une torréfaction optimale pourrait basculer vers un ratage.

Commence un rapide contrôle visuel, plusieurs fois répété : prélever des grains de la machine, pour comparer leur brun, encore évolutif, à celui d'un café parfaitement réussi. Et la température du torréfacteur n'est qu'un paramètre parmi d'autres. Il faut aussi tenir compte de l'hygrométrie des grains, mesurée en amont puisqu'elle varie tous les jours, la variété du café, bien sûr, mais aussi "la chaleur du métal, et celle provoqué par la friction…"

Lorsque l'instant précis où il faut stopper la torréfaction est atteint, Danièle Dauger libère les grains qui tombent dans un tambour à air pulsé, où ils sont rapidement refroidis "car sinon, avec la chaleur emmagasinée, ils continueraient à cuire."

Le contrôle olfactif vient plus tard, lors de la mouture, qui sublime les arômes. Mouture diverses, au choix du client (pour filtre, pour piston). Mais beaucoup préfèrent le café en grain. Pour le contrôle gustatif, il faut savoir être patient, "car c'est seulement après une semaine que le café fraîchement torréfié donne sa pleine mesure" précise la torréfactrice.

Du café éthique, qui respecte les petits producteurs

Danièle Dauger a élaboré ses propres recettes : "Pour chacun de mes cafés, je fais plusieurs essais, jusqu'à ce que je sois satisfaite du résultat. S'il ne me convient pas, je bois le café toute seule, sans le vendre", explique-t-elle. Question de respect pour ses clients. Et, plus encore, pour les producteurs. "Quand on connaît la situation de certains pays, où les gens sont très pauvres, le minimum de considération pour leur travail est de faire un bon café, digne d’être dégusté dans une tasse."

Les sacs de juste, encore pleins ou déjà entamés, affichent leur provenance. Ils viennent de tous les continents producteurs : Pérou, Colombie, Mexique, Honduras, Bolivie, Guatemala, Costa Rica, mais aussi Rwanda, Ethiopie et Burundi, ou encore Inde et Indonésie. Pour ses achats, Danièle Dauger ne se rend pas sur place – "ce sera pour plus tard." Elle passe par des courtiers, mais veille à leur éthique, et à la garantie des intérêts des petits producteurs.

"Je travaille seulement avec des courtiers qui aident les fermiers à se développer, ou qui sont sensibles au recyclage de l'eau, au soutien de la scolarité des enfants et au salaire des agricultrices" explique la torréfactrice. Exemple, son café rwandais : "Pour chaque kilo que j'achète, je sais que 2,50 euros seront pour les femmes" précise-t-elle. "Car là-bas, beaucoup vivent seules, comme au Honduras."

Et pas question de s'approvisionner dans des coopératives trop grandes, où ce genre de garantie est difficile à obtenir. : "Je veille à ce que les courtiers travaillent avec de petites coopératives, de vingt, trente producteurs au maximum. Je ne veux pas de grandes structures, comme au Brésil où ils sont plus de trois cents. ET où il y a des problèmes de déforestation. Je veuille à ce que mon café pousse en forêt. S'il est cultivé sur une parcelle déboisée, je ne l'achète pas."

Torréfactrice, barista, caféologue : une formation plurielle

Pour cette perfectionniste, le café est une histoire d'amour. "C'est ma madeleine de Proust. Toute petite, j’en buvais déjà. Je n’ai jamais bu de lait ni de chocolat chaud" se souvient-elle. Mais pour décider d'en faire son métier, il lui a fallu des années. "Un jour, je me suis acheté une bonne machine, mais je ne trouvais pas de café qui me convenait, ni dans le commerce, ni sur internet." Elle a donc choisi... de le produire elle-même.

Et elle s'en est donné les moyens. Au-dessus du comptoir, une longue rangée de diplômes est là pour le prouver. Elle a suivi l'ensemble des formations proposées par l'association internationale SCA (Speciality coffee association), spécialisée en grands crus. "Cette association propose des formations pour la torréfaction, pour le métier de barista ("sommelier" du café) et pour la caféologie. J'ai tout suivi, car j'estime que pour faire du bon café, il faut tout savoir, du début à la fin" raconte Danièle Dauger. Elle a pu profiter de l'unique occasion où ces formations ont été proposées dans l'hexagone. "Je suis donc la première torréfactrice française à avoir obtenu son diplôme en France", sourit-elle.

Pour Danièle Dauger, la science du café est aussi passionnante que l'œnologie. Chaque pays, chaque terroir a ses particularités. Et les divers traitements que subit le café dès sa cueillette ont une incidence indéniable sur son goût. Elle est intarissable pour expliquer les différents résultats : le café "lavé", très aromatique, reconnaissable à une pellicule "semblable à une peau de cacahuète", et "dont la cerise a été dépulpée, et qui a d'abord fermenté avant de sécher." Le café "nature", (son préféré) non fermenté, plus concentré en sucre, car "il est étalé au soleil durant six semaines, et a été retourné plusieurs fois par jour pour bien sécher à l'air libre." Ou encore le café "honey process", intermédiaire entre le "lavé" et le "nature"…  

Les après-midis réservés à la livraison

D'ordinaire, après la torréfaction et la préparation des commandes, mouture et mise en sachets, Danièle Dauger passe ses après-midis à livrer. Actuellement, ses principaux clients sont des petits magasins de l'Eurométropole de Strasbourg, mais aussi de la région de Haguenau. Dès avant le premier confinement, elle avait aussi commencé à lancer un click and collect dans l'Eurométropole, avec un fleuriste-café du quartier strasbourgeois de la Krutenau, pour éviter à ses clients de devoir se rendre jusqu'à son atelier. Et dès 30 euros de commande, elle livre les particuliers.   

Même loin de son torréfacteur, Danièle Dauger apprécie aussi énormément cette partie de son travail, pourtant très chronophage : "On bavarde toujours. J’ai beaucoup de clients intéressants qui font de belles choses dans la vie. C’est passionnant à voir et à entendre" s'exclame-t-elle. Passionnée par toutes les facettes de son métier, elle avoue cependant que son nouveau métier lui a fait perdre le sommeil. "Non pas parce que je bois trop de café" précise-t-elle. "Mais avec mon fils, il faut qu'on réussisse à pérenniser Balzac café, à en dégager des salaires pour nous deux. Et pour l'instant, ça reste très dur."

Car au-delà des difficultés liées à toute jeune entreprise qui doit se faire connaître, la crise sanitaire a stoppé net certains contrats avec de gros clients,  hôteliers-restaurateurs, qui lui auraient permis d'envisager l'avenir avec un peu plus de sérénité. Mais après avoir essuyé d'innombrables plâtres durant ces quatre premières années, Danièle Dauger en est convaincue : "Si je m'en sors sans trop de dégâts après la pandémie, je pourrai continuer. Car je suis blindée."    

 

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