L'histoire du dimanche. Bessie Coleman, 1re pilote afro-américaine brevetée au monde, élève des frères Caudron au Crotoy

Bessie Coleman est une héroïne des temps modernes. Elle est la première pilote afro-américaine de l'histoire de l'aviation mondiale. C'est au Crotoy dans la Somme, à l'école de pilotage Caudron qu'elle a appris à voler et a obtenu son brevet de pilotage.

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"Nous n'avons pas beaucoup de documents d'époque, vous savez. Le peu qu'on a nous vient de la Fondation Bessie Coleman : une délégation est venue des États-Unis jusqu'ici en 2005 pour honorer sa mémoire. Et nous remettre quelques documents." Au musée de frères Caudron à Rue dans la Somme, Karine Bellart a tout préparé avant notre visite. Sur la table de la petite salle à l'étage dans laquelle la chargée du patrimoine de la ville nous reçoit, une pochette en carton jaune identifiée "Bessie Coleman".

Pionnière parmi les pionnières

Quelques documents officiels, des photocopies de photos, des livres... La vie de l'une des pionnières de l'aviation américaine y est concentrée.

Car Bessie Coleman est une pionnière à plus d'un titre : elle est la première femme afro-américaine au monde à obtenir un brevet international de pilote et la première femme afro-américaine au monde à piloter un avion. Quel rapport avec la Somme ? L'école d'aviation des frères Caudron, créée en 1910 au Crotoy par René et Gaston Caudron, eux mêmes pionniers de la construction aéronautique.

C'est là, en 1920, que Bessie Coleman a appris à piloter. Et c'est l'un des frères Caudron qui a signé la licence internationale de pilote de la jeune femme.

Fascinée par les exploits des aviateurs de la Grande guerre

Bessie Coleman naît le 26 janvier 1892 à Atlanta au Texas. Sa mère est afro-américaine. Son père est aux trois quarts indien Choctaw. Tous deux travaillent dans les champs de coton à Waxahachie au Texas. Bessie est la douzième enfant d'une fratrie de treize. Comme ses frères et sœurs, elle ira elle aussi cueillir le coton dès l'âge de 8 ans.

En 1915, Bessie Coleman quitte le Texas pour Chicago où elle devient manucure. En pleine Première Guerre mondiale, elle suit dans la presse les combats en Europe auxquels prennent part deux de ses frères. Elle découvre également les exploits des aviateurs, notamment ceux du premier pilote afro-américain, Eugene Bullard. C'est ainsi que naît son ambition : devenir aviatrice. En 1919, elle a mis assez de son salaire de côté pour s'inscrire dans une école de pilotage. Mais à l'époque, aucune aux États-Unis n'accepte d'élève noir.

Un visa pour l'Angleterre, un pour la France

Bessie Coleman trouve alors en Robert Abbott un allié et une aide de poids. Le fondateur du Chicago Defender, le plus important journal afro-américain de l'époque, lui conseille de partir pour l'Europe où elle pourra s'inscrire dans une école de pilotage. La jeune femme fait donc une demande de visa touristique pour la Grande-Bretagne et pour la France. Elle ment sur son année de naissance pour l'établissement de son passeport et se rajeunit de 4 ans. Bessie Coleman obtient un visa d'un mois pour la Grande-Bretagne, d'un an pour la France. C'est donc en France qu'elle décide de partir avec le soutien financier de Jesse Binga, lui aussi afro-américain président fondateur de la Binga State Bank, et de Robert Abott qui voit dans cette aventure l'occasion d'asseoir l'influence de son hebdomadaire. Avant de partir, Bessie Coleman prend des cours de français.

La jeune femme arrive en France fin 1920. Elle tente de s'inscrire dans une école de pilotage en région parisienne. Mais celle-ci ne veut plus d'élèves féminines après le décès de deux apprenties aviatrices pendant leur instruction quelques mois plus tôt. Ce sera donc à l'école des frères Caudron au Crotoy que Bessie Coleman s'inscrit. C'est dans cette école qu'a appris à piloter la baronne Raymonde de Laroche, l'une des modèles de la jeune américaine. La réputation de l'établissement n'est plus à faire : des milliers d'aviateurs civils comme militaires y ont été formés avant la Première Guerre mondiale. 

Une vie de découvertes en baie de Somme

René et Gaston Caudron ont un atelier de fabrication d'avions à Rue. Ils installent leur école de pilotage à neuf kilomètres sur la plage du Crotoy où atterrissent et d'où décollent les apprentis pilotes quand la mer est basse.

Bessie est la seule femme sur les douze élèves de sa promotion. La seule femme et la seule noire.

Elle a trouvé à se loger à côté de Rue. Chaque jour, elle parcourt à pied les kilomètres entre sa chambre et l'école à travers le Marquenterre. Dans sa biographie Les ailes noires publiée en 2011, Jacques Béal écrira que c'est lors de ces trajets que la jeune femme découvre la chasse à la sauvagine. 

Si Chicago lui manque, le dépaysement que lui procure la baie de Somme plaît beaucoup à Bessie. Bien qu'elle n'ait que peu d'économies pour financer son projet, elle n'hésite pas à aller boire un verre avec ses camarades de formation après les cours. Elle avouera que c'est en France qu'elle aura bu pour la première fois du vin. Seul petit regret : elle espérait rencontrer d'autres afro-américains lors de son séjour. Elle racontera plus tard dans une interview que la seule étrangère qu'elle aura croisée au Crotoy était une Chinoise. Mais aussi que, si sa présence suscitait une certaine curiosité de la part des habitants du Crotoy, aucun n'a jamais été hostile à son égard. Elle évoquera aussi l'étrange façon de parler des gens du coin qu'elle ne comprend pas, elle qui parle plus ou moins bien le français, mais qui l'amuse. "Quand la délégation de la Fondation Coleman est venue à Rue, la petite nièce de Bessie Coleman est venue aussi, raconte Karine Bellart. Et elle nous a dit qu'elle avait trouvé ici tout ce qu'elle s'était imaginé à partir de ce que Bessie lui avait raconté."

Une élève douée et appliquée

Monter et démonter un moteur. Lire des cartes. Voler de nuit. Le modèle d’avion sur lequel Bessie Coleman a appris à piloter est généralement identifié comme une version civile du Nieuport 82.E2, fréquemment utilisé en France au début des années 20. "Mais les historiens ne sont pas tous d’accord là-dessus, précise Karine Bellart. D’après le spécialiste de l’histoire du musée, en 1920, les élèves commençait la formation "au sol" avec le Caudron G.3 rouleur (un avion aux ailes rognées pour éviter un décollage, ndlr). Les premiers vols étaient ensuite effectués sur un appareil Caudron G.3 complet. L’apprentissage se poursuivait sur des avions plus puissants comme le Sopwith. C'est certainement cet appareil que Bessie a piloté."

Quel que soit le type d’appareil sur lequel elle apprend, Bessie Coleman apprend vite : elle obtient son diplôme en sept mois alors que la formation en dure dix. Encore un record pour la jeune femme.

Le 15 juin 1921, l’un des deux frères Caudron signe une licence internationale de pilote de la Fédération aéronautique internationale au nom de Bessie Coleman. À 29 ans, la jeune Américaine devient non seulement la première femme noire pilote mais également la première personne d'origine afro-américaine à obtenir cette certification. Deux ans avant que ne soit brevetée la célèbre Amélia Earhart.

Pour améliorer ses compétences, elle part deux mois près de Paris parfaire son apprentissage avec un as de l’aviation française. Elle ira même en Allemagne apprendre à faire de la voltige. Le 16 septembre 1921, Bessie Coleman embarque pour New York où elle est accueillie triomphalement.

Une fin tragique

Celle qu’on appelle désormais Queen Bess veut ouvrir des écoles de pilotages accessibles à tous car "le ciel est le seul endroit où les préjugés n'existent pas", explique-t-ell. Mais pour cela, il faut de l’argent. Bessie Coleman enchaîne les meetings aériens parce que ça paye bien. Le 30 avril 1926, elle effectue un vol de repérage à Jacksonville, en Floride lorsque son moteur s’emballe. Son avion se retourne. Bessie Coleman, qui n’est pas attachée, tombe dans le vide. Elle meurt sur le coup. Elle a 34 ans.

Il faudra attendre trois ans après sa mort pour que le rêve de l’aviatrice voit le jour : en 1928, la première école de pilotage pour Afro-Américains ouvre à Los Angeles.

Aux États-Unis, Bessie Coleman est une légende : sa vie est racontée par de multiples livres pour enfants. Un timbre à son effigie est imprimé en 1992. Des avenues, des aéroports, des écoles et des bibliothèques portent son nom aux États-Unis. La Bessie Coleman Drive est d’ailleurs l’avenue qui relie l’aéroport O’Hare de Chicago au centre-ville.

En France aussi, il existe des rue Bessie Coleman. Et s’il reste peu de traces de son passage en baie de Somme, la mémoire de Bessie Coleman y est toujours vivace, entretenue et surtout fièrement préservée. Dans une mince pochette en carton jaune. Mais une mince pochette en carton jaune qui contient un trésor : les quelques éléments de la vie de la première pilote et première diplômée afro-américaine de l'histoire de l'aviation mondiale qui a appris à voler au-dessus de la plage du Crotoy.

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