Roland Thomas, le dernier résistant du maquis de Grandrupt est décédé à l'âge de 101 ans. Manon Deliot, réalisatrice d'un film sur son "grand-père de cœur" raconte sa relation avec cet homme au destin exceptionnel.
Roland Thomas, le dernier résistant du maquis de Grandrupt-de-Bains (Vosges) est décédé le 24 juillet 2023 à l'âge de 101 ans. Manon Deliot originaire de Monthureux-sur-Saône est coréalisatrice avec Ludivine Leduc du documentaire "dix-huit ans en 39". Elle nous a raconté lors d'un entretien samedi 30 juillet 2023 sa relation privilégiée avec celui qu'elle appelle "Monsieur Thomas" ou encore son "grand-père de coeur", un homme au destin exceptionnel. Issu d'une famille de cheminots résistants, Roland Thomas refuse la défaite et la collaboration du gouvernement de Vichy.
Il rejoint le maquis de Grandrupt mais le 7 septembre 1944, les Allemands prennent en otage les 700 habitants du village ainsi que ceux de Vioménil. Les maquisards se rendent pour sauver leurs familles menacées de mort. L’attaque du maquis fit trois morts et 213 prisonniers dont 117 moururent dans les camps de concentration et d’extermination nazis. Roland Thomas fait partie des déportés.
Manon Deliot, comment est né ce projet de documentaire ?
Il était mon grand-père de cœur. Depuis de très nombreuses années on se côtoyait très régulièrement et nous échangions beaucoup sur ce qu'il s'est passé pendant la guerre, sur son histoire en tant que maquisard et en tant que président des déportés. Et puis un jour de 11 novembre il m'a dit : " tu sais, je ne suis pas éternel." et ça m'a brisé le cœur comme à toute personne qui tient à ses proches. Je me suis dit qu'il existait plein de témoignages écrits de Monsieur Thomas mais aucun enregistrement. Je voulais faire une vidéo avec Ludivine Leduc, une copine d'enfance qui est vidéaste. J'étais à l'époque en fac d'Histoire et j'avais des profs qui connaissaient très bien l'histoire de la Résistance vosgienne.
Comment Roland Thomas a accueilli votre projet de documentaire ?
Il a été super enthousiaste. C'était très émouvant. On a filmé pendant huit heures. Il était vraiment très content et je vous avoue que la cerise sur le gâteau, ça a été la première diffusion du film le 7 novembre 2021, la veille de son centième anniversaire. On a réuni trois cent cinquante personnes à Monthureux-sur-Saône (Vosges). C'était vraiment je pense, le plus beau cadeau qu’il a reçu pour ses cent ans.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans la personnalité de Roland Thomas ?
Étant donné les relations de cœur que j'avais avec lui, si j'essaie d'être un peu plus objective au niveau du Résistant et du parcours de l'homme, la chose qui m'a marquée ainsi que chaque personne qui a pu rencontrer Monsieur Thomas, c'est sa loyauté indéfectible. Je vais vous donner un exemple : Lorsqu'il s'est fait remettre la Légion d'honneur, il s'est retourné vers les noms inscrits sur la stèle du maquis, ce qui ne se fait absolument pas. Il a retiré sa Légion d'honneur. Il leur a dit : "c'est pour vous."
Il s'est rendu avec les autres maquisards pour ne pas mettre la vie en danger des habitants otages des Allemands. Comment a-t-il vécu ce drame ?
Ça a été un dilemme oui et non parce que finalement, ils ont réussi à prendre la décision assez rapidement. Ils avaient en tête la cruauté des Allemands à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) [ Les divisions "Das Reich" et "Der Führer" harcelées par les maquisards massacrèrent 643 habitants de la localité le 10 septembre 1944. N.D.R] Pour eux, il était impossible de laisser mourir des innocents.
Dans votre film il évoque le souvenir précis de son arrestation.
Roland Thomas était en train de couper un morceau de fromage au moment où les Allemands ont fait irruption dans le maquis. Un commandant allemand a renversé la table. Il a fait tomber le morceau de fromage par terre et a dit à Monsieur Thomas : "ramassez-le parce que là où vous allez, vous allez en avoir besoin." et Monsieur Thomas a répondu : "mais je n'ai pas faim vous savez !" L'officier a insisté pour qu'il le ramasse. Cette histoire du bout de fromage a énormément marqué Monsieur Thomas parce qu'après, lorsqu'il a souffert de la faim, je crois qu'il y a beaucoup pensé.
En temps de guerre, un homme ne se reconnaît pas.
Roland Thomas. Maquisard humaniste.
Il est arrêté avec ses camarades et retrouve en prison le dénonciateur...
La personne qui a dénoncé le maquis aux Allemands était là lors de l'arrestation des Résistants. et Monsieur Thomas l'a retrouvé à Épinal. Cet homme a aussi été arrêté et ils se sont retrouvés dans la même pièce. La question qui nous est venue naturellement était de savoir s'il lui en avait voulu. En toute élégance et conforme à sa moralité, il nous a répondu non "parce qu'en temps de guerre, un homme ne se reconnaît pas."
Roland Thomas a été déporté à Dachau puis à Mühlendorf. Des moments difficiles sur lesquels il ne s'attardait pas trop.
Nous l'avons fait parler quand même de son parcours en tant qu'Interné. Quand il est arrivé au camp, sa tête a été rasée, il a porté un vêtement de détenu. Il n'était plus qu'un numéro. Il n'y a qu'un épisode sur lequel il ne s'est jamais trop étendu et ça se comprend. C'est lorsqu'il a été affecté au ramassage des morts dans le camp. Il était très jeune...
Il a aussi travaillé dans un commando qui devait réaliser un bunker pour le premier avion à réaction de l'époque. Il faisait des tonnes et des tonnes de béton et il disait que ses cheveux en fait étaient devenus aussi du béton.
Quel message retenez-vous de son témoignage ?
Il dit qu’il s'est battu, que ça pourrait nous arriver aussi à notre âge. Et qu'il ne faut pas oublier, qu'il faut tout faire pour que ça ne se reproduise plus. Pour lui, c'est la transmission de cette mémoire qui fait que nous préserverons la paix.
Infatigable, Roland Thomas n'a jamais cessé tant que sa santé le lui permettait, de témoigner dans les établissements scolaires. Manon Deliot est encore surprise de l'accueil reçu par le documentaire. Il s'agissait au départ d'une petite vidéo réalisée par une bande de copains avec les moyens du bord. Ce film de 1H10 a été récompensé par la Société des membres de la Légion d'honneur. Manon Deliot prévoit une nouvelle projection à la fin de l'année 2023.