L'histoire du dimanche - L'opération Jericho à Amiens, une manœuvre des Alliés pour garantir le succès du Débarquement ?

Le 18 février 1944, un raid aérien des Alliés ravage la prison d'Amiens. Longtemps présentée comme un sauvetage de résistants prisonniers, cette opération s'est révélée être une manipulation destinée à troubler les Allemands en vue du débarquement.

Le 18 février 1944, les bombes pleuvent sur la prison d'Amiens, alors aux mains des Allemands. Le raid aérien, lancé par les Alliés et connu sous le nom d'opération Jéricho, coûte la vie à 105 personnes : une centaine de détenus, quelques soldats allemands, mais aussi à trois aviateurs anglais.

Selon la version officielle de l'époque, ce bombardement était destiné à détruire les murs d'enceinte de la prison et permettre l'évasion d'agents secrets alliés et de résistants français. "Suite à un coup de filet de la Gestapo, la Résistance avait signalé aux Alliés que beaucoup de résistants étaient détenus à la prison d'Amiens. Leur exécution était même prévue le 19 février !", raconte Alain Bodel, passionné de la Seconde Guerre mondiale et organisateur d'une exposition de photos sur le fameux raid à Poix-de-Picardie.

Un raid médiatisé

Ces photos ont été prises au moment des faits par un avion uniquement dédié à cette cause. Une caméra embarquée dans l'avion permettra à la Royal Air Force de documenter l'attaque, grâce à un film dithyrambique comme seule la propagande sait les faire à l'époque : 

Un officier y trouva la mort. Percy Charles Pickard, acteur très connu en Angleterre à l'époque, est présenté dans la version officielle comme un martyr "tué en dirigeant l'opération la plus réussie de sa brillante carrière" qui permit à "une grande partie des prisonniers de s'échapper". Initialement baptisée "Ramrod 564", l'attaque aérienne de la prison d'Amiens se pare d'un nom médiatique après la diffusion en 1946 d'un film éponyme : opération "Jericho".

L'attaque aérienne

Ce 18 février, l'avion de reportage, 18 bombardiers légers Mosquitos et leur escorte de 14 chasseurs Typhoons décollent d'Angleterre. La météo est atroce : il neige et la visibilité est médiocre. Sept Typhoons et six Mosquitos en couverture haute perdent de vue le convoi et retournent au point de départ. Les 19 avions restants traversent la Manche et arrivent en France au-dessus du Tréport (Seine-Maritime), puis gagnent Doullens puis Albert.

De là, ils prennent pour repère la route reliant la ville à Amiens : la prison se trouve au bord de cet axe, à l'emplacement même de l'actuelle maison d'arrêt de Rivery.

Le petit groupe attire l'attention des Allemands : des FW 190 décollent de la base aérienne de Cambrai et prennent en chasse les avions britanniques. Celui de Pickard et de son navigateur John Alan Broadley est abattu et s'écrase à Saint-Gratien, de même qu'un Typhoon d'escorte. Quelques minutes plus tard, les Mosquitos restants parviennent à la prison et leurs bombes viennent à bout de l'enceinte haute de six mètres. 40 bombes sont larguées. 23 atteignent leur but. Le bâtiment principal est gravement touché. 102 des 700 détenus sont tués par l'effondrement d'une énorme plaque de béton.

Sur le retour, un deuxième Mosquito est touché au-dessus de Fresneville par un canon anti-aérienne Flak. Son navigateur Richard W. Samson meurt sur le coup, mais son pilote, Ian McRitchie, parvient à se poser en catastrophe dans un champ à Villeroy. Blessé et capturé par l'ennemi, Ian McRitchie survivra à la guerre. Chasseurs et bombardiers restants retrouvent enfin le sol anglais, excepté un Typhoon aperçu pour la dernière fois au-dessus de la Manche sur le retour. L'avion n'a jamais été retrouvé.

Un vaste leurre ?

L'histoire de ce sauvetage de résistants français est un peu trop belle pour le Picard Jean-Paul Ducellier. "Cette opération est une manipulation imaginée par les Anglais, destinée à détourner l'attention des Allemands, estime cet auteur d'ouvrages sur les opérations aériennes de 1939 à 1944. Longtemps intrigué par cette histoire - son oncle et sa tante habitaient tout près de la prison et avaient dû se réfugier dans la cave durant le raid - il a rencontré des rescapés, épluché les archives militaires en France, au Royaume-Uni comme en Allemagne durant plusieurs années. "Juste après la guerre, des journalistes ont cherché ces condamnés à mort, sans jamais les retrouver," poursuit le spécialiste.

Aujourd'hui, j'ai réuni toutes les preuves pour prouver qu'aucune condamnation à mort n'était planifiée à la prison d'Amiens à ce moment précis. Si les Anglais étaient venus sauver des résistants, ils n'auraient pas tué une centaine de prisonniers sur les 700 que comptait la prison.

Jean-Pierre Ducellier

spécialiste de l'histoire militaire aérienne

Aujourd'hui, j'ai réuni toutes les preuves pour prouver qu'aucune condamnation à mort n'était planifiée à la prison d'Amiens à ce moment précis. Si les Anglais étaient venus sauver des résistants, ils n'auraient pas tué une centaine de prisonniers sur les 700 que comptait la prison.

Jean-Pierre Ducellier, spécialiste de l'histoire militaire aérienne

Opération de désinformation

Pour Jean-Pierre Ducellier, le raid s'inscrit dans le plan Fortitude, vaste opération de désinformation notamment destinée à faire croire aux renseignements allemands que le débarquement, secrètement prévu le 6 juin 1944, était repoussé après l'été. Un documentaire de la BBC datant de 2011 revient sur ces événements.

Les Alliés auraient alors volontairement exagéré l'importance du raid de la prison. "Alors qu'un futur débarquement en France n'était un secret pour personne en 1944, Winston Churchill sous-entend publiquement dès le 20 février, soit deux jours après Ramrod 564, qu'il a récemment eu une déconvenue et qu'il souhaite reporter un tel projet", assure Jean-Pierre Ducellier. Si l'opération Ramrod 564 est une manipulation, elle a pu participer à baisser la garde de l'Axe et renforcer l'effet de surprise du débarquement de juin.

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