L'histoire du dimanche - Berthe aux grands pieds née Bertrade de Laon, mère de Charlemagne, 1ère reine des Carolingiens

Avant d'être un soubriquet un peu moqueur, Berthe aux grands pieds est la première reine des Carolingiens par son mariage avec Pépin le Bref, premier roi des Francs. Et celle qui est aussi la mère de Charlemagne est née Bertrade de Laon d'une famille de la noblesse de l'Aisne.

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"C'est un personnage surtout mythique. On a très peu d'éléments concrets sur elle. On sait très peu de choses : on sait qu'elle a existé, qu'elle est née dans le Laonnois et qu'elle a épousé Pépin le Bref". Bertrade de Laon est pourtant une figure importante de l'histoire de France : c'est en effet la première reine des Carolingiens et la mère de Charlemagne. Mais le mystère entoure la vie de celle qui deviendra au 13e siècle Berthe aux grands pieds dans un poème du ménestrel Adenet le Roi.

Une date et un lieu de naissance qui font débat

"Son existence est avérée par la présence de son nom sur certains actes administratifs comme les actes de donation aux abbayes par exemple, explique Michel Sarter, le directeur des archives départementales de l'Aisne et spécialiste de la période des Carolingiens. Certaines chroniques de l'époque, comme les Annales de Saint Bertin parlent un peu d'elle mais rien de plus. Il n'y avait pas d'acte de naissance ni de mariage à l'époque".

À l'époque, il n'y a pas de château mais un palais. C'était une grosse ferme. Il y avait l'habitation du seigneur, la logia regia, et à côté, une ferme. Quand ce n'était pas une ferme, c'était un couvent ou une abbaye.

Georges Samson, historien local

Berthe aux grands pieds est née Bertrade de Laon "autour de 720. On ne sait pas précisément ni où ni quand. Ce qui est sûr, c'est qu'elle est née dans le Laonnois. Certains disent à Samoussy".

Georges Samson, historien local, est lui catégorique : "Bertrade est bien née à Samoussy. Le village faisait partie du comté de Laon. À l'époque, il n'y a pas de château mais un palais. C'était une grosse ferme. Il y avait l'habitation du seigneur, la logia regia, et à côté, une ferme. Quand ce n'était pas une ferme, c'était un couvent ou une abbaye. Et quand il n'y avait plus à manger dans un palais, le seigneur allait de palais en palais."

Une jeune fille de très bonne famille

Car le père de Bertrade, Caribert, est le comte de Laon. C'était le seigneur de la ville et du comté du Laonnois. Il est dit que la mère de Bertrade, Gisèle, est la fille du roi mérovingien Thierry III, fils de Clovis. La jeune femme est donc issue de la noblesse influente et riche.

C'est à Quierzy, à quelques kilomètres de Laon, que Pépin le Bref aurait rencontré Bertrade. Charles Martel, le père du futur premier roi carolingien, y est mort en 741. Pépin le Bref hérite de la charge de maire du palais (le plus haut rang après le roi. Il y avait autant de maires de palais que de royaumes) de Neustrie, qui couvre à l'époque le nord-ouest de la France actuelle et une partie de la Belgique, à laquelle s'ajoutent la Provence et la Bourgogne.

Pépin avait un certain intérêt à épouser Bertrade : Laon est une place stratégique pour la royauté de France car elle est le point de rencontre du monde germanique et du monde latin

Michel Sarter, directeur des archives de l'Aisne

Certains écrits de l'époque disent que Pépin était déjà marié lorsqu'il rencontra Bertrade. Marié à une certaine Leutburgie et près de cinq enfants. Une famille dont il serait parvenu à se défaire pour pouvoir se marier avec la fille du maire du palais de Laon. Car Laon est alors plus une capitale politique, culturelle et intellectuelle qu'économique. "Pépin avait un certain intérêt à épouser Bertrade : Laon est une place stratégique pour la royauté de France car elle est le point de rencontre du monde germanique et du monde latin", rappelle Michel Sarter. Mais il n'existe aucune trace de cette première épouse et de ces cinq enfants.

Première reine des Carolingiens

La date du mariage de Bertrade et de Pépin est sujette à caution : 743 ou 744 selon la chronique historique les Annales de Prüm, 749 selon les Annales de Saint Bertin. Cette date a une certaine importance : leur premier enfant, Charlemagne, serait né en 742, 747 ou 748 (peut-être à Quierzy) soit donc peut-être hors mariage. Du moins hors mariage religieux : il est dit que Bertrade et Pépin se seraient unis civilement en 743-744 et religieusement en 749 pour que Pépin puisse être couronné roi des Francs à Soissons deux ans plus tard par le pape Zacharie. Il sera sacré une deuxième fois le 27 juillet 754 par Etienne II roi des Francs et patrice des Romains.

Avec le couronnement de Pépin le Bref, la royauté passe entre les mains des Carolingiens. En 751, Bertrade devient donc reine du royaume des Francs et première reine de la dynastie carolingienne.

Probablement la mère de 8 enfants

Elle est dite très active dans les affaires du royaume et donne souvent des conseils à son époux. Elle pouvait siéger aux assemblées, affirme Geroges Samson. "En tant que reine, elle a certainement eu son mot à dire dans les affaires de l'État, raconte Michel Sarter. Mais c'est surtout dans l'éducation de ses enfants qu'elle avait un rôle à jouer. Notamment dans l'éducation de Charlemagne".

Car Bertrade aura huit enfants. "Trois : Charlemagne, Carloman et Gisèle, sont connus, précise Michel Sarter. Les cinq autres, quatre filles et un garçon, ne sont pas certains : les sources qui parlent d'eux ne sont pas sûres". L'existence de Pépin, Berthe, Rothaïde, Isbergues et Adelaïde reste donc à confirmer. Pépin, Rothaïde et Adelaïde seraient morts dans leur enfance.

Elle était très diplomate. Elle a toujours essayé de maintenir l'entente entre Carloman et son frère Charlemagne.

Georges Samson, historien local

Quelques documents indiquent que Pépin le Bref aurait souhaité la répudier quelques années après leur mariage pour probablement en épouser une autre. Mais le pape s'y oppose.

Influence politique

À la mort de son mari, en 768, c'est Bertrade qui se charge de partager son royaume entre Charlemagne, qui règne sur la Neustrie et réside à Noyon dans l'Oise et Carloman qui, à la tête de l'Austrasie, vit à Soissons.

Tous les deux deviennent roi des Francs "C'est elle qui a partagé le royaume comme ça pour qu'il n'y ait pas de guerre, développe Georges Samson. Elle a toujours essayé de maintenir la paix entre les deux frères. Elle était très diplomate." Car Carloman et Charlemagne ne s'entendent pas. 

Bertrade s'efforce également de garder une certaine influence sur ses deux fils. Et conquiert ainsi une dimension politique plus internationale. "Elle passe de la politique familiale à la politique étrangère en se rendant en mission diplomatique chez le roi Tassilon III de Bavière pour faciliter des accords politiques, raconte Georges Samson. En fait, elle est allée chercher une femme pour Charlemagne. Elle est revenue avec Désirée, fille de Didier, roi des Lombards. Charlemagne se plie à la volonté de sa mère, sûr des compétences politiques de celle-ci. Et il épouse Désirée de Lombardie en 770".

En 771, Carloman meurt dans des conditions troubles à Samoussy. "Charlemagne l'a certainement fait empoisonner", avance Georges Samson. Charlemagne met alors la main sur les possessions de son frère et écarte sa mère du pouvoir. Pour preuve de cette prise d'indépendance, il répudie Désirée au prétexte qu'elle n'avait pu lui donner que deux enfants. La fin de ce mariage entraîna la guerre des Francs avec les Lombards. Ce fut la seule pomme de discorde entre la mère et le fils. Dans la troisième partie de sa chronique La vie de Charlemagne écrite vers 840, Eginhard écrit que Charlemagne "lui témoignait [...] le plus grand respect, et jamais il ne s'éleva entre eux le moindre nuage, si ce n'est une seule fois à l'occasion du divorce de Charles avec la fille de Didier".

Inhumée en la basilique de Saint Denis

Bertrade décide alors de se retirer de la cour. Elle finit sa vie à Choisy-au-Bac près de Compiègne dans l'Oise, l'une des résidences royales de l'époque mérovingienne. Elle y meurt entre 780 et 785, probablement en 783. Elle est y inhumée avant que Charlemagne ne fasse déplacer son corps à la basilique Saint-Denis auprès de Pépin le Bref, "comme tous les rois et toutes les reines de France", conclut Georges Samson. Ses cendres seront déplacées dans la basilique comme celles d'autres souveraines et souverains de France en 1264 par Louis IX. 

On ne sait pas à quoi Berthe ressemblait, aucun portrait d'elle ne nous étant parvenu. "Nous n'avons d'elle que des représentations du 19e siècle". Des représentations bien souvent idéalisées :

Tout juste sait-on qu'elle avait un caractère doux et beaucoup de bonté. Ce qui lui valut le surnom de Berthe la Débonnaire. On ne sait pas non plus précisément quand son prénom Bertrade, trop germanique, est francisé en Berthe.

"Aux grands pieds" 500 ans après sa mort

On ne trouve plus trace de Bertrade de Laon jusqu'au 13e siècle. C'est sous la plume du "roi des ménestrels", Adenet, que Berthe devient "aux grands pieds". Dans la chanson de geste Li roumans de Berte aus grans piés écrite en 1270, Adenet romance très largement le mariage de Berthe et de Pépin. Le poème ne sera édité qu'en 1832 : 

Dans ce poème en alexandrins, Berthe, princesse de Hongrie, se voit usurper son trône et son mari par la fille de la dame de compagnie de sa mère.

[...] Ont l'estoire faussée, onques mais ne vi si. Ilueques demorai de lors jusqu'au mardi, Tant que la vraie estoire emportai avoec mi : Si comme Berte fu en la forest par li, Ou mainte grosse paine endura et soufri. L'estoire iert si rimée, par foi le vous plevi, Que li mesentendant en seront abaubi, Et li bien entendant en seront esjoï. [...]

Adenet le Roy, Li roumans de Berte aus grans piés, 1270

L'usurpatrice envoie des sergents tuer Berthe en forêt du Mans. Mais ils n'en ont pas le courage et la laissent s'enfuir. Recueillie par un couple, Simon et Constance, elle reste dans ce nouveau foyer huit ans, se faisant passer pour une fileuse. Elle finira par rencontrer à nouveau Pépin le Bref qui s'était égaré en forêt et avouera sa véritable identité qui sera certifiée par la taille de ses pieds.

Mais la Berthe d'Adenet n'a de commun avec Bertrade de Laon que des pieds trop grands et un mariage avec le roi des Francs. La mémoire collective va assimiler la Berthe aux grands pieds d'Adenet et la Bertrade de Laon pour n'en faire qu'une personne. Une assimilation facilitée par le fait que Bertrade de Laon avait si ce n'est un pied bot, "au moins un pied plus grand que l'autre", rectifie Michel Sarter.

Des poèmes et des opéras à son nom

Berthe aux grands pieds sera citée par d'autres poètes : François Villon dans La ballade des dames du temps jadis écrit au 15e siècle ou encore André Rivoire dans le poème Berthe aux grands pieds édité en 1899. Au 19e siècle, le haut Moyen-Âge est la mode. La première reine carolingienne refait surface. En 1878, le compositeur suisse Henri Kling lui consacre un opéra en trois actes. En 1879, Victorin de Joncières écrit un opéra en deux actes sur un livret de Jules Barbier. 

Jusque dans les années 20, beaucoup de petites filles furent baptisées Berthe. Un prénom qui n'est plus du tout donné à partir de 1997. "Berthe aux grands pieds" est depuis devenu un sobriquet pour toutes celles qui chaussent un peu grand. Et c'est par ce surnom qu'est gravée dans la mémoire collective l'histoire d'une reine de France dont on ne sait finalement pas grand chose.

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