Le rapport du la commission indépendante contre les abus sexuels dans l'Eglise livre des analyses régionalisées sur les pratiques qui ont mené à l'agression de centaines de milliers d'enfants.
"Pour mon enterrement, je ne veux pas aller à l’église, trop de mauvais souvenirs d’un sale curé, il m’a violé toute mon enfance. (…) Ma vie est foutue depuis longtemps. Ne cherchez pas de photo de moi, je n’en ai pas, je me suis toujours caché, je me sens sale. Je n’ai confiance en personne pour quoi que ce soit. Il est 6 h 30 du matin, le dimanche 20 juin 2004. J’ai rendez-vous avec la mort."
Ces mots qui étreignent la gorge sont inscrit dans le rapport de la Commission indépendante contre les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase), présenté ce mardi 5 octobre. Dans ce document de plusieurs centaines de pages, la commission et son président, Jean-Marc Sauvé, éreintent une institution qui "a très longtemps entendu d’abord se protéger en tant qu’institution et a manifesté une indifférence complète et même cruelle à l’égard des personnes ayant subi des agressions". Le nombre de victimes de ces abus sexuels est estimé à 330 000 personnes depuis les années 1950, si l'on inclut les abus commis par des laïcs en mission d'Eglise. 13 victimes par jour, sans compter l'année 2021.
La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église catholique a rendu un rapport alarmant mardi : 330 000 victimes d'abus sexuels et autour de 3 000 pédocriminels. Dans les années 2000, des victimes témoignaient des violences subies et de l’omerta de l’Institution. pic.twitter.com/MpveH5IYob
— Ina.fr (@Inafr_officiel) October 6, 2021
Le rapport Sauvé ne fait pas l'économie d'analyses régionalisées, estimant qu'on "ne peut négliger le rôle du contexte local dans l'accusation et la condamnation des prêtres". Il sépare les terres imprégnées par la foi chrétiennes et les "terres indifférentes", où les abus et surtout la reconnaissance des abus n'ont pas suivi le même chemin. Dans les terres moins imprégnées, le nombre d'enfants agressés par un même prêtre est plus élevé, tout comme le nombre de condamnations. "Du côté des diocèses de chrétienté, on peut se demander si la moindre proportion d’affaires et de condamnations ne procède pas d’un moins grand nombre de situations de violences sexuelles, procédant d’un plus grand contrôle social des clercs (par la population et l’institution), d’une plus grande capacité ecclésiastique à influencer le cours de la justice, voire d’une plus grande tolérance des jurys de cours d’assises envers les clercs."
Le Nord de la France, un "arc de catholicité bien identifié"
Le "Nord de la France" - dénomination qui semble avoir été choisie pour désigner la région Hauts-de-France à travers les époques - est ainsi clairement identifié comme faisant partie de cet "arc de catholocité bien identifié", qui englobe également la Bretagne, ou encore la région de Lyon. Le rapport de la CIASE distingue trois périodes dans le recensement du nombre d’agresseurs à partir des informations données par les diocèses : 1950-1970, 1970-1990 et 1990-2020. Plus que de chiffres précis, il s'agit d'un ordre de grandeur, qui de plus ne prend en compte que les membres du clérgé séculier. Les agresseurs sont répartis par diocèse, ce qui équivaut à une distribution par département.
- Entre 1950 et 1970, le nombre d’auteurs d’abus sexuels est largement au-dessus de 20 dans le Pas-de-Calais. Il s’en approche dans le Nord et l’Aisne. Dans l’Oise et la Somme, une dizaine d’agresseurs au sein de l’Église ont été recensés par les diocèses de Beauvais et d’Amiens.
- Entre 1970 et 1990, les diocèses de Lille et de Beauvais sont les plus touchés par les abus sexuels : un peu plus de 20 dans le Nord et un peu moins de 20 dans l’Oise. Dans le Pas-de-Calais et la Somme, les auteurs d’agressions sexuelles recensés sont au nombre d’une quinzaine. Le diocèse de Soissons pour le département de l’Aisne a déclaré avoir identifié une petite dizaine d’agresseurs sur cette période.
- Entre 1990 et 2020, le Pas-de-Calais est le département dans lequel le plus important nombre d’auteurs d’abus sexuels est identifié puisque le diocèse d’Arras a indiqué à la CIASE avoir recensé plus de 20 agresseurs. Un chiffre un peu en-dessous dans le Nord. Dans la Somme, il est plus proche de 15 et de 10 dans l’Oise. L’Aisne ne déclare que 5 auteurs d’abus sexuels sur ces 20 dernières années.
Si l'on observe les cartes réalisées par la commission, il s'avère que le Nord, contrairement aux idées reçues, n'est pas la terre la plus touchée par la pédophilie d'Eglise (l'âge moyen des victimes lors de leur agression étant situé entre 10 et 11 ans).
Analyse de cas : le parcours d'un prêtre et agresseur lillois
Pour illustrer les failles systématiques de l'institution religieuse, le rapport de la Ciase prend le temps de développer quelques cas emblématiques. Le parcours d'un prêtre lillois, ordonné en 1950, montre comment l'Eglise a permis à ses membres d'agresser de nouvelles victimes, en se refusant à tout démêlé judiciaire.
"Le parcours de ce prêtre est typique du traitement des violences sexuelles qui demeure celui de l’Église catholique, sur la période allant de 1963 à 1990. Il résulte des archives ecclésiastiques étudiées qu’après avoir exercé seulement six mois dans un collège, il est incardiné dans un diocèse de Normandie où il enseigne dans un collège rural, qu’il quittera en 1956 pour un motif inconnu, devenant vicaire en région parisienne. Dès 1960, le vicaire général l’affecte au vicariat aux Armées où il devient aumônier d’une école d’officiers, dans une autre région. Alors qu’il s’est montré "très sensible et un peu sentimental, mais fort intelligent, excellent confrère, zélé, attaché à son sacerdoce, et unanimement apprécié des élèves, des cadres et du personnel civil ou militaire de l’école", il pratique des attouchements, en 1966, qui font l’objet d’une plainte. "Les médecins de l’école (estimant) qu’il y a là un cas purement pathologique, ils l’ont donc aussitôt hospitalisé, soigné et l’ont proposé pour la réforme ; il semble que l’action en justice soit du coup évitée et qu’il n’y ait aucune suite à redouter", lit-on dans son dossier."
« Je ne peux pas entendre le président des évêques de France refuser (ce matin) de dire qu'il va falloir payer. Si, il va falloir payer pour tous ces crimes »
— David Perrotin (@davidperrotin) October 5, 2021
Émission spéciale de @_alairlibre sur les violences sexuelles dans l'Église https://t.co/oPhBgWk8x4
Réformé pour des motifs d'inaptitude physique, le prêtre est un temps isolé dans une abbaye, mais reprendra vite sa carrière ecclésiastique devenant séminariste, puis vicaire, puis curé dans une zone rurale de la région. "C’est au cours de cette dernière période, au milieu des années 1980, qu’il devient ami d’une famille dont il emmène les garçons en vacances. L’un d’eux sera victime d’attouchements de sa part, une dizaine de fois."