L'histoire du dimanche - La rafle des notables envoyés au camp nazi de Royallieu à Compiègne racontée par Anne Sinclair

Le 12 décembre 1941, 743 juifs français considérés comme notables sont arrêtés puis transférés au camp de Royallieu à Compiègne dans l'Oise. Parmi les hommes détenus dans ce camp de transit avant la déportation, le grand-père de la journaliste Anne Sinclair, Léonce Schwartz.

L'essentiel du jour : notre sélection exclusive
Chaque jour, notre rédaction vous réserve le meilleur de l'info régionale. Une sélection rien que pour vous, pour rester en lien avec vos régions.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "L'essentiel du jour : notre sélection exclusive". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Ce sont des faits peu connus contrairement à la rafle du Vél' d'Hiv en 1942. Pourtant, trois rafles ont lieu durant l'année 1941 : celle de mai dite du "billet-vert", celle d'août et celle de décembre. C'est cette dernière, la rafle des notables, que la journaliste Anne Sinclair a décidé de raconter dans son livre La rafle des notables aux éditions Grasset. "Au-delà d’une histoire personnelle c’est un destin collectif. Il y a un certain nombre d’hommes dont je voulais raconter l’odyssée et la tragédie", nous confie-t-elle.

Comme 742 autres juifs français, son grand-père, Léonce Schwartz, est arrêté à son domicile rue de Tocqueville dans le 17e arrondissement de Paris le 12 décembre 1941 à l'aube. "Je les devine, les quatre hommes derrière la porte. Deux agents de police en pèlerine et képi et derrière eux, en tenue, deux soldats allemands de la Wehrmacht", raconte-t-elle. Léonce Schwartz n'a que quinze minutes pour rassembler quelques affaires et le voilà emmené vers la mairie du 17e puis l'École militaire. Là-bas, les hommes arrêtés sont parqués dans une salle de manège sans pouvoir s'hydrater ou s'isoler pour faire leurs besoins. Ils y resteront plusieurs heures, le temps de rassembler les 1 000 détenus exigés par la Gestapo. "La rafle n'ayant pas fourni le rendement attendu, ils ajoutèrent 300 juifs pour la plupart étrangers internés depuis mai ou août à Drancy", précise Anne Sinclair.

Viser des personnes influentes

Cette rafle a lieu après une série d'attentats anti-allemands. Le but étant de viser en majorité des notables, c'est-à-dire des personnes influentes. Parmi elles, Pierre Masse, sénateur, ancien membre du gouvernement Clemenceau, René Blum frère de Léon et directeur des Ballets de Monte-Carlo, Jacques Debré, ingénieur et frère du médecin Robert Debré, Robert Dreyfus conseiller à la Cour de cassation... "Il y en avait qui avaient des postes dans la société française comme Pierre Masse ou le frère de Léon Blum. Mais mon grand-père par exemple c’était un petit chef d’entreprise, on ne sait pas très bien pourquoi il a été raflé à ce moment-là", souligne Anne Sinclair.

Comme Léonce Schwartz, beaucoup de commerçants et de chefs d'entreprises sont arrêtés, mais aussi des artisans, avocats, ingénieurs, médecins... Tous identifiés grâce au recensement effectué en amont et qui a permis de constituer le fichier Tulard, le fameux "fichier juif". "Le fichier Tulard a été un élément d’informations très très précieux pour les nazis puisqu’ils n’ont eu qu’à piocher dans le fichier pour cette rafle ou pour les autres, explique la journaliste. Ici, ils ont visé vraiment des juifs français qui étaient là depuis plusieurs décennies, pour que personne ne se sente à l’abri, pour montrer que le fait d’être juif vous condamnait à l’arrestation d’abord et à la déportation ensuite."

Une situation incompréhensible pour la plupart des hommes arrêtés dont 55 sont détenteurs de la Légion d'honneur. "Ils étaient tellement assimilés à la société française, que souvent ils étaient très éloignés du judaïsme et ne comprenaient même pas ce qu’ils faisaient là. C’est l’addition des 300 juifs étrangers qui venaient de Drancy qui leur ont dit : on va vous expliquer ce que vous faites là. Eux même avaient du mal à le comprendre : « On a été anciens combattants, décorés de la guerre de 14… Pourquoi on nous en veut à ce point ? », rapporte Anne Sinclair. Ils n’ont pas réalisé qu’il y avait un Etat, qui, de manière industrielle et systématique, allait tuer des êtres humains. C’est tellement aberrant et tellement effroyable que je comprends qu'ils n'aient pas saisi."

Dans la soirée, les prisonniers sont envoyés par train à Compiègne. "Ils se sont dit, on est à une heure de Paris donc il ne peut pas nous arriver grand chose. Ils craignaient qu’on les envoie à l’est, ils savaient qu’il y avait des camps de travail, pas d’extermination", précise la journaliste. Or, après 5 kilomètres de marche depuis la gare, les détenus découvrent le camp de Royallieu. "Au fur et à mesure, ils ont pris conscience qu’on essayait de les détruire par tous les moyens", poursuit-elle.

"Une mise à mort par la famine, le froid et la maladie"

Construite en 1913, la caserne militaire de Royallieu s'étendait sur 20 hectares. Elle a été transformée en camp d'internement de 1941 à 1944. Dès 1940 déjà, la caserne est réquisitionnée par les Allemands pour emprisonner les militaires français et britanniques. En juin 1941, après le départ des prisonniers militaires vers l’Allemagne, le camp change de matricule et devient le Frontstalag 122. 

Le camp est divisé en trois ensembles de bâtiments : le camp A rassemble les opposants politiques, résistants, communistes, syndicalistes français... Le camp B, lui, regroupe les Russes, Américains et Anglais et le camp C les juifs puis plus tard les femmes résistantes. Les conditions ne sont pas les mêmes en fonction des camps. Les pires sont celles du camp C. Alors que dans les autres bâtiments, les prisonniers pouvaient recevoir des lettres et des colis, ce n'était pas le cas du camp C. "Les conditions de détention sont d'autant plus dramatiques que pendant les deux premiers mois le "camp des Juifs" est gardé secret, décrit Anne Sinclair. C'est grâce à la générosité des détenus politiques et des internés russes que quelques colis et quelques lettres parviennent au camp C par leur intermédiaire."

L'administration du camp est gérée par les prisonniers eux-mêmes. "Il y avait quand même une supervision par les Allemands, mais les chambrées étaient régies par les détenus", précise Anne Sinclair. Les premiers mois, pour dormir il faut compter sur un petit tas de paille étalé sur le sol. 

Pour le chauffage, un poêle est installé au milieu de la chambre sans parvenir à compenser le froid glacial qui s'engouffre par les fenêtres brisées. "C'était un hiver extrêmement dur, jusqu'à -20 degrés, les détenus étaient pieds nus dans la neige, ils avaient des engelures, des plaies...", détaille la journaliste. En guise de nourriture une simple soupe et un morceau de pain. "C'était une mise à mort par la famine, le froid et la maladie, affirme-t-elle. Ce n’était pas un camp d’extermination, mais on les faisait mourir par d’autres moyens."

Pour tenter de survivre, ces hommes, pour la majorité des intellectuels, organisaient des conférences tous les soirs jusqu'à fin janvier. "Au départ c’était une volonté de se dire : au moins durant une heure, on va penser à autre chose et distraire nos camarades. C’étaient des conférences, sans papier, sans crayon. Ils n’avaient rien. C’était une façon de ne pas devenir fou", raconte Anne Sinclair.

Le premier convoi vers Auschwitz

Le 27 mars 1942, les détenus du camp de Royallieu font partie du premier convoi de déportation des juifs de France vers Auschwitz. Au total, Léonce Schwartz et ses co-détenus arrêtés lors de la rafle des notables sont restés trois mois à Compiègne en transit. "Ils sont restés trois mois pour une raison simple : c’est que les trains étaient pris par les permissionnaires qui revenaient du front de l’est. Il n’y avait donc pas de trains disponibles pour les convois", explique Anne Sinclair. Entre temps également, la "Solution finale", c'est-à-dire le projet d'extermination des juifs d'Europe, est actée lors de la conférence de Wannsee le 20 janvier 1942.

550 détenus de la rafle des notables sont ainsi déportés à Auschwitz, les autres sont libérés car malades ou déclarés inaptes. "Au départ, ils n’ont pas transféré les plus âgés et les malades parce que ça faisait mauvais effet. Ils étaient un peu soucieux de l’effet que cela faisait. On essayait donc de les retaper avant de les déporter", indique Anne Sinclair.

Avant fin février, son grand-père, malade, est transféré au Val de Grâce. "Quand j'ai décidé d'écrire ce livre, je n'avais rien comme document, simplement un dessin qu'un camarade a fait de lui sur son lit d'hôpital. J'ai appris par la suite qu'il s'appelait Marcel Lehrmann et qu'il avait été déporté", confie la journaliste. Grâce à la détermination de sa femme Marguerite, Léonce Schwartz, retrouvera sa liberté, mais le calvaire enduré durant trois mois à Compiègne laissera des séquelles. Il meurt le 16 mai 1945, huit jours après l'armistice. 

48 277 noms gravés

Jusqu'en 1944, 28 convois partiront de Royallieu vers les camps d'extermination de Buchenwald, Auschwitz, Neuengamme, Mauthausen, Dachau, Sachsenhausen ou encore Ravensbrück. Au total, 48 277 personnes dont 46 387 hommes et 1 890 femmes y ont été internés et 47 455 déportés. Mis à part les libérations de détenus malades, certains ont réussi à s'échapper, notamment en construisant des tunnels.

Le camp est libéré par les Américains le 1er septembre 1944. Après la guerre, il devient un camp d’internement pour prisonniers de guerre allemands puis retrouvera sa fonction première de caserne militaire. Aujourd'hui, une partie de l’ancien camp de Royallieu a été conservée, c'est-à-dire 3 bâtiments sur 24 pour devenir le Mémorial de l’internement et de la déportation.

À ce jour, 48 277 noms de détenus figurent sur les stèles en verre du mémorial. Au fur et à mesure des années, d'autres noms s'ajoutent. C'est le cas de Léonce Schwartz dont le nom est désormais inscrit.

Après la parution de son livre, regroupant, à défaut du témoignage de son grand-père, ceux d'autres détenus, Anne Sinclair a continué d'en apprendre davantage. "J'ai eu beaucoup de lettres, un énorme dossier, sourit-elle. Beaucoup de familles m’ont dit qu’ils avaient un parent qui avait vécu la même chose, notamment la nièce et la petite-nièce de l'auteur du dessin de mon grand-père. C'est comme ça que j'ai pu découvrir qui il était. Je trouve que c’est très poignant, à partir d’un livre qui est une matière inerte et qui raconte il y a 80 ans la mort d’un certain nombre de gens, que tout d’un coup la vie se réinstalle et finisse par ressortir."

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information