L'histoire du dimanche - La comédienne Louise Lara, étoile montante du théâtre renvoyée de la Comédie-Française

En septembre 1896, une jeune femme originaire de Château-Thierry fait ses débuts sur la scène de la Comédie-Française à tout juste 20 ans. Promise à une brillante carrière, elle ne connaîtra jamais la gloire. Écartée en 1919 du Théâtre-Français, Louise Lara ne remontera jamais sur les planches, mais importe en France le théâtre futuriste.

"Mon père était un homme de fer. Bel homme, musclé, autoritaire. Une force. Ma mère, au contraire, du plus fin cristal. De la dentelle de verre. Une pellicule de lumière. Une flamme aussi." Tels sont les mots du cinéaste Claude Autant-Lara à propos de son père, architecte, et de sa mère, Louise Lara, comédienne aujourd'hui tombée dans l'oubli. 

Une comédienne précoce

Louise Victorine Charlotte de Larapidie de L’Isle, dite Louise Lara, est née en juillet 1876 à Château-Thierry dans l’Aisne. Nettement moins connue que son ancêtre castelthéodoricien Jean de La Fontaine, Mademoiselle Lara a pourtant, elle aussi, marqué la culture française.

D'origine hollandaise, fille d’une chorégraphe parisienne, elle développe très tôt des aptitudes pour le jeu. "Elle avait beaucoup de talent. C'était une étoile montante, promise à un grand avenir dans le théâtre", explique Angéline Delacourt, professeure de théâtre à Château-Thierry et metteure en scène. 

Elle n'a pas six ans que le virus de la comédie la touche. Aidée de tous les enfants de Château-Thierry, dans la grange de son grand-père, elle organise des représentations dramatiques. La petite Louise distribuait les rôles, prenait les plus importants et ne quittait pas la scène.

"Cette mignonne petite personne de dix ans veut entrer au théâtre", écrit la Revue Illustrée. C’est chose faite. À 13 ans, elle débute dans une compagnie d’enfants Galerie Vivienne, à deux pas du Palais Royal, puis entre au Conservatoire. Des cours qui ne lui suffisent pas : elle rejoint le théâtre de la Renaissance, chez Sarah Bernhardt, qui "la prit en grande amitié". 

Volontaire, travailleuse, opiniâtre même, disent les chroniqueurs, elle remporte le premier prix de Comédie au Conservatoire et décroche un poste au théâtre de l’Odéon. Suffisant pour la jeune Axonaise ? Certainement pas. Le dramaturge Alexandre Dumas fils, s’écrit en la voyant sur scène : "Qu’elle est gentille ! Elle est très bien cette petite femme-là" et lui prédit un grand avenir, "vers vingt-ans, vous serez quelqu’un."

334e sociétaire

Prédiction confirmée, le jour de ses 20 ans, Louise Lara entre au Théâtre-Français en 1896. "La Comédie-Française contacte Louise, raconte Angéline Delacourt, une de leurs sociétaires est tombée brusquement malade deux jours avant la représentation d’une nouvelle pièce, c’est la panique et Mademoiselle Lara va leur sauver la mise".

En deux jours et deux nuits sans fermer l’œil, la jeune femme apprend le rôle. Cinq actes qu’elle va brillamment interpréter, sans même avoir pu répéter.

Chance ? Talent ? Les deux ? À partir de cet instant, sa carrière décolle. L’illustre Maison ouvre ses portes à la comédienne et fait de Louise Lara la 334e sociétaire de la Comédie-Française. La chronique ne tarit pas d’éloge sur ses débuts au Français : "déjà très aimée, déjà sollicitée par les écrivains pour d'importantes interprétations. On sent qu’elle part tout droit à la conquête, toute triomphante du titre que sa sincérité et son goût de la beauté lui consacrerons : une grande artiste."

Cependant elle reste discrète, "elle ne se mettait pas spécialement en avant", tempère Angéline Delacourt. Peut-être se réservait-elle pour la scène. Elle joue les grands premiers rôles du Répertoire : la Reine de Ruy Blas, Camille d'On ne badine pas avec l’amour, Armande des Femmes savantes, Silvia du Jeu de l’amour et du hasard, Ophélie dans Hamlet et Desdémone dans Othello.

Une femme "bouillonnante d'idées"

Aussi discrète soit-elle, Louise Lara ne laisse pas indifférent. Son fils, Claude Autant-Lara, a écrit à son propos : "elle apportait à tous ses rôles un enthousiasme, une véhémence qui ne fut pas au goût de tout le monde (...) Et le 'caractère' de Louise Lara lui valut assez vite l’antagonisme des clans inodores, conservateurs blêmes, toujours puissants." C'est peu dire qu’une institution fondée en 1680 voyait d’un mauvais œil l’arrivée d’une femme "bouillonnante d’idées" qui voulait faire "pétiller les initiatives."

Elle participe rapidement au Comité de lecture chargé d’approuver les pièces qui figureront au Répertoire de la Comédie-Française. "Elle va mettre en valeur de nouveaux auteurs, défendre des pièces plus neuves, plus modernes. On dirait qu’elle cherche à dépoussiérer l’Institution", interprète Angéline Delacourt.

Elle s’affirme, prend la parole et ne cache pas son attrait pour des œuvres modernes. Elle fait entrer au répertoire des auteurs comme Georges Courteline ou le dramaturge et poète Paul Claudel.

Elle fait aussi d’importantes créations comme le rôle de Germaine Lechat dans Les Affaires sont les affaires d’Octave Mirbeau. Un rôle de femme émancipée, contre le mariage tel qu’il est pratiqué à l’époque et libre, qui ne sera pas au goût de tout le monde.

Une interprétation qui "a profondément choqué les critiques mâles de l’époque et la majorité des spectateurs phallocrates de 1903" d'après la philosophe Geneviève Fraisse. Une récidive de la comédienne qui, deux ans plus tôt, s’était attirée les foudres des critiques pour son interprétation d’un rôle masculin alors qu’elle était enceinte. Scandale. La pièce ne sera pas jouée, du jamais-vu à la Comédie-Française.

Mise à la porte de la Comédie

Que s’est-il passé pour que la prometteuse comédienne quitte la Comédie-Française en 1919 ? Personne ne le sait réellement. Une certitude cependant, la Première Guerre mondiale éclate et Madame Lara est une pacifiste convaincue. Elle est aussi adhérente depuis quelques années à la Confédération générale du travail (CGT).

Engagée politiquement, elle l’est aussi artistiquement. Avec son mari, architecte rencontré après l’incendie de sa loge, elle anime, à partir de 1912, un groupe de recherche expérimentale qui prend le nom de Théâtre et Liberté : représentations, conférences, expositions et publications visant à renouveler l’art théâtral.

Dans son autobiographie, Claude Autant-Lara, nous éclaire un peu sur le départ de sa mère. "Ils [la Comédie-Française] sont malins : ce qu’ils veulent… C’est que tu t’en ailles… De toi-même." La comédienne aurait donc été poussée vers la sortie par la direction de l’établissement. Une "mise à l'écart" savamment orchestrée : représentations de plus en plus espacées, plus de nouvelles pièces et terminé aussi ses participations au Comité de lecture.

Alexandre Autant lui aurait alors lancé : "Tu ne peux continuer dans cette équivoque : ta situation deviendrait vite intenable. Continuer à côtoyer presque journellement des gens dont on ne t’a pas caché ce qu’ils pensaient de toi ? Jouer avec eux ? (...) Cela ne me paraît pas possible de continuer comme cela."

Une "bolchevique en art"

À sa mort, le journal Le Monde écrit qu’elle "s'était retirée de la scène" après la Première Guerre mondiale. La Comédie-Française va dans le même sens, en indiquant qu’elle n’était "pas toujours comprise de ses camarades (...) qu’elle quitte en 1919 pour se consacrer à la recherche." Dans son entourage, on parle pourtant bien de "renvoi" car Madame Lara était considérée comme "bolchevique en art."

Renvoyée ? Poussée dehors ? Le mystère reste entier. Quant aux conséquences : "Ma mère pleurait encore. Vingt-trois ans… Cette maison qu'elle adorait". Pour sa soirée d'Adieux (sorte de pot de départ où le sociétaire choisit un dernier texte à faire jouer par ses collègues) elle sélectionne un texte de Paul Claudel. Le dramaturge, qu'elle a pourtant fait connaître, lui tourne le dos, refusant que "son œuvre soit associée à un échec, un renvoi."

La revanche d'une comédienne : Art et Action

"Mieux vaut faire un faux pas en avant et se relever avec courage que de bien faire et rester stationnaire". Se relever, c'est bien l’intention de Louise Lara après son éviction de la Comédie-Française. À partir de 1919, elle transforme le groupe Théâtre et Liberté en laboratoire pour "l’affirmation et la défense d'œuvres modernes". C’est la naissance d’Art et Action.

Avec son mari, ils ont une ambition : renouveler l’art théâtral. Hôtel particulier, bijoux de famille, ils vendent tout pour ouvrir une salle de théâtre au 66 rue Lepic à Paris. Les représentations y étaient privées, sur invitations et surtout gratuites. "Et, en premier principe absolu : l’argent n'entrait pas, à aucun moment, sur aucun plan, à Art et Action. Le mouvement, ainsi, serait parfaitement, idéalement pur", écrit Claude Autant-Lara.

Pour Art et Action, le théâtre est premier et l’acteur n’y est pas central. Les pièces étaient montées avec une moitié de professionnels et d’amateurs sélectionnés par Louise Lara.

"Le Laboratoire Art et Action a monté les textes des auteurs les plus divers (...) sur le minuscule plateau de leur théâtre, les gens les plus opposés se sont succédés (...) : mais presque aucun de ces spectacles n’a vu l’acteur seul, libre de son jeu entre les parois du décor et les rangs du public. Poupées, mannequins, ombres ou marionnettes lui ont disputé l’espace de la scène et l'attention des spectateurs", raconte Michel Corvin, dans l'ouvrage Le théâtre de recherche entre les deux-guerre : le laboratoire Art et Action, 1970.

Louise Lara et Alexandre Autant introduisent ainsi en France le théâtre futuriste. En 1923, elle fait une apparition dans le court métrage Faits Divers, réalisé par son fils, Claude Autant-Lara.

Louise Lara, étoile filante

L'activité du laboratoire d’avant-garde cesse en 1939. Volontairement non-médiatisé, le théâtre peine à attirer les comédiens de renom et manque de financements pour durer. Jusqu’à la fin de sa vie, en mai 1952, on ne connaît plus d'activité à Louise Lara. Le registre des décès de la ville de Paris indique qu’elle était "sans profession". Comment est-elle morte ? Là aussi le mystère reste entier. Un employé du passage Saint-Michel à Paris, à deux kilomètres de son domicile, consigne son décès.

Et c’est ainsi que Louise Lara, étoile montante de la Comédie-Française, promise à une grande carrière, finit ses jours dans l'anonymat et l’indifférence la plus totale.

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