Arrivé comme simple ouvrier au sein de l'entreprise Zodiac, Pierre Debroutelle, originaire de Saint-Quentin-la-Motte dans la Somme, s'est distingué au fil des années pour son talent en matière d'aéronautique. Expert des dirigeables, il est aussi l'inventeur du célèbre bateau pneumatique.
"Il est le prototype même du chevalier de l'air, il en a la science, la virtuosité, la prudence et la vaillance", disait de lui une journaliste de la Revue aéronautique de France en 1926.
Pierre Debroutelle voit le jour le 7 avril 1886 à Saint-Quentin-la-Motte dans la région du Vimeu située dans l'ouest de la Somme. A priori rien ne prédestine ce fils d'agriculteur à devenir pilote d'avion puis inventeur. Mais très vite, il se passionne pour la mécanique. "Avant d'être ballonnier, puis aviateur, j'ai pratiqué avec entrain la bicyclette, la motocyclette et l'automobile. C'était l'enchaînement courant et normal des choses", racontait-il dans la presse en 1942.
En 1909, alors âgé de 23 ans, il est embauché comme tourneur mécanicien dans la Société française de ballons dirigeables et d’aviation Zodiac située à Puteaux dans la banlieue proche de Paris. Avant d'être connue pour son bateau pneumatique, l'entreprise construisait des ballons sphériques, des dirigeables et des avions. "Au départ, c'était une toute petite entreprise, qui construisait des ballons et des petits dirigeables baptisés Zodiac destinés à des sportsmen de la haute bourgeoisie pour du loisir, précise Paul Villatoux, historien, spécialiste en histoire militaire et contemporaine. Elle était spécialisée dans ce qu'on appelle le moins lourd que l'air. Puis elle a voulu se diversifier et a par la suite créé des avions."
"C'était un homme à tout faire, un bricoleur, un fou de mécanique"
À son arrivée dans l'entreprise, Pierre Debroutelle s'occupe ainsi de la mise au point et des essais en vol de ces avions biplans, de manière instinctive et sans avoir eu de formation. Il passe ensuite son brevet de pilote en 1912 et devient formateur à l'aérodrome Zodiac de Saint-Cyr-l'École dans les Yvelines. Il y formera le capitaine Louis Robert de Beauchamp et le général Pierre Auguste Roques, deux pointures de l'aviation durant la Première Guerre mondiale.
Cette même année, il se lance également dans la compétition et participe au Grand Prix aéronautique sur le circuit d'Anjou, toujours à bord d'un biplan Zodiac. Il devra abandonner à cause d'une panne de moteur, laissant la victoire à un certain Roland Garros, mais Pierre Debroutelle ne baisse pas les bras et continue de promouvoir les qualités du fameux biplan. Celui-ci ne tardera pas à être remarquée par l'armée. En 1913, il procéda à des lancements de bombes planantes au camp de Mailly dans l'Aube.
Autodidacte, touche-à-tout, Pierre Debroutelle va rapidement devenir un expert des dirigeables. "Au cours des années qui succédèrent à 1912 jusqu'à nos jours, j'en ai réceptionné plus à moi seul que tous les pilotes français réunis", affirmait-il en 1942. Il les réceptionne d'ailleurs sans avoir de brevet spécifique. Ce n'est qu'en 1919 qu'il se met en règle, et forme au passage l'actrice Gaby Morlay, seule Française pilote de ballon dirigeable.
Au total, il essaya des avions biplans, plus de 70 dirigeables, un héliostat, des motoballons... En tout plus de 1 000 ascensions et plus de 1 000 heures de vol sur des dirigeables. Il est ainsi l'un des rares pilotes français à posséder les trois brevets d'aéronefs : avion, sphérique et dirigeable. "C'était vraiment un homme à tout faire, un bricoleur, un fou de mécanique et en même temps un homme de confiance pour l'entreprise", confie Paul Villatoux. Un tempérament qui le pousse à se réinventer, un atout pour sa carrière et l'avenir de Zodiac.
Il crée le bateau Zodiac sur le modèle du dirigeable
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il est victime d'un accident cardiaque et ne peut plus voler. Il va donc se reconvertir, cette fois en inventeur. Cela tombe bien Zodiac a besoin de se renouveler. "L'entreprise a eu du mal à se relever après la Première Guerre mondiale, sa clientèle n'existait plus et elle ne concluait plus de marchés d'État, explique Paul Villatoux. C'est le moment aussi où l'aviation connaît des développements en matière de sécurité : ils deviennent plus sûrs, on se déplace sur de plus grandes distances, il faut donc prévoir des embarcations si par malheur l'avion a un accident au-dessus de l'eau."
Pierre Debroutelle se consacre alors à ce qui fera la renommée de la marque. En 1934, il travaille sur un prototype calqué sur le modèle du ballon dirigeable. "Dans un dirigeable, il y a une enveloppe principale et à l'intérieur des enveloppes secondaires, cela permet de monter et descendre en gonflant les parties, cela permet aussi de prévenir les fuites. C'est un système plus complexe que le ballon. Il va reprendre ce système pour le bateau avec deux fuseaux de chaque côté et une toile au milieu", détaille l'historien.
En 1937, la Marine nationale a besoin d'un canot capable de transporter des torpilles. Pierre Debroutelle perfectionne alors son bateau. Il fait les premiers essais sur la Seine en 1940. L'expérimentation est concluante et Zodiac produira ainsi des embarcations pour l'État. Durant la Seconde Guerre mondiale, l'entreprise est occupée par les Allemands, mais Pierre Debroutelle maintient une ligne de production clandestine et continue ses études sur son embarcation.
Le bateau pneumatique fera la traversée de l'Atlantique
Au lendemain de la guerre, durant plusieurs années, l'entreprise connaît une nouvelle période de crise et c'est grâce à l'engouement pour les sports nautiques, notamment en période de vacances, que le Zodiac rencontre un succès dans la seconde moitié des années 50. "Ils ont eu l'idée d'adapter le Zodiac au marché du loisir et ils se sont trouvés en adéquation avec une demande", affirme Paul Villatoux.
En 1952, Pierre Debroutelle fait la rencontre d'Alain Bombard, interne à l'hôpital de Boulogne-sur-Mer. Marqué en 1951 par le naufrage d'un chalutier où 43 marins sont morts, il décide de faire des recherches sur la survie de l'homme en haute mer et s'intéresse aux embarcations pneumatiques.
Pierre Debroutelle construira alors pour lui l'Hérétique sur lequel Bombard fera la traversée de l'Atlantique. "Le but, c'était de montrer qu'il était possible de survivre plus de trois jours sans eau et plus de huit jours sans vivre. Selon lui, les passagers du Titanic n'était pas morts de faim ou de soif, mais de peur, relate Paul Villatoux. Cette idée plaît à Pierre Debroutelle et ils décident de nommer le bateau l'Hérétique en référence aux connaissances hérétiques que l'on se faisait de la survie en mer." Cette expérience, détaillée dans une conférence donnée par les deux hommes en 1953, participera à la renommée du bateau pneumatique.
"Il n’a jamais cherché à se mettre en avant"
Jusqu'à sa mort, le 27 novembre 1959 à Neuilly, Pierre Debroutelle n'a eu de cesse d'apporter des améliorations à sa petite embarcation. Pour son travail et son talent porté au service de l'innovation et de l'industrie, il recevra la Légion d'honneur en 1948. Il était également l'un des premiers membres des "Vieilles Tiges", association créée en 1922 regroupant des pionniers de l'aéronautique.
Il était l'époux de Claire Boillot, sœur des célèbres pilotes automobiles André et Georges, avec qui il n'a pas eu d'enfants."C’était quelqu’un qui était très modeste, il n’a jamais cherché à se mettre en avant", nous confie Olivier Debroutelle, dont Pierre Debroutelle était l'arrière-grand-oncle.
En 1961, un hommage public lui a été rendu au Tréport où un canot de sauvetage de la société Zodiac a été baptisé en son nom. Depuis, il est vrai que peu de personnes se souviennent de lui. "J'ai fait énormément de recherches, durant plus de 20 ans. Je me suis aperçu que personne ne le connaissait. Quand on parle de l'inventeur du Zodiac certains pensent à Alain Bombard", déplore Olivier Debroutelle. À Saint-Quentin-la-Motte-Croix-au-Bailly, il existe bien une rue, une impasse et un lotissement Pierre Debroutelle, sans donner plus de détails sur le personnage.
En 2017, la Société d’Archéologie et d’Histoire de Saint-Valery-sur-Somme et du Ponthieu s'intéresse à l'inventeur et lui consacre une exposition. Grâce aux documents glanés par Olivier Debroutelle durant des années, elle parvient à regrouper les éléments de la vie de cet homme "à la destinée incroyable". "Quelle merveilleuse leçon de vie nous donne cet homme qui, malgré l'adversité, nous a prouvé que le meilleur est toujours à venir", écrivent les membres de l'association.
"C'est un personnage attachant, avec une simplicité qu'il a toujours conservé, ajoute Paul Villatoux. Il est représentatif de sa génération, ces ouvriers qui ont une promotion sociale dans l'entreprise, c'était quelque chose d'instinctif pour eux, l'amateurisme dans le bon sens du terme."
Plein de modestie, Pierre Debroutelle, en 1942 envoyait un message d'espoir à tous ceux qui croient en leur rêve : "J'ai eu une vie calme, pleine d'attraits, partagée entre l'amour de l'aéronautique et celui de mon foyer. Tour à tour en plein ciel puis au coin de mon feu j'ai appris à connaître les hommes. Et j'en ai conclu que sans faire de bruit mais avec persévérance, on peut faire souvent du bon travail et suivre sa vocation. Ce sont là deux résultats, que je souhaite aux jeunes qui me lisent, d'avoir la chance d'atteindre."