La Belgique, ex-puissance coloniale au Congo, va restituer à la famille de Patrice Lumumba une dent ayant appartenu au leader congolais assassiné en 1961, comme elle le réclamait depuis plusieurs années.
Depuis Kinshasa, François Lumumba, l'un des fils du héros de l'indépendance, a salué "une nouvelle page qui s'ouvre dans l'histoire de nos deux peuples".
Cette dent avait été saisie dans la famille d'un policier belge ayant contribué à faire disparaître le corps - jamais retrouvé - de celui qui fut brièvement Premier ministre de l'ex-colonie belge après l'indépendance. Elle est l'une des pièces de l'enquête judiciaire pour "crime de guerre" ouverte après la plainte déposée en 2011 à Bruxelles par plusieurs de ses enfants, exigeant que soient éclaircies les circonstances de l'assassinat.
La dent va prochainement "être restituée aux ayants-droit" de Patrice Lumumba, a annoncé Eric Van Duyse, porte-parole du parquet fédéral belge. Il a évoqué une restitution "symbolique" en l'absence de "certitude absolue" que cette dent lui ait bien appartenu. "Il n'y a pas eu d'analyse ADN sur la dent, cela l'aurait détruite", a dit M. Van Duyse.
"Le procureur fédéral (Frédéric Van Leeuw) était favorable à la restitution, il fallait l'aval du juge d'instruction qui est intervenu en début de semaine", a-t-il expliqué.
Le 1er juillet, M. Van Leeuw avait jugé "incroyable" que cette dent ait pu être retrouvée en Belgique. "C'est tout à fait incroyable on a retrouvé, dans la famille d'une des personnes qui a fait disparaître les corps (...) une dent de Patrice Lumumba", s'était exclamé le magistrat sur la chaîne info LN24. En 2000, le policier belge Gérard Soete avait accepté de témoigner auprès de l'Agence France Presse de sa participation, quelque 40 ans plus tôt, à l'élimination du corps de Lumumba, assassiné avec deux de ses proches dans la province alors sécessionniste du Katanga, près d'Elisabethville (actuelle Lumumbashi).
"Trophées de chasse"
"En pleine nuit africaine, nous avons commencé par nous saouler pour avoir du courage. On a écartelé les corps. Le plus dur fut de les découper" avant de verser l'acide, avait expliqué l'octogénaire, depuis décédé. "Il n'en restait presque plus rien, seules quelques dents", avait ajouté Gérard Soete.Selon le sociologue belge Ludo De Witte, auteur d'un livre sur l'assassinat de Lumumba, Soete avait décidé de ramener avec lui en Belgique ces quelques reliques "comme des trophées de chasse". Intellectuel patriote devenu Premier ministre du Congo indépendant en juin 1960, renversé trois mois plus tard, Lumumba avait été assassiné le 17 janvier 1961, avec la complicité présumée de la CIA et du MI6 britannique.
Il était perçu comme prosoviétique par les Américains, et avait été désavoué par les milieux d'affaires belges qui voyaient en lui une menace. Dans son livre paru en 1999 Ludo De Witte a tordu le cou à la version officielle du règlement de comptes entre Congolais et affirmé que la Belgique portait "la plus grande responsabilité" dans ce crime, ce qui a conduit à une commission d'enquête parlementaire en 2000-2001. Et en 2002, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Louis Michel, la Belgique avait présenté ses "excuses" pour la "part de responsabilité irréfutable" de certains membres du gouvernement belge dans l'assassinat.
Dans un communiqué transmis jeudi à Kinshasa, François Lumumba a salué la décision de rendre la dent et "remercié la justice belge". Ce geste intervient alors que le débat sur le passé colonial belge a été ravivé depuis juin, dans le sillage de la mobilisation antiraciste ayant suivi la mort de George Floyd fin mai aux Etats-Unis.
Le 30 juin, jour des 60 ans de l'indépendance, le roi des Belges Philippe avait présenté, dans une lettre au président congolais Félix Tshisekedi, "ses plus profonds regrets pour les blessures" infligées aux Congolais lors de la période coloniale (1885-1960), une première historique.