Coulée de boue mortelle dans l’Aisne : comment limiter les dégâts de ces phénomènes climatiques ?

Une femme de 57 ans a été emportée le 2 mai par une coulée de boue dans l'Aisne, à Courmelles. Une quarantaine d'autres personnes ont été touchées par cette montée des eaux. Cette catastrophe aurait-elle pu être mieux anticipée ?

"Danger risque d'effondrement". Le message a été affiché à l'endroit du drame et le périmètre a été délimité par une grande bâche rouge. Ce jeudi 2 mai, une femme de 57 ans est morte après avoir été emportée par une coulée de boue à Courmelles (Aisne), dans le sud de Soissons.

Aux alentours de minuit, 50 mm de pluie se sont abattus en une heure sur un champ du plateau, provoquant un effet de ruissellement et formant une coulée de boue qui a dévalé la pente menant au village. Elle a frappé de plein fouet la maison de la victime. Son époux, qui se trouvait aussi dans l'habitation, a été blessé et transporté à l'hôpital. Une quarantaine d'autres habitants ont été sinistrés

Le lendemain du drame, l'heure est au nettoyage, mais les villageois sont encore sonnés. Cet événement exceptionnel et très localisé suscite aujourd'hui de nombreuses questions et réflexions.

Déjà des coulées de boue par le passé

Se pose la question pour certains de savoir si cela aurait pu être évité. Romain Svrcek, agriculteur sinistré, parle d'inaction de la municipalité. "Il y a trois ou quatre ans, la commune a eu ce genre de sinistre avec moins d'intensité. Cela avait été classé en catastrophe naturelle et aucun aménagement n'avait été réalisé. Si on cherche des solutions, on en trouve toujours, estime-t-il. Aujourd'hui, rien n'a été fait [...]. Dans plusieurs rues, on était une dizaine de domiciles à avoir réclamé des aménagements qui n'ont pas été entendus."

Pour le maire de Courmelles, Arnaud Svrcek, un drame d'une telle ampleur était difficile à prévoir. Il y a quatre ans, une coulée de boue beaucoup moins importante avait eu lieu, mais elle n'avait pas du tout emprunté le même chemin. "Notre problématique est la suivante : avec la configuration de la commune, on est confrontés à des coulées de boue qui restent aléatoires", explique l'édile.

"Aujourd'hui, on me dit qu'on avait signalé pour les coulées de boue, et que les aménagements n'ont pas été faits, alors qu'on a essayé d'y travaillé, assure-t-il. (...) Aujourd'hui, je suis le fusible idéal, mais je cherche une solution, pas un coupable."

Une problématique pour tout le territoire

Mais concrètement, comment limiter ces événements ? La problématique n'est pas propre à Courmelles mais s'étend sur tout le Soissonnais. Dans certaines communes voisines, plusieurs pistes ont été explorées, et les aménagements ont fait leur preuve.

L'eau, on ne peut pas l'arrêter, par contre, on peut lui permettre de s'infiltrer, et surtout ralentir le temps de transfert entre l'amont et l'aval.

Léonard Cluytens, ingénieur milieux aquatiques

À Mercin-et-Vaux, par exemple, un plan d'aménagement a été mis en place après une coulée de boue très importante, en 2006. "On a des plateaux agricoles d'un côté, et de l'autre des canyons très marqués, boisés. En cas de ruissellement sur la partie agricole, l'eau va prendre de la vitesse dans le canyon, explique Léonard Cluytens, ingénieur milieux aquatiques au Syndicat du bassin versant de l'Aisne navigable (SBVAN). L'eau, on ne peut pas l'arrêter, par contre, on peut lui permettre de s'infiltrer, et surtout ralentir le temps de transfert entre l'amont et l'aval. Plus on ralentira l'eau, moins les dégâts seront importants en bas." Il a donc fallu intervenir en amont, sur les champs, pour empêcher  l'eau de dévaler les pentes trop rapidement. 

"La solution qu'on a retenue ici, indique-t-il au bord d'un champ, c'était la mise en place de fascines, qui sont sont des pieux de saule et des fagots tressés. Ça parait peu, mais c'est extrêmement efficace pour ralentir l'eau, et surtout filtrer et retenir cette boue qui va s'arracher des champs et ruisseler vers le bas du village. Celles-ci ont quelques années de fonctionnement et elles sont encore extrêmement efficaces. On a eu une coulée de boue juste là, et il n'y a rien eu en bas sur le village."

Toutefois, l'ingénieur nuance. "Ce sont des aménagements efficaces, mais qui nécessitent de l'entretien, et qui ne peuvent pas être mis partout sur le territoire." Surtout, il souligne que de simples fascines ne peuvent suffire, qu'il faut aussi adapter l'activité agricole et aménager en aval. "Ce n'est pas une solution miracle, ce sont plein de techniques qui, mises bout à bout, minimisent le risque. On ne peut pas l'annihiler, mais l'objectif, c'est qu'il y ait beaucoup moins de dégâts."

Les phénomènes sont tellement violents qu'il est difficile de les prévoir, et de les circonscrire.

Nicolas Gérault, président du Syndicat du bassin versant de l'Aisne navigable

Le SBVAN travaille donc avec les collectivités et les agriculteurs pour les sensibiliser et trouver des solutions adaptées à chaque secteur. Un travail qui prend du temps, et relève en même temps de l'urgence. "Le changement climatique n'a pas aidé les choses. On subissait ce genre de problèmes, mais avec une intensité nettement inférieure, explique Nicolas Gérault, président du syndicat. Aujourd'hui, les orages sont de plus en plus importants, de plus en plus rapprochés. Les phénomènes sont tellement violents qu'il est difficile de les prévoir, et de les circonscrire." 

Avant d'entamer les travaux, il faut donc étudier, analyser les différentes spécificités des territoires, trouver les solutions les plus adaptées. "Les dispositifs, il faut les penser globalement. Il faut que l'agriculteur adapte ses pratiques, qu'il nous laisse intervenir, que les propriétaires autorisent les aménagements. Et côté collectivités, il faut faire les choses intelligemment, par exemple éviter de construire les maison là où il y a des problèmes et essayer d'anticiper ces phénomènes quand on travaille sur les plans locaux d'urbanisme", souligne le président.

Des aménagements coûteux

Reste ensuite à trouver des financements pour ces aménagements. Un défi en soi, car cela nécessite souvent des investisements conséquents. À Mercin-et-vaux, le plan a coûté 350 000 euros, dont 50 000 pris en charge par la commune. "Le problème, c'est toujours le financement", regrette Nicolas Gérault.

Une problématique que confirme le maire de Courmelles. Il pointe un budget serré pour pouvoir subvenir aux différents besoins de la commune. "Cela représente des investissements énormes. Je ne suis pas seul à décider, nous sommes une équipe municipale et le budget a été mis sur la sécurité. On m'a signalé qu'il y avait des vitesses excessives sur la commune qui peuvent conduire à des accidents", déclare Arnaud Svrcek. Il assure toutefois que des aménagements seront réalisés rapidement pour éviter de nouveaux phénomènes de ruissellement dans le passage formé par le torrent la nuit du 1er au 2 mai, et entamer "un travail de réflexion", en s'appuyant sur des experts. 

Tout le monde s'accorde toute fois sur une chose : rien ne peut assurer d'éliminer tous les risques. "Quoi qu'il en soit, on n'est pas maîtres de la nature, rappelle Nicolas Gérault. Quand il y a un phénomène climatique très important, on ne pourra pas éviter 100% des cas."

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