L'histoire du dimanche - Joseph Sadi-Lecointe, pilote aux multiples records du monde et héros oublié de la Résistance

Né à Saint-Germain-sur-Bresle dans la Somme, Joseph Sadi-Lecointe était un aviateur hors pair, détenteur de plusieurs records du monde. Pilote durant la Première Guerre mondiale, il s'est aussi illustré durant la seconde en s'engageant dans la Résistance.

C'est dans un petit village de la Somme, à la frontière de la Seine-Maritime, que se niche toute l'histoire d'un pilote d'exception : Joseph Sadi-Lecointe.

S'il est né à Saint-Germain-sur-Bresle le 11 juillet 1891, c'est dans la commune voisine, à Beaucamps-le-Jeune, que l'un de ses descendants a décidé de raconter son parcours. Et quoi de mieux que d'ériger un musée en son honneur, rue Sadi Lecointe justement.

Patrick Lecointe nous guide ainsi sur les traces de son grand-oncle dans la maison qu'il a achetée et qu'il a transformée en véritable caverne d'Ali Baba de l'aviation civile et militaire de 1900 et 1950. Des trésors appartenant à sa famille, glanés au fil des années ou acquis grâce à de généreux donateurs.

Sur les murs de la première pièce, Sadi Lecointe est partout. Des photos de lui majoritairement, mais aussi de ses parents. Séraphin et Noémie Lecointe ont eu trois enfants : Marcel, Juste et Sadi. "Sadi c'est son prénom en réalité. C'est lui qui a choisi d'inverser, de prendre son deuxième prénom Joseph en premier et de transformer son nom en Sadi-Lecointe. C'était plus classe, il n'était pas bête", sourit Patrick Lecointe. Pourtant ses parents n'avaient pas choisi le prénom de n'importe qui : Sadi comme Sadi Carnot, le président de la République de l'époque.

En 1906, le jeune Sadi quitte le domicile familial de Beaucamps-le-Jeune pour entrer au collège à Amiens. Déjà passionné pour l'aéroplane et la mécanique, il est embauché ensuite dès 1909 comme soudeur à Issy-les-Moulineaux. À l'époque l'entreprise Minet où il travaille, tente d'élaborer un aéroplane motorisé. Sadi Lecointe se propose de l'essayer. Si le projet est finalement avorté, cet essai sera décisif dans la carrière du jeune soudeur : il sera aviateur.

 "C'est le premier Français qui va prendre des balles dans son avion"

Le 11 février 1911, Sadi Lecointe obtient son brevet de pilote civil. "J'ai retrouvé ce livre, montre Patrick Lecointe. Il l'a envoyé à sa mère parce qu'il y a un mot dedans regardez." Sur la page de garde est en effet écrit : "À toi maman qui a toujours cru en moi. Ton fils chéri qui est à présent aviateur. Merci. 11 février 1911. Paris. Sadi Lecointe."

Le Samarien réalise enfin son rêve, fait l'acquisition d'un Blériot XI (du nom de son créateur, le pilote Louis Blériot) et participe à des meetings aériens. En 1912, il entre dans l'armée et obtient l'année suivante son brevet de pilote militaire. "Il a commencé comme tout le monde, par balayer la cour", raconte Patrick Lecointe, également auteur de l'ouvrage Sadi-Lecointe, pilote providentiel. "À l'époque, il n'y avait pas beaucoup d'appareils, Blériot n'en avait vendu que quelques-uns à l'armée."

Le 3 août 1914, la guerre éclate. Sadi Lecointe est missionné pour se rendre à Belfort pour scruter l'arrivée des Allemands. "C'est le premier Français qui va prendre des balles dans son avion", affirme le petit-neveu du pilote. Lors de cette mission d'observation en effet, Sadi Lecointe se fait tirer dessus alors qu'il vole à 200 mètres au-dessus des lignes avancées allemandes. "Son observateur est blessé à la jambe, il décide alors de le ramener et a repris quelqu'un d'autre pour continuer sa mission. D'ailleurs, cette action lui vaudra une première citation et son entrée dans le livre des records beaucoup plus tard", précise-t-il.

Après avoir effectué plusieurs missions d'observation, en 1915, il intègre l'escadrille MS 48 à Lunéville en Meurthe-et-Moselle. C'est ici qu'il découvre le potentiel des monoplaces de combat Nieuport, société pour laquelle il travaillera par la suite. Il devient également instructeur afin de former davantage de pilotes. "Il formera environ 1 500 jeunes, ils étaient formés en trois semaines, ça allait très vite. Ils avaient deux essais et si ce n'était pas concluant, ils repartaient dans leur arme de base", précise Patrick Lecointe. 

Records du monde d'altitude et de vitesse

À la fin de la guerre, Sadi Lecointe intègre en 1919 la Société de production des aéroplanes Deperdussin (SPAD) Herbermont en qualité de pilote d'essais. C'est cette même année qu'il réalise plusieurs records : d'altitude tout d'abord. Le 11 mars 1919, il est capable de monter à 8 155 mètres de hauteur avec son avion puis 8 535 mètres huit jours plus tard. En juillet, il monte à 8 900 mètres, un nouveau record du monde. "C'est impressionnant parce qu'à l'époque, c'était un cockpit ouvert, il n'y avait pas de masque à oxygène donc il fallait préparer son corps pour réaliser cette performance. Et c'est le dernier d'ailleurs qui est monté à cette altitude sans masque, il disait qu'on ne pouvait pas monter plus haut", indique Patrick Lecointe.

Record d'altitude, mais aussi record de vitesse. Le 30 juillet 1919, il atteint les 270 km/h sur un appareil mono et 253 km/h sur un appareil biplace, avec comme objectif d'atteindre les 300 km/h. Pour ce faire, il intègre l'écurie Nieuport. Après plusieurs essais et plusieurs nouveaux records en 1919 et 1920 il réussit à atteindre 302 km/h le 20 octobre de cette même année et 309 km/h le 4 novembre à Villacoubray. Il ira même jusqu'à atteindre les 313 km/h le 12 décembre sur un avion Nieuport-Delage 300 cv, faisant de lui un pilote mondialement connu. "Il n'avait peur de rien, sourit son petit-neveu. Il a quand même eu trois accidents, mais il s'en est toujours bien tiré, il avait la chance pour lui comme on dit.

Passionné de vitesse, le pilote s'essaye également au sport automobile. "Il était ami avec Bugatti [un constructeur automobile, ndlr], il aimait bien ça, comme tous les aviateurs à l'époque d'ailleurs", souligne Patrick Lecointe. 

Il défend les droits du personnel navigant

Dans l'entre-deux-guerres, Sadi Lecointe se marie en 1924 avec sa compagne depuis quatre ans, Fernande Couade. Mais ce mariage ne fonctionne pas. Ils divorcent en 1925, se remarient et se séparent à nouveau la même année. Sadi Lecointe s'engage alors dans la guerre du Rif opposant les armées coloniales espagnoles aux troupes françaises au Maroc. Il participera ainsi à une quarantaine de missions de survol et bombardements.

À son retour, il réalise le projet de création d'une association qui défend les droits des pilotes. "L'idée était par exemple de trouver du travail aux aviateurs de la Première Guerre qui ne voulait pas quitter l'aéronautique, qui ne savait faire que ça. À l'époque, les places étaient réduites", explique Patrick Lecointe. En 1927, l'APNA (Association des Professionnels Navigants de l'Aviation) est créée. Grâce aux efforts de cette association, une législation en faveur du personnel navigant a été mise en place, elle les protège notamment en matière d'assurance.

En 1936, Sadi Lecointe occupe des fonctions importantes au sein du gouvernement du Front populaire. Après avoir œuvré pour l'aménagement d'aéro-clubs dans toute la France, il est nommé inspecteur général de l'aéronautique civil et de l'aviation populaire. Il supervise notamment la mise en place de subventions réservées aux écoles de pilotage jusqu'en 1938. 

Trahi et détenu dans les locaux de la Gestapo

1939, la France est de nouveau en guerre. Le pilote est rappelé par l'armée jusqu'en 1940. En 1942, refusant la collaboration avec Vichy, ses biens sont confisqués, il sera déclassé en sa qualité d'officier lieutenant-colonel, perd ses légions d'honneur et une partie de sa pension. C'est à ce moment-là, que Sadi Lecointe quitte Paris pour Rochecorbon près de Tours et s'engage dans la Résistance aux côtés de son ami Jean Moulin. Avec d'autres pilotes, il fait partie du réseau Rafale Andromède. "Les constructeurs français avaient l'obligation de travailler pour les Allemands et Hitler avait déjà prévu d'envoyer un avion pour bombarder New-York. Les Anglais l'ont su par le biais du réseau dont faisait partie Sadi. Les avions ont ainsi été détruits. C'est l'un des actes les plus importants auquel ce réseau a participé", raconte Patrick Lecointe.

Les détails de sa fin de vie tragique, le petit-neveu du pilote ne les connaît que depuis le mois d'avril 2022. "Je savais qu'il avait été trahi par quelqu'un qui faisait partie du réseau. Et désormais je sais qui c'est grâce à un historien qui a fait des recherches et qui m'a écrit", annonce Patrick Lecointe ému.

Sadi Lecointe est arrêté le 21 juin 1944, vraisemblablement à Tours, puis transféré à Paris dans les locaux de la Gestapo du Square Rapp dirigé par l'Allemand Arthur Pfannstiel et composé de Français collaborateurs. Le 13 juillet 1944, en état de grande faiblesse, il est admis à l'hôpital Saint-Louis où il meurt deux jours plus tard. "Ce n'est pas anodin, relève Patrick Lecointe. Il n'est pas mort dans leur local, ils ont fait le nettoyage avant. Et le pire, c'est qu'il ne s'agit pas des SS, ceux-ci sont partis depuis longtemps. On laissait faire des gens qui étaient collaborateurs."

La presse, censurée, ne fera pas écho de sa mort. Sadi Lecointe sera inhumé temporairement au cimetière du Père-Lachaise avant d'être rapatrié dans son village de Beaucamps-le-Jeune, dans le caveau familial. Un hommage lui sera rendu en 1950 dans le petit cimetière picard.

Depuis plusieurs années désormais, son petit-neveu reconstruit les bouts de vies de celui qu'il qualifie comme son grand-père, avec la passion d'un historien et le goût de transmettre pour que perdure aussi longtemps que possible la mémoire de ce pilote aux qualités exceptionnelles, héros oublié de la Résistance.

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