L’histoire du dimanche – Louis-Ferdinand Céline, sa convalescence à Hazebrouck après avoir été blessé lors de la Première Guerre mondiale, entre fiction et réel

Un roman inédit de Louis-Ferdinand Céline intitulé Guerre vient de paraître 60 ans après la mort de l’auteur. Une auto fiction dans laquelle l’écrivain controversé y raconte sa blessure au front en 1914 et sa convalescence dans un hôpital de guerre installé dans un collège d’Hazebrouck.

Les Céliniens de la première heure n’ont pas attendu la publication du roman inédit pour s’intéresser au séjour hazebrouckois de l’écrivain. Mais de l’aveu de tous, Guerre offre de nouvelles clés de compréhension sur ces quelques semaines de convalescence que l’auteur a passé dans la ville des Flandres à la fin de l’année 1914.

"Guerre est une autofiction, analyse l’écrivain nordiste Guy Fontaine. Mais Céline, c’est un magicien. Il réussit à métamorphoser tout ce qu’il raconte, c’est-à-dire que tout ou presque tout est vérifiable dans le roman".

Oui, Louis-Ferdinand Céline a bel et bien été soigné pendant plusieurs semaines à Hazebrouck à la fin de l’année 14 comme Ferdinand à Peurdu-sur-la-Lys dans le roman. Oui, Louis-Ferdinand Céline a eu une relation amoureuse avec Alice David, infirmière de l’hôpital auxiliaire numéro 6 comme Ferdinand avec mademoiselle Lespinasse dans le roman. "Il y a des points réels mais tout est considérablement transformé par Céline", rappelle toutefois Pierre-Marie Miroux, agrégé de lettres modernes et auteur de Céline, plein Nord.

"Après sa guerre, après son hospitalisation, vingt ans se sont écoulés, résume Guy Fontaine. Il a le temps de pratiquer cette alchimie de l’écrivain qui métamorphose le réel. Et ça devient de la littérature". Entre fiction et réalité, plongée dans le séjour hazebrouckois de l’un des auteurs les plus controversés de l’histoire.

Il a le temps de pratiquer cette alchimie de l’écrivain qui métamorphose le réel. Et ça devient de la littérature

Guy Fontaine, écrivain

Le manuscrit retrouvé

Avant d’en apprendre davantage sur le séjour de l’écrivain dans la ville d’Hazebrouck grâce au roman inédit, il faut comprendre comment Guerre a pu être publié soixante ans après la mort de son auteur. Une histoire rocambolesque.

"Céline se fait connaître en 1932 avec le Voyage au bout de la Nuit, la guerre de 1914 étant l’élément déclencheur de ce roman, rappelle Guy Fontaine. Il promet à son éditeur une suite". Cette suite, Louis-Ferdinand Céline l’écrit en 1934, soit vingt ans après son expérience du front. Un manuscrit de premier jet intitulé Guerre qui restera rangé dans un placard de son appartement parisien.

En 1944, l’écrivain antisémite fuit la France pour rejoindre l’Allemagne et laisse derrière lui plus de 6000 feuillets qui seront volés par des résistants. Au début des années 2000, ces manuscrits dérobés sont remis à un ancien journaliste de Libération, qui va les garder précieusement jusqu’au décès de la veuve de Céline, alors âgée de 107 ans, en 2019.  

Récupérés par les ayants droits, ils vont être authentifiés et leur existence va être dévoilée en août 2021. La maison d’édition Gallimard en prend possession et publie Guerre vendredi 5 mai 2022.

Du front de la Première guerre à l’hôpital auxiliaire d’Hazebrouck

Le 27 octobre 1914, le combat fait rage tout autour de la ville belge d’Ypres. À cette époque, Louis Destouches - dit Louis-Ferdinand Céline - a 20 ans. Le jeune homme fait partie du 12e régiment de cuirassiers et participe aux affrontements. C’est alors qu’il reçoit une balle au bras droit et chute violemment.

Gravement blessé, le soldat Destouches est évacué par l’armée et monte dans un train direction Dunkerque pour être soigné. Mais l’écrivain, mal-en-point et souffrant atrocement de ses blessures, descend finalement à Hazebrouck et est admis à l’hôpital auxiliaire numéro 6, installé dans l’enceinte de l’actuel lycée Saint-Jacques. Il y sera opéré deux jours plus tard par le docteur Sénellart.

Dans le roman, la ville d’Hazebrouck est renommée Peurdu-sur-la-Lys. L’hôpital auxiliaire n°6 devient le Virginal Secours et l’actuelle bibliothèque du lycée servant à l’époque de dortoir est appelée la salle Saint-Gonzef. Céline décrit le lieu : "on était peut-être 25 en tout dans la salle Saint-Gonzef. Le soir, sur les 10 heures, j’en voyais au moins une centaine. Alors je me retournais sur mon plume et je tâchais de fermer ma gueule pour pas réveiller les autres".

L’ancien dortoir accueille aujourd’hui le centre de documentation et d’information du lycée Saint-Jacques. Les colonnes de l’allée centrale sont restées intactes. Sur la photographie en transparence prise en 1915, on aperçoit l’équipe médicale au chevet des blessés de guerre. Au total, une centaine de lits étaient installés dans l’hôpital Saint-Jacques.

Hazebrouck ou "Peurdu-sur-la-Lys"

Au fil du roman et de la guérison de Ferdinand, l’écrivain s’épanche sur des scènes qui se sont déroulées hors les murs de l’hôpital Saint-Jacques.

Au gré de ses pérégrinations avec son camarade Bébert, le protagoniste principal découvre la ville d’Hazebrouck, renommée pour l’occasion Peurdu-sur-la-Lys. "Peurdu-sur-la-Lys ça se présentait d’une manière crevante, écrit Céline. La place au centre, toute bordée de jolies maisons bien fignolées en pierre comme un vrai musée. Un marché aux carottes, navets, salaisons dans le plein centre, ça égaie".  

Quelques pages plus tard, il décrit un café - l’Hyperbole - bordant la "Place Majeure", actuelle Grand Place. Céline explique le chemin qu’il emprunte pour y accéder depuis l’hôpital, en passant sous les arcades de l’hôtel de ville toujours existantes aujourd’hui. "On tourne donc par la rue où qu’était la mairie, puis celle qu’à un escalier monumental qui se déploie en éventail jusqu’au milieu de la place du centre".

"Les vadrouilles de Céline avec son copain Bébert sont des lieux aujourd’hui repérables puisque ça se passe sur la place majeure, c’est-à-dire la grand Place, sous les arcades de l’hôtel de ville et dans l’un des bistrots qui borde l’endroit en question", explique Guy Fontaine.

L’histoire amoureuse avec une infirmière

Au-delà de la description des lieux fidèles à la géographie de la ville des Flandres, Louis-Ferdinand Céline raconte dans le livre son traumatisme de la guerre et sa rencontre avec une infirmière. Mademoiselle Lespinasse est dépeinte par l’écrivain comme celle qui "branle" les agonisants sous leur draps, et le soldat Ferdinand ne fait pas exception. À plusieurs reprises, l’écrivain romance des scènes de sexe qui se déroulent dans le dortoir.

"Céline s’épanche sur une aventure d’amitié amoureuse qu’il a réellement eu avec une infirmière, Alice David", avance Guy Fontaine. Des courriers retrouvés attestent de la véracité des échanges. "La correspondance qu’ils ont est une jolie correspondance qui commence par « cher Alice » ou « cher Louis-Ferdinand ». Rapidement ça devient « mon grand », « ma grande » et enfin « mon chéri », « ma chérie ». Ils se disent des choses qui sont de l’ordre de l’amitié amoureuse. Mais dans le roman, il fait de cette femme quelqu’un d’absolument assoiffé de sexe et qui n’a rien à voir avec l’infirmière qui a été dévouée et qui s’est occupée de sa blessure au bras".

Un point de vue partagé par Pierre-Marie Miroux, qui a mené de nombreuses recherches autour de cette relation. "Alice David, c’était une femme de 40 ans. Une dame éduquée née dans une grande famille. Son père était directeur de l’indicateur des Flandres. Formée par la croix rouge, elle a eu un coup de cœur et est tombée amoureuse du jeune soldat Destouches âgé de 20 ans, plutôt bel homme et auréolé d’une certaine gloire". Selon lui, l’infirmière Lespinasse décrite dans Guerre pourrait lui correspondre. "On peut supposer que mademoiselle Lespinasse se superpose au personnage d’Alice David mais ce n’est certainement pas elle. Il y a une scène sur un baiser échangé, ça c’est de l‘ordre du possible. Mais lorsque Céline raconte les scènes de masturbation directe, ce n’était pas vraiment le genre d’Alice David", rigole-t-il. "C’est fantasmé mais il y a des bases".

Après la découverte de Guerre, un second roman inédit de Louis-Ferdinand Céline devrait être publié à la fin de l’année. Également retrouvé parmi les manuscrits disparus, Londres racontera le séjour Outre-Manche de l’écrivain.

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