L'histoire du dimanche - L'enfance de Camille et Paul Claudel dans l'Aisne, les prémices de deux des plus grands artistes du XXe siècle

Nés dans l'Aisne, c'est dans la maison familiale nichée dans le Tardenois que Camille et Paul Claudel ont développé leur sens artistique dès l'enfance. Une terre picarde propice à leur imagination qui fera d'eux une sculptrice et un écrivain de renom.

"Quel bonheur si je pouvais me retrouver à Villeneuve ! Ce joli Villeneuve qui n’a rien de pareil sur la terre", écrit Camille Claudel à son frère Paul en 1917 depuis l’asile de Mondevergues alors qu'elle est internée depuis 5 ans.

Durant ses trente années d'internement, la sculptrice n'aura de cesse de repenser à son petit village du Tardenois. Celui où elle s'est passionnée pour la première fois pour le modelage. Celui où avec son frère, Paul, elle laissait son imagination vagabonder au milieu des chaos de grès. Celui où elle était libre. 

Un environnement propice à leur créativité

Camille est l'aînée de la famille, née le 8 décembre 1864 à Fère-en-Tardenois. Vient ensuite Louise née en 1866, puis Paul né le 6 août 1868 dans l’ancien presbytère de Villeneuve-sur-Fère. Le cadet de la fratrie n'est pas né au même endroit que ses sœurs et pour cause. La famille habitait à Fère-en-Tardenois, mais passait les étés à Villeneuve-sur-Fère, où l'oncle de la mère était curé. Après plusieurs déménagements, les Claudel continueront de se rendre à Villeneuve-sur-Fère pour les vacances.

C'est donc dans ce petit village de l'Aisne que les enfants ont pu développer leur sens artistique. Dès l'enfance, Camille se passionne pour le modelage. Elle aurait même aménagé un grenier en guise d'atelier, son frère et les domestiques de la famille lui servant de modèles. Paul, quant à lui, est un enfant rêveur, curieux de tout ce qui l'entoure et admiratif des paysages du Tardenois. "Il est très tôt influencé par ce qu'il a sous les yeux, c'est-à-dire le paysage qui s'étend à perte de vue. On est à un peu plus de 200 mètres d'altitude et c'est vrai que la vue est intéressante et lui a très tôt donné envie de voyager", raconte Claire Debout, responsable de la Maison de Camille et Paul Claudel à Villeneuve-sur-Fère.

À quelques kilomètres de là, un lieu atypique fera le bonheur des deux enfants : la Hottée du Diable. "Cela ressemble à un petit Fontainebleau parsemé de sable et de grès avec des formes plus ou moins fantastiques, détaille-t-elle. Cela a vraiment nourri leur imaginaire d'artistes en devenir. N'importe quel enfant, selon moi, ne peut être qu'heureux dans cet endroit."

Les formes des chaos rocheux auraient ainsi servi d'inspiration à Camille pour ses modelages et à Paul pour ses pièces de théâtre. 

L’art pour Camille, la diplomatie pour Paul

Dans la famille Claudel, c'est le père, Louis-Prosper, qui portera une attention particulière à l'avenir artistique de ses enfants. Il offrira à Camille la possibilité de progresser dans son art, grâce à l’intervention d'Alfred Boucher, qui face au talent indéniable de la jeune femme, lui conseillera de se rendre à Paris. La famille déménagera alors en 1881. Les femmes n'étant autorisées à passer les examens d’entrée à l’École des Beaux-Arts qu'à partir de 1897, Camille devra suivre des cours dans des ateliers parisiens privés. "Les autres femmes qui étaient avec elle dans les ateliers n'ont pas forcément mené des carrières de sculptrices, c'était très mal considéré et Camille en plus faisait du nu donc c'était encore plus mal vu", explique Claire Debout. Malgré tout, la jeune sculptrice intègre l’atelier Colarossi, puis en 1883 l'atelier d'Auguste Rodin.

Ce déménagement à Paris sera pour Paul l'occasion de suivre des études dans les lycées parisiens. Si le jeune garçon est sans conteste doué pour l'écriture, il ne suivra pas les traces de sa sœur. "Je pense qu'il se rend compte à quel point ce peut être difficile et contraignant. Il choisit très tôt de ne pas en vivre et s'oriente vers la diplomatie comme son père qui était fonctionnaire d'État", détaille la responsable de la Maison de Camille et Paul Claudel. En 1893, Paul Claudel est alors nommé vice-consul à New York, à Boston puis s'installe à Shanghai. Il continue d'écrire, fasciné par les pays qu'ils traversent. "Dans ses poèmes, ses écrits, ce qui ressort, c'est ce qu'il voit, ce qu'il découvre. Il était très admiratif de l'Orient", souligne Claire Debout. 

L’Aisne, loin des yeux, près du cœur

Si Paul songe un temps à rentrer dans les ordres, il préférera poursuivre ses fonctions de diplomate en Chine puis à Prague et Francfort. Durant la Première Guerre mondiale, il est nommé ministre plénipotentiaire à Rio de Janeiro. Par la suite, il sera ambassadeur à Tokyo puis retournera aux États-Unis et en Europe.

Cette carrière très riche ne l'empêchera pas d'assouvir sa passion pour l'écriture. Celui qui rêvait de voyager a pu profiter de ses obligations professionnelles pour découvrir le monde et retranscrire ce qu'il voit et ressent dans une trentaine de pièces de théâtre au total et dans ses poèmes. Pour autant, il n'oublie jamais son petit village de l'Aisne. "Mes promenades par la Tournelle et le ru de la S…, faisant des vers et lisant tout haut Salammbô. Le coucher de soleil derrière le Géyn, sur la vallée de l’Ourcq. C’est là que j’ai conçu Tête d’or et que j’ai eu conscience de ma vocation, la vocation de l’Univers", écrit-il dans son journal en 1924.

"En effet, dans sa correspondance ou dans ses mémoires improvisés, il revient sur ses jeunes années. Il disait : je suis à la fois un voyageur et un enraciné. Dans certaines de ses pièces de théâtre comme La jeune fille Violaine (L'Annonce faite à Marie), le décor c'est vraiment le Tardenois avec la Hottée du diable", indique Claire Debout.

Camille, qui n'a pas connu le même destin que son frère, y fera référence aussi, à "ce joli Villeneuve qui n'a rien de pareil sur terre."

Le destin tragique de Camille

À partir de 1883, la relation que Camille entretient avec son mentor, Auguste Rodin, est passionnelle. Les deux artistes se complètent, s'inspirent l'un de l'autre, si bien que Camille connaîtra une certaine visibilité grâce à lui. Elle réalise durant cette période de très nombreuses œuvres empreintes de liberté autant de par le sujet en lui-même (elle représentera la nudité) que par l'utilisation des matériaux (elle combinera notamment le bronze et le marbre). En 1888, elle obtient une mention honorable au Salon des artistes français et une médaille de bronze à l'exposition universelle de 1900. Entre temps, elle se sépare de Rodin et crée l'une de ses œuvres majeures : la Valse, inspirée par l’art de l’estampe japonais.

Après sa rupture avec Auguste Rodin, la sculptrice, alors âgée d'une quarantaine années, sombre dans la paranoïa et développe des délires de persécution. Elle détruira plusieurs de ses œuvres et esquisses. Après la mort de son père en 1913, qui fut si protecteur avec elle, elle sera placée dans un asile à la demande de sa mère. Durant ses années d'internement, elle recevra la visite de son frère Paul et continuera de correspondre avec lui. Le frère et la sœur ont toujours entretenu une relation particulière, empreinte d'admiration. "Il disait qu'elle avait un ascendant tyrannique sur lui, sourit Claire Debout. On peut imaginer que Camille avait un caractère un peu autoritaire et que quand elle avait décidé de faire quelque chose, elle allait jusqu'au bout. Mais je pense qu'il y avait une grande fascination entre les deux, sans doute de la part de Paul. Les liens devaient être assez forts puisqu'ils ont continué à correspondre jusqu'à la fin."

Elle lui écrivait justement en 1927 son souhait de revenir dans son village de l'Aisne : "mon rêve serait de regagner tout de suite Villeneuve et de ne plus bouger, j’aimerais mieux une grange à Villeneuve qu'une place de première pensionnaire ici". Mais Camille ne reviendra pas. Elle s’éteint le 19 octobre 1943 à l’âge de 78 ans après trente années d'internement. Paul, lui, décède le 23 février 1955 à l’âge de 86 ans.

Un musée dans l’ancien presbytère

Depuis 2018, la maison de Camille et Paul Claudel est ouverte au public grâce au travail de l'Association Camille et Paul Claudel en Tardenois créée en 1998. C'est donc dans la maison où est né Paul, cet ancien presbytère, que l'on peut découvrir l'enfance des deux artistes au travers de plusieurs sculptures originales de Camille, comme la petite Diane, qui daterait de 1881, l'une de ses premières œuvres, et des objets se rapportant au parcours de Paul en tant que diplomate et dramaturge.

"C'est surtout l'occasion de se mettre à la place des deux enfants, souligne Claire Debout. De découvrir l'ambiance du Tardenois, de parcourir le chemin qu'ils faisaient, essayer de ressentir les parfums, les formes..." Une façon aussi de rendre un hommage particulier à Camille Claudel. "Elle est ainsi revenue à Villeneuve-sur-Fère."

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