Brûlo, provocation, pamphlet. Un prof d'anglais de Wormhout dresse un portrait au vitriol de certains de ses propres collègues dans un livre intitulé "Pires que les élèves".
Il ne va pas se faire des mais mais il dit s'en moquer : "De toutes façons, je n'en ai déjà pas beaucoup parmi mes collègues". Stéphane Furina, professeur d'anglais à Wormhout, n'y va pas par quatre chemins et le titre de son livre (qui sort ce samedi chez Pôle Nord Editions, 17€), il le pense vraiment : "Les profs sont pires que les élèves". Même s'il précise tout de suite pour nuancer qu'il y a "des bons profs. Et je ne me prétends pas meilleur prof du monde. Mais j'en ai un petit peu marre de toujours entendre beaucoup de généralités sur les élèves : "Ils ne travaillent pas", "Ils sont de plus en plus mal élevés", "Ils ne font rien"... J'ai voulu rétablir l'équilibre et montrer que c'est aussi le cas d'une minorité de professeurs."
Dans ce "Journal de bord d'un professeur du Nord", il parle à travers notamment le regard d'un élève fictif, Victor, des profs qui se plaignent tout le temps, qui cassent les élèves, racontent des anecdotes sur ce qui le choque dans les salles des profs... "Quand l'élève réussit, c'est grâce au prof. Quand l'élève est nul, c'est la faute des parents qui ne s'en occupent pas."
Déjà, depuis quelques semaines, sur sa page Facebook, il publie également des photos provocatrices reprenant certaines de ses anecdotes ou analyses. Il tient à préciser qu'il ne parle pas de ses collègues actuels.
Stéphane Furina assure recevoir des témoignages de parents, d’élèves et de profs qui le soutiennent dans toute la France.
Extraits du livre
EXTRAIT 1J’adore les conseils de classe ! Je vais présider le mien pour la toute première fois. Ma classe est première sur la liste, je donne le coup d’envoi. J’ai buché sur les bulletins tout le weekend. Merci Pronote, c’est tellement plus facile, on a toutes les infos en un clic sur l’élève, ses notes, sa moyenne générale. Je me souviens, il y a à peine dix ans, on devait calculer nos moyennes nous-mêmes, tout noter à la main, les notes, les appréciations, tout ! Je passais un temps fou ! Merci le bon vieux carnet de notes qui, pour moi, est démodé à présent. Je rentre toutes mes notes à chaque paquet de copies corrigé.
Je n’ai pas une classe excellente question boulot. Ils sont très sympathiques, les cours se déroulent bien, aussi bien avec les autres professeurs qu’avec moi, mais le travail personnel est quasi inexistant pour la majorité d’entre eux. Voilà ce que je vais dire pour présenter le profil de ma classe, je pense que j’ai bien résumé. Monsieur Damier sera présent à mes côtés alors que le nouveau Principal adjoint présidera les conseils des sixièmes et cinquièmes.
Pendant la journée, je me renseigne sur la présence de mes collègues : certains ayant parfois deux conseils de classe en même temps, je fais ma petite enquête. Seb, le prof de sport, sera là ainsi que Dorianne pour l’espagnol.
Ma vie de classe tombe le lundi matin à onze heures trente. J’en ai donc fait une le jour du conseil et j’ai écouté les points positifs et négatifs des élèves, je les ai un peu sermonnés sur leur manque de travail en leur faisant partager quelques anecdotes me concernant moi ou d’autres gens qui ont croisé ma route.
Les déléguées se plaignent de Monsieur Templart : apparemment, il leur aurait fait signer une charte en début d’année dans laquelle était stipulé, entre autre, qu’il est interdit de remettre en cause la correction d’une évaluation ou d’un DS.
- Il m’a mis 14/20 à mon DS mais en recomptant mes points, je me suis rendu compte que j’avais 17. Je suis allé le voir, il m’a tendu la charte devant les yeux, celle qu’il nous a obligés à signer. Comme j’avais contesté sa notation il m’a mis deux heures de colle et un zéro pointé, se plaint Déborah.
- Tu es sûre ? ? Ça m’étonne quand même…
Je mens, c’est évident. Quand je regarde leurs moyennes en histoire, elles sont anormalement basses. Je n’ai que neuf ans d’ancienneté dans l’Education Nationale, je peux me tromper, mais je les connais tellement bien, ces profs.
- Je n’ai jamais entendu parler de cette histoire de charte.
Forcément, je n’en ai jamais entendu parler : c’est interdit !! Il se prend pour qui ?? J’ai beau en voir tous les jours, je ne m’y habitue pas.
- Tenez, me dit l’une des déléguées.
Elle me tend son cahier sur lequel est collée la charte au tout début, signée par l’élève et le professeur. Il est bien stipulé qu’aucun élève ou parent n’a le droit de contester la correction du professeur. J’essaie de me mettre à la place de ce crétin de prof et de trouver une solution, quelque chose qui lui serait passé par la tête au moment de la rédaction de ce torchon.
- Tu es sûre que tu n’as pas contesté ton interro ? Je veux dire : peut-être que tu as bel et bien eu 14 et que tu as fait ta propre correction, t’apercevant qu’il te manquait trois points.
- Non, s’énerve l’élève, prête à bondir sur moi ! Les points sont notés dans la marge. Tenez, vérifiez !
Elle me tend son évaluation et je ne peux que confirmer : elle a bien eu 17/20, j’ai recompté trois fois, rien à faire, j’avais beau être nul en maths, je compte bien 17 ! Je regarde l’élève concernée, folle de rage par cette injustice : de 14/20, elle passe à 0/20 avec deux heures de retenue.
Je suis dans une position délicate : je fais quoi ? J’ai bien la preuve que la gamine dit vrai, ceux qui veulent m’insulter de démago, là, maintenant, ne sont pas crédibles. Dans une école, il y a deux types de personnes :
a. les profs : je les connais bien et tant pis si je généralise. Ils sont capables de tout, du meilleur comme du pire. Il faut s’en méfier comme de la peste. Ne jamais faire confiance à un professeur avant de bien le connaître. Et même quand vous estimez que vous le connaissez bien, ne lui faites pas confiance ! Attendez de bien le connaître avant de lui faire confiance, quand vous le connaîtrez bien, à ce moment-là, faites-lui confiance.
b. Les élèves : je les connais bien et tant pis si je généralise. Je les ai depuis septembre et je suis également leur professeur principal. Les élèves en général sont capables de tout, du meilleur comme du pire. Mais ils disent souvent la vérité, n’en déplaise à certains ! Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?
Je sors de mes pensées et je rétablis le calme dans la classe.
- Très bien, j’irai le voir mais j’attends de voir ce qu’il va dire d’abord, je suis sûr que vous me cachez des choses. Vous ne m’avez pas tout dit, dis-je d’un ton à la fois espiègle mais assez convaincant.
Je pensais avoir clos la conversation à ce sujet, mais Justine, une élève un peu à côté de la plaque, très remontée elle aussi, lève la main :
- Ouais, mais à moi il m’a dit ce matin « [nom d'une ville] c’est plus loin, tu t’es trompée de sortie d’autoroute ! », tout simplement parce que je me suis plantée à une question.
Pour info, dans cette ville se trouve un hôpital psychiatrique. Beaucoup malheureusement y font référence quand quelqu’un qui y est interné est « fou », « débile » ou nul.
J’ai beau être habitué, je suis sidéré pas autant de méchanceté. Qu’on ne me dise pas que c’était de l’humour ! Je n’ai pas su rebondir à temps. Je ne pense pas qu’elle ait pu inventer ça. Pourquoi n’en parle-t-elle pas à ses parents, nom d’une pipe !? Beaucoup d’élèves font comme elle, à mon grand regret, et moi aussi j’ai fait pareil, même si mes raisons étaient, pour moi, on ne peut plus légitimes. Bref…
- Bon, stop avec ce prof, passons à autre chose.
Je suis obligé de faire comme si elle ne m’avait rien dit. Que pouvais-je dire ? Je déteste être impuissant. Si ça ne tenait qu’à moi…
EXTRAIT 2
Victor, adulte, se trouve à la cantine et a une altercation avec un professeur.
Les habitués sont là, mais à mon grand regret, je suis obligé de m’assoir à côté de Claude. Je vais devoir me farcir ses complaintes à n’en plus finir. Et aujourd’hui n’est pas une exception. Il discute avec Christiane.
- Tu sais, je souffre de plus en plus, c’est insupportable, chaque jour.
- Tu te sentiras mieux après l’opération, dit-elle pour le consoler.
- Qu’est-ce que tu as ? dis-je.
- Toujours le même problème avec ma hanche. Je souffre le martyre.
- Tu as raison de te faire opérer. Pendant les vacances ?
- Certainement pas ! me répond-il, outré. J’ai droit à mes vacances, il est hors de question que je passe mes vacances à l’hôpital !
- J’ai cru que tu souffrais le martyre ?
- Oui mais je me fais opérer à la rentrée, j’ai vu avec le chirurgien.
Et il se demande encore pourquoi je n’adhère pas à sa mutuelle de merde. Je vais me le faire ! Maintenant ! J’ai trop faim !
- Moi, quand je souffre, je vais chez le médecin et s’il le faut je me fais opérer le plus vite possible, peu importe quel jour ça tombe.
- Toi, de toute façon, t’es pas comme les autres ! Des types comme toi, jeunes en plus, ça me débecte !
- Ah bon ? Pourquoi donc ? Et sur un autre ton, le prof de maths ! Je ne t’agresse pas, que je sache !
- Tu refuses d’adhérer à la Mutuelle enseignante, tu n’as pas compris que c’est un système qui repose sur la solidarité et en plus tu n’es pas syndiqué, voilà pourquoi tu me débectes !
- Oui, désolé mais je ne suis pas solidaire des pseudo-dépressifs ! Pendant que ta mutuelle paie l’intégralité du salaire de ces gens-là, il y a des mères de famille qui doivent débourser je ne sais combien pour une paire de lunettes ou un appareil dentaire. C’est ça, la solidarité ? Et pour info, je suis syndiqué !
- Ouais, c’est ça, dit-il, sans réellement écouter.
- Je suis jeune, et je compte en profiter, ça c’est quelque chose que tu n’as jamais fait. Je me demande même si tu as été jeune un jour. Tout va bien pour moi !
- Tu verras, ça ne sera pas toujours comme ça.
- Si j’ai un problème, même juridique, j’ai la loi pour m’aider. Par ailleurs, je ne rejoins pas la mentalité de ton syndicat. Surtout pas ! Dieu m’en préserve !
- Tu ne rejoins personne, tu dois être bien seul !
- En quoi est-ce que cela te regarde ? Il n’y a que huit pour cent de syndiqués en France, dont la moitié est en maladie, tu vois bien que je ne suis pas seul. Et j’ai une vie après le collège !
- Voyons Victor, intervient Christiane, ne fais pas de généralités. Tous les syndiqués ne sont pas comme ça. Tu en es la preuve vivante.
- Je le sais par expérience, c’est tout.
Emballement de Claude.
- Evidemment, tu as de l’expérience, toi !
- Ne sois pas jaloux, ça viendra. En tous cas, je n’ai pas envie de devenir comme toi, dans trente ans ! Tu respires le mal-être et tu conchies ceux qui ont le malheur de ne pas approuver tes idées. Ta Mutuelle est super bien représentée avec toi.
Claude change de sujet et s’adresse à nouveau à Christiane, gênée par notre échange.
- Tu as beaucoup d’élèves, ce soir, à la réunion parents-professeur ?
- Une classe seulement, répond-elle.
- Moi j’en ai deux, mais je les ai prévenus : à dix-neuf heures, je dégage !
- Et si des parents veulent te voir après, tu leur dis quoi ?
Ça, c’est moi !
- Je m’en fous, je passe ma vie au collège !
- Pourtant tu as des parents qui bossent jusque dix-neuf heures le soir et qui aimeraient te voir (je suis d’accord, ils doivent être sado-maso), tu trouves que c’est normal de partir comme ça ?
- Qu’est-ce que t’y connais, toi !
- Je me mets juste à la place des parents, c’est tout. Je trouve que c’est un gros manque de respect.
- Les parents n’ont qu’à venir avant !
- Et ceux qui travaillent, ils font comment ? Ta mutuelle rend sourd ou quoi ?
- Ils peuvent prendre rendez-vous sur le carnet de correspondance, intervient à nouveau Christiane, pour calmer le jeu.
- Tu crois qu’il accepterait ? Tu vois bien qu’il passe sa vie au collège !
- Tu verras quand tu auras mon expérience, ajoute-il.
- La mienne me suffit amplement. Mais au fait, tu te fais opérer à la rentrée ? Tu seras donc en arrêt plusieurs semaines, non ?
- C’est bien, tu es très intelligent ! Enfin une lueur d’espoir, je n’y croyais plus !
- Eh bien écoute, ça c’est la bonne nouvelle de la journée ! Merci !