EPISODE 5 - C'était il y a 80 ans. L'Allemagne nazie attaquait la ville de Sedan, faiblement défendue, pour pénétrer sur le territoire français. La bataille de France débutait alors véritablement. Elle allait embraser tout le nord du pays.
Comme en 1870 et en 1914, en mai 1940 les Allemands passent la Meuse par le même point : Sedan…
Ce jour-là, le chef du bureau des opérations de l’armée française écrit à propos des combats en cours : "Très bonne impression générale". Pourtant au même moment, les meilleures troupes allemandes franchissent la Meuse face à des troupes de Français peu équipées et préparées qui vont se faire véritablement massacrer.
Depuis 8 heures du matin, les avions allemands harcèlent les défenses, mais peu après 15 heures c’est un déluge de bombes qui s’abat sur les soldats français. L’offensive se concentre sur un front d’à peine 4 kilomètres qui sera bombardé par 750 avions pendant 90 minutes, la plus forte concentration d’avions jamais déployée jusque-là.
Des fantassins allemands depuis l’autre rive ont décrit ce qu’ils ont vu au moment des bombardements des lignes françaises : "C’est l’horreur… au-dessus de l’autre rive s’élève un mur de soufre, jaunâtre ; il ne cesse de grandir. Sous la formidable pression de l’air, les vitres vibrent, éclatent. Le sol tremble ; des maisons vacillent. A quoi cela doit-il ressembler, là-bas chez les Français ?".
Dans son abri de béton, le lieutenant français Michard témoigne : "Les Stukas se joignent aux bombardiers lourds. Le bruit de sirène de l’avion qui pique vrille l’oreille et met les nerfs à nu. Il vous prend l’envie de hurler" (cité par l'historien Dominique Lormier).
La 55e division d’infanterie française, constituée essentiellement de réservistes, écrasée sous les bombes ne pourra pas repousser l’assaut. Grâce aux abris de béton, les bombardements n’ont fait "que" 56 morts, mais toutes les communications sont coupées et les hommes sont sidérés par ce qu’ils viennent d’endurer.
Cinq heures de ce supplice mettent les nerfs à bout, les fantassins deviennent incapables de réagir devant l’infanterie ennemie.
Edmond Ruby, général français.
Le général Guderian avait prévu que "l’effet psychologique de bombardements "incessants" sur les nerfs des défenseurs aurait des conséquences dévastatrices". Il avait vu juste, lorsqu’à 16 heures les fantassins allemands traversent la Meuse sur des canots pneumatiques, les défenseurs français ont les plus grandes difficultés à retrouver leurs esprits.
D’après l’historien militaire allemand Karl-Heinz Frieser, c’est la première fois que l’artillerie, l’aviation et les armes de l’infanterie ont été synchronisées avec une telle perfection. Le général français Ruby explique que "sous l’attaque des Stukas et des bombardiers, les artilleurs cessent le feu et se terrent, les fantassins immobiles et tapis dans leurs tranchées, abrutis par les fracas des bombes et le sifflement des avions piquant au sol, n’ont pas un instant le réflexe de gagner leurs emplacements de tir contre les avions… Cinq heures de ce supplice mettent les nerfs à bout, ils deviennent incapables de réagir devant l’infanterie ennemie".
De 8 heures du matin à la tombée de la nuit, 1500 avions allemands vont dévaster toutes les défenses françaises sur un front d’à peine 4 kilomètres de large. D’après des historiens, c’est l’événement le plus violent de la campagne de mai/juin 40. L’effet du choc psychologique est le même que celui de l’utilisation des premiers gaz de combats ou des chars en 14/18, selon Karl-Heinz Frieser.
Le Großdeutschland était l’un des meilleurs régiments allemands. La 1ère Panzer était aussi la meilleure division blindée allemande. En face, c’était des réservistes, pourtant ils se sont bien battus car lorsqu’on analyse les pertes françaises et allemandes, elles sont relativement élevées.
Jean-Claude Forêt, président des anciens combattants de Floing-Gaulier.
En juin 2010, nous avions rencontré Jean-Claude Forêt, le président des anciens combattants de Floing-Gaulier dans les Ardennes, sur les rives de la Meuse, à l’endroit exact où les Allemands ont réussi à traverser le fleuve.
"Ce sont les Stukas qui sont intervenus, l’attaque des Stukas a duré une à deux heures, ensuite sous le parapluie des Stukas, l’infanterie du Großdeutschland a traversé la Meuse... La traversée en canots pneumatiques n’a duré que quelques minutes, ils se dépêchaient car l’artillerie française bombardait. Mais elle bombardait mal car les murs d’une usine masquaient la masse des troupes allemandes", explique-t-il.
"Le général allemand Guderian avait vu, lui, que les murs de l’usine (textile de l'Espérance) offraient une protection à ses troupes, c’est pour ça qu’il a choisi de passer ici. Ç'a été le pot de terre contre le pot de fer. Le Großdeutschland était l’un des meilleurs régiments allemands. La 1ère Panzer était aussi la meilleure division blindée allemande. En face, c’était des réservistes, pourtant ils se sont bien battus car lorsqu’on analyse les pertes françaises et allemandes, elles sont relativement élevées, mais l’Etat-major français a vraiment fait une erreur ici", poursuit-il.
"Les blockhaus français n’étaient même pas terminés, il n’y avait pas d’évacuation de fumées pour les armes, pas de portes blindées. Les Allemands les ont pris à revers. L’attaque a débuté vers 16 heures, et vers 22 heures les Allemands avaient déjà progressé de 12 kilomètres".
En 1940, les généraux allemands avaient repéré l'usine textile de l'Espérance sur les bords de la Meuse devant une plaine peu protégée par l’armée française.
En ce 13 mai, le général Guderian a massé les canots, les pontons et ses commandos du génie dans les allées de l’usine à l’abri de l’artillerie française juste avant d’attaquer les rives de la Meuse en fin d’après-midi.
Des élèves d’académies militaires, comme Saint-Cyr, visitent aujourd'hui régulièrement ces lieux pour comprendre les innovations tactiques et stratégiques réalisées à l’époque.
D’après l’historien français Philippe Masson, Hitler a déclaré "Nous en verserions des larmes de joie" , lorsqu’il apprend que les meilleures unités alliées se battent contre ses troupes dans le centre de la Belgique au lieu de se précipiter vers les Ardennes. Son piège a fonctionné. C’était une manœuvre risquée pour les Allemands, un véritable coup de poker.
Même si l’opération n’avait que 10% de chances de réussir, j’y tiens. Car elle seule conduira à l’anéantissement de l’adversaire.
Fedor von Bock, général allemand.
Du point de vue économique, étranglé par un embargo sur les matières premières depuis leur défaite de 1918, le Reich n’a pas les moyens de soutenir une guerre d’usure. Les Allemands n’avaient pas droit à l’erreur : 3 jours pour traverser les Ardennes, un jour pour traverser la Meuse, pas un de plus sinon les Alliés auraient eu le temps de comprendre le plan allemand et de réagir pour imposer à Hitler une guerre de position comme en 14/18.
Le général allemand von Bock estimait que l’attaque des Ardennes était une offensive risquée mais nécessaire : "Même si l’opération n’avait que 10% de chances de réussir, j’y tiens. Car elle seule conduira à l’anéantissement de l’adversaire".
Des troupes allemandes sous méthamphétamine
Le général Guderian qui mène l’offensive principale sur Sedan avait donné des ordres très précis pour tenir ces délais : "S’il s’avère nécessaire, je vous demanderai de ne pas dormir durant au moins 3 nuits". Rien n’a été laissé au hasard : 20 000 pilules de pervitine ont été distribuées aux troupes pour cette attaque. Il s’agit d’une méthamphétamine, un stimulant coupe-faim et anti-fatigue qui donne un sentiment d’invulnérabilité. Chaque soldat allemand savait que chaque minute comptait dans la course à la Meuse.
En fin de journée, les Allemands ont traversé le fleuve, neutralisé les défenses françaises sur plusieurs kilomètres de profondeur et commencé à construire un pont flottant, à côté de l’usine l’Espérance de Gaulier, pour faire traverser les chars.
A minuit, le pont est opérationnel.
A cause des mauvais choix stratégiques de leur Etat-major, 7 divisions françaises se retrouvent opposées à 40 divisions allemandes sur le front de la Meuse, sans possibilité d’être renforcées.
Les Néerlandais stoppent leur contre-attaque
Bien plus au nord, à Rotterdam, les Néerlandais se battent toujours. Leur infanterie de marine contre-attaque et bouscule les Allemands privés de soutien aérien, puisque leurs avions sont occupés au sud vers Sedan…
Mais faute d’informations précises sur l’avancée de leur contre-attaque, les gradés néerlandais donnent l’ordre de la stopper alors que les Allemands étaient battus : dans son immeuble encerclé le lieutenant-colonel Kerfin avait déjà préparé son drapeau blanc pour se rendre lorsque les soldats néerlandais se retirent, raconte l'historien Dominique Lormier.
Hitler fut particulièrement contrarié par ces événements. Il donna l’ordre d’écraser la résistance néerlandaise. En ce 13 mai, le sort de la guerre est scellé en faveur des Allemands, surtout à cause d’un Etat-major français incapable de remettre en cause sa vision des événements.
► La suite de notre série demain avec la journée du 14 mai 1940. Vous pouvez relire les épisodes précédents dans le récapitulatif ci-dessous :