EPISODE 6 - C'était il y a 80 ans. Après la percée des Allemands à Sedan, les aviations française et britannique tentaient une riposte tardive pour empêcher les troupes ennemies de franchir la Meuse. En vain...
A Sedan, le pont de Gaulier est à présent complétement opérationnel. 60 000 soldats, 22 000 véhicules dont 850 chars s’apprêtent à l’emprunter. C’est le véritable cordon ombilical de l’armée allemande. Détruire ce pont, ce serait casser l’élan de l’offensive d’Hitler. Cette fois, l’Etat-Major français prend conscience du danger. Le général français Billotte donne ses instructions: "La victoire ou la défaite passent par ces ponts".
A 5h30 du matin, la première vague de bombardiers alliés fond sur le pont de Gaulier. Mais dans la nuit, les Allemands ont disposé un mur de feu de 303 canons anti-aérien. L’armée de l’air allemande a mobilisé également 814 avions pour contrer l’attaque alliée.
Il faut du cran et de l’audace pour plonger si près de cet enfer que déclenchent nos canons anti-aériens, car les Français savent aussi bien que nous ce que cela signifie de détruire ce pont.
Theodor von Hippel, colonel allemand.
Français et Britanniques n’ont que 152 bombardiers et 250 avions de chasse dans ce secteur. Malgré le déséquilibre des forces, les aviateurs alliés se jettent dans cette mission-suicide par vague de 10 à 20 avions, là où il en aurait fallu des centaines pour avoir une chance.
Jusqu’à minuit, 27 assauts vont être menés, tous échoueront. Entre 16 et 17 heures, 71 bombardiers britanniques s’approchent du pont, 40 sont abattus, aucun ne touchera l’objectif.
Le colonel allemand von Hippel témoigne : "Sans arrêt, avec un cran remarquable, les Potez et Morane viennent attaquer leur objectif ; ils volent à basse altitude avec une grande audace. Car il faut du cran et de l’audace pour plonger si près de cet enfer que déclenchent nos canons anti-aériens, car les Français savent aussi bien que nous ce que cela signifie de détruire ce pont. Ils n’y parviennent pas… un avion déjà touché, en proie aux flammes, fonce soudain vers le pont ".
Les bombes qu’il lâche n’atteignent pas l’objectif, l’appareil rate le pont et explose en s’écrasant au sol un peu plus loin. Son pilote a sauté de l’avion au dernier moment, il passe cinq mètres au-dessus d’un char qui traversait à ce moment-là. Le pilote coula dans la Meuse. La chance est toujours du côté des Allemands en ce 14 mai. 167 avions alliés furent détruits ce jour-là. Le pont de Gaulier est toujours debout.
Contrairement à une idée reçue, l’aviation française ne fut pas absente des combats en 1940. Moins nombreuse que l’aviation allemande, ses pilotes étaient mieux formés. 733 avions allemands ont été abattus en combat aérien par les Français en mai/juin 40 alors que 306 avions français furent abattus en combat par les Allemands.
L’avion français Dewoitine D520 était le meilleur avion que les français pouvaient opposer aux Allemands en 1940. Il rivalisait aves les Messerschmitt. Mais l’armée de l’air allemande avait concentré 2600 avions sur le front alors que les alliés ne pouvaient compter que sur 1450 avions sur la même zone.
"A chaque division aérienne on affectait des corps aériens, ce qui fait qu’il y avait des corps aériens complétement débordés comme ici à Sedan, ils n’arrivaient même pas à pénétrer sur le secteur de Sedan, puis d’autres du côté de la Ligne Maginot, de Laon,… et bien eux ils attendaient", nous expliquait, en juin 2010, Jean-Claude Forêt, le président des anciens combattants de Floing-Gaulier.
"Alors que les Allemands, ils ont mis plusieurs milliers d’avions ce jour-là d’un seul coup. Quand les Stukas attaquaient ils étaient 200, 300, 400… et quand une escadre arrêtait d’attaquer une autre prenait le relais. Les Français étaient restés sur l’idée de 14/18. Les chars devaient accompagner l’infanterie, ils roulaient au maximum à 40 à l’heure, alors que les Allemands ont mis d’un seul coup des centaines de chars et ont tout bousculé. Ils avançaient comme dans du beurre car les avions bombardaient les points de résistance devant eux. Et pour aller encore plus vite les fantassins allemands montaient sur les chars. Les Russes ont copié cela plus tard".
En Belgique, les combats font rage
A quelques kilomètres de là, près de Dinant en Belgique, le général allemand Erwin Rommel rencontre plus de difficultés que son collègue Guderian pour passer la Meuse.
Les pertes allemandes sont lourdes face à la 18e division d’infanterie française. Avec seulement 21 canons anti-chars, les Français s’opposent près de 24 heures aux 218 blindés de la Panzer division de Rommel.
Celui-ci, conscient des difficultés, prend beaucoup de risques pour commander ses hommes au plus près des combats. Près du bois d’Onhaye, Rommel sera blessé à la joue par un éclat d’obus de l’artillerie française, raconte l'historien Dominique Lormier. Mais sous le poids du nombre et les bombardements des Stukas, les Français finiront par céder.
La Meuse est également passée entre Houx et Dinant. D’autres ponts sont jetés sur le fleuve pour faire passer les chars.
Plus au nord, à Gembloux, près de Namur, les combats font rage également.
Grâce à la victoire des chars français la veille à Hannut, 34 000 Français et une puissante artillerie bloquent pendant 48 heures 40 000 soldats allemands et 500 chars. Mais l’armée française doit battre en retraite car plus au Sud à Sedan le front craque. Le 110e régiment d’infanterie de Dunkerque et le 43e de Lille participèrent à ces combats.
Notre artillerie a fait beaucoup de travail, notre commandant était un as pour les tirs. On en a démoli des Allemands, là.
André Boutoille, artilleur calaisien.
Le Calaisien André Boutoille fait partie de ces troupes françaises trop avancées en Belgique. Avec son régiment d’artillerie, il participe aux combats qui vont stopper les Allemands dans le centre de la Belgique. Une victoire inutile puisque l’armée allemande a ouvert une brèche énorme dans les Ardennes et menace de prendre les Alliés à revers.
Mais en ce 14 mai, André Boutoille l’ignore encore... "Quand on est arrivés sur place près de Namur, là ça bombardait", se souvient-il. "Je les ai vus descendre la Meuse là. Nous on était habillés avec le sac sur dos et tout le bazar, et eux ils descendaient en petite chemisette, avec des mitraillettes et des petites chenillettes, tous frais et dispos".
"On les regardait avec les jumelles. Notre artillerie a fait beaucoup de travail, notre commandant était un as pour les tirs. On en a démoli des Allemands, là. Et puis on a vu l’infanterie passer qui nous disait : "Qu’est-ce que vous faites encore là ?". On a reculé parce que les Allemands sont arrivés avec les chars, les avions… J’étais avec le fusil mitrailleur au bord d’un fossé, en position. Voilà que leurs bombardiers s’amènent. Un jeune lieutenant nous dit : "Qu’est-ce que vous attendez pour tirer ?" Un capitaine a crié surtout pas, vous êtes à découvert, vous allez vous faire massacrer. Si on avait tiré, je ne serais peut-être pas là…".
Le Nord se prépare
Dans le Valenciennois, ce 14 mai, le soldat Jules Beaulieux du 54e régiment d’infanterie de forteresse, écrit à ses parents. Il est né en novembre 1917, fils d’un mineur d’Anzin. Depuis le 10 mai il est consigné comme tout son régiment. Il est affecté à la garde d’une tourelle blindée équipée d’une mitrailleuse lourde pour interdire le passage du pont du Sarteau à Fresnes-sur-Escaut. Il écrit : "La belle vie est finie, nous sommes de garde, de jour comme de nuit. C’est terrible quand les avions passent au-dessus de nous pour aller bombarder".
A Dunkerque, Jacques Duquesne entend la radio alimentée par la propagande alliée parler de plus de 30 000 civils morts à Rotterdam. A bout de ressources après à peine 4 jours de combats, les Néerlandais ont commencé des pourparlers de reddition dans la matinée. Malgré ces négociations, l’armée de l’air allemande écrasera la ville de Rotterdam à 13h30.
1300 bombes sont lâchées faisant un millier de victimes civiles et détruisant tout le centre historique de la ville. Ce bombardement n’avait aucun intérêt stratégique, les Néerlandais s’apprêtaient à se rendre.
Cette nouvelle aura un retentissement important parmi les habitants des régions du nord qui se souviennent de l’occupation allemande de 14/18. Certains commencent à s’organiser pour évacuer la région.
► La suite de notre série demain avec la journée du 15 mai 1940. Vous pouvez relire les épisodes précédents dans le récapitulatif ci-dessous :