Taux de chômage élevé, population en baisse et industrie vieillissante... L'Aisne accumule les handicaps. Des handicaps qui représentent un terrain favorable d'implantation du Rassemblement national, l'un des principaux enjeux des élections départementales des 20 et 27 juin.
Des 5 départements des Hauts-de-France, l'Aisne est celui qui présente la plus grande superficie (7 361 km²) mais aussi la plus faible population : avec 526 050 habitants recensés en 2018, l'Aisne affiche la plus petite densité de population de la région avec 73,5 habitants/km². C'est deux fois moins par rapport à la moyenne régionale (187,4 habitants/km²). Par rapport au recensement de 2013, le département a perdu 1,25% de sa population. Département en grande partie rural, l'Aisne n'a qu'une ville de plus de 50 000 habitants, Saint-Quentin. Six autres ont entre 25 000 et 10 000 habitants. Le reste des 800 communes du département ont moins de 9 000 habitants.
Malgré cette ruralité, la part des agriculteurs dans la population active est faible : moins de 2%. Dans l'Aisne, il y a surtout des ouvriers, près de 28 % en 2020. En 2017, l'Insee annonce que près de 15% des emplois du département sont dans l'industrie : sous-traitants de l'industrie automobile, métallurgie, emballage... Des secteurs de biens intermédiaires en difficultés : bien souvent, les unités de production implantées dans le département sont de taille moyenne et ont été rachetées par des grands groupes qui procèdent ensuite à des licenciements et des fermetures d'usine.
Dans l’Aisne, près de 371 000 électeurs sont appelés à élire 21 binômes paritaires (un homme, une femme) dans les 21 cantons de l’Aisne, soit 42 conseillers départementaux au total.
Pour rappel, les conseils départementaux ont de nombreuses compétences, qui gèrent notre vie quotidienne, comme l'insertion, la solidarité sociale, les collèges, la rénovation des routes et des voiries, la famille, les moyens alloués aux pompiers, le sport et la culture notamment.
1 - Des indicateurs socio-économiques alarmants
En 2020, l'Aisne affichait un taux de chomâge de 11,3%, soit trois points au-dessus de la moyenne nationale. Un chômage très fort chez les 18-24 ans avec près de 30%. Selon les données 2018 de l'Insee, 18,4 % de la population du département vit sous le seuil de pauvreté.
C'est par ailleurs le département des Hauts-de-France qui bat des records en matière de taux d'illettrisme : il atteint 13 % chez les personnes de 18 à 65 ans ayant été scolarisées contre 11 % dans l’ensemble de la région et de 7 % en France, selon les chiffres 2020 de la préfecture. 17% des plus de 16 ans sont en difficulté de lecture contre 11,5 % en France, en 2019, selon la même source. Résultat en 2021, plus de 30% de la population axonaise n'a aucun diplôme d'après l'Insee. Un chiffre en baisse depuis 2009, date à laquelle il approchait les 40%.
Sur un budget de plus de 579,7 millions d'euros pour 2021, 389 millions, soit 72,2 % du budget, sont consacrés à l'action sociale. Dont 118 millions pour le RSA et 4,9 millions pour l’accompagnement des bénéficiaires du RSA et pour les actions d’insertion. Avec la crise sanitaire, le nombre d’allocataires du RSA dans le département a augmenté de 1500 bénéficiaires, soit 7, 35 % en un an. En 2021, 18 137 foyers dans l’Aisne touchent le RSA.
Avec une baisse constante de 22 millions par an depuis 2017 de la Dotation globale de fonctionnement versée par l'État et des dépenses notamment sociales en augmentation régulière , le Département de l'Aisne doit aller chercher de nouvelles recettes ailleurs que dans le porte-monnaie des ménages.
2 - Un RN fort
L'Aisne est le département où le vote Rassemblement national est le plus important en France. Le RN est particulièrement bien implanté, jouant sur la frustration d'un département enclavé et pauvre.
On se rappelle qu'au premier tour de la présidentielle de 2017, les Axonais avaient voté à près de 36% pour Marine le Pen, la plaçant en tête devant Emmanuel Macron. C'était 5 points de plus qu'au niveau national. Même schéma lors des Régionales de 2017 : le Front national avait obtenu plus de 43% des votes au premier tour (soit trois points de plus que dans tous les Hauts-de-France) et plus de 46% des suffrages au second tour (+4 points que dans le reste de la région).
Aux élections départementales de 2015, le parti de Marine le Pen avait obtenu 38,7% des suffrages au premier tour, devant ce qui, à l'époque, était encore l'UMP (25,16%) et le Parti socialiste (25,63%). Au second tour, le RN avait récolté 44,34% des votes.
Mené par Franck Briffaut, le premier maire RN de Picardie à la tête de Villers-Cotterêts, au conseil départemental, l'extrême droite affiche la même stratégie qu'en 2015 : labourer le terrain et jouer la carte de l'hyper-proximité en présentant un binôme dans les 21 cantons. L’abstention va-t-elle encore profiter au RN ? En 2015, elle était de 46,73% au premier tour et de 45,7% au second, l'un des deux plus importants des Hauts-de-France avec l'Oise.
Par ailleurs, le fait que ces élections départementales soient couplées avec des élections régionales dont l'issue pour Xavier Bertrand déterminera ou non sa candidature à la prochaine présidentielle leur donnent une dimension nationale également. Et nationaliser les élections locales, c'est l'une des forces du Rassemblement national.
3 - Le manque de médecins
En 2018, l'Aisne était le 5ème département de France où la densité médicale est la plus faible avec 91,6 praticiens, généralistes et spécialistes confondus, pour 100 000 habitants (125,1 pour les Hauts-de-France et 126,1 pour l'ensemble du territoire français). Entre 2017 et 2018, le nombre de médecins en activité dans le département a baissé de 5,56%. Et ceux qui pratiquent encore affichent un âge moyen au-dessus de la moyenne nationale, soit 52,5 ans.
Dès lors, les délais d'attente pour un rendez-vous s'allongent. Sans compter l'incapacité des praticiens en exercice de prendre en charge de nouveaux patients. Une situation d'autant plus alarmante que l’Aisne connaît une surexposition aux risques de santé en raison de la précarité sociale de sa population (7% des habitants de l’Aisne bénéficient de la CMU complémentaire contre 5,7% en France).
Le manque de médecins généralistes est particulièrement criant dans certains secteurs de l'Aisne : périphéries de Soissons, Villers-Cotterêts et Château-Thierry, pointe sud de l’Omois… Le Soissonnais compte ainsi 9% de population résidant à plus de 10 minutes du médecin le plus proche. Cette proportion atteint 13% dans le Grand Laonnois ou le Sud Aisne.
Face à cette désertification médicale, le conseil départemental de l'Aisne a mis en place différents programmes pour séduire les médecins et faciliter leur installation, notamment en milieu rural : participation au financement de maisons pluridisciplinaires de santé, mise en place d’un guichet unique pour accompagner l’installation de médecins, accueil d’étudiants stagiaires en provenance de Reims, développement des outils de téléconsultations...
4 - Une démarche éco-responsable dans les cantines des collèges
Les 57 collèges publics, dont le conseil départemental de l'Aisne a la charge, accueillent près de 24 000 élèves. Le budget de fonctionnement des collèges était de 47,8 millions sur l'année 2020/2021. Un soin tout particulier est apporté à la restauration scolaire : les circuits courts pour l'approvisionnement des 49 cantines (dont 43 cuisines autonomes et 6 centrales) auprès de producteurs locaux sont privilégiés.
Des actions pour lutter contre le gaspillage alimentaire ont également été mises en place auprès des collégiens. Une charte d'engagement pour une restauration éco-responsable a ainsi été signée par 23 cantines de collèges : d'ici 2025, les établissements signataires ne devront plus gaspiller que 70 grammes de nourriture par repas, contre 145,5 grammes actuellement dans les collèges du département et 115 grammes dans l'ensemble des collèges français.
Éduquer les jeunes au tri sélectif fait aussi partie de la démarche de développement durable engagée par la majorité actuelle : des bacs de compostage sont installés dans nombre de collèges axonais tout comme des tables de tri.
Un repas dans un collège de l'Aisne coûte actuellement en moyenne 7,74 euros dont 4,34 euros pris en charge par le conseil départemental.
5 - Les forces en présence pour le scrutin des 20 & 27 juin 2021
Après le découpage de la réforme de 2014, l'Aisne affiche 21 et non plus 42 cantons. Après 17 ans aux mains de Parti socialiste et d'Yves Daudigny, le conseil départemental bascule à droite en 2015 qui remporte, avec 48,9% des suffrages, 18 des 42 sièges, soit 9 des 21 cantons. Cette majorité n'est qu'une majorité relative puisque que la gauche gagne 8 cantons, soit 16 sièges (le Front national en gagne 4, soit 8 sièges).
Au fil de la mandature, la majorité a glissé vers le centre droit, menée par Nicolas Fricoteaux qui souhaite poursuivre son "ni droite ni gauche" et rassembler le plus large possible pour garder la tête du Département et freiner la progression du parti de Marine le Pen.
Au soir du premier tour en mars 2015, le RN s'était qualifié dans tous les cantons pour le second tour et était en tête dans 16 d'entre eux. Le Rassemblement national espère que reproduire sa stratégie de 2015 portera davantage ses fruits que lors du précédent scrutin départemental. D'autant que face aux binômes qu'il présente une nouvelle fois dans chaque canton, le RN affronte essentiellement des binômes d'union de la gauche et très peu issus de la majorité présidentielle ou de droite. Les dissidences, notamment à gauche, peuvent également faire pencher la balance à l'avantage du Rassemblement national.
Pour ce scrutin des 20 et 27 juin prochains, 144 candidats se sont déclarés. 26 siègent déjà au conseil départemental.