Le gouvernement britannique fait une priorité du durcissement de sa politique migratoire, grand axe de campagne du Brexit. Pour les associations qui travaillent à Calais, l'annonce de Londres de refouler les migrants arrivant par la Manche est une pure fantaisie.
Début juillet, le gouvernement de Londres annonçait le durcissement massif des peines de prison à l'encontre des migrants arrivés sur son sol par la Manche, avant d'essuyer un spectaculaire revers de la part de la justice britannique. Mais la volonté de durcir les politiques migratoires faisait partie des arguments phares des militants pro-Brexit, qui ont fini par emporter la bataille et le pouvoir.
Alors, Londres persiste et signe : la presse britannique a révélé que le gouvernement souhaitait entraîner les forces de police britanniques à refouler les embarcations de réfugiés avant qu'elles n'atteignent les côtes anglaises. Une annonce qu intervient le jour même où 126 migrants, dont plusieurs femmes et enfants, ont été secourus en mer dans le détroit du Pas-de-Calais vendredi 10 septembre.
Les décisions de Priti Patel, ministre de l'Intérieur britannique, ont rencontré une sèche réaction de son homologue français, Gérald Darmanin, car contraires aux accords passés entre la France et le Royaume-Uni sur la question migratoire. "La France n'acceptera aucune pratique contraire au droit de la mer, ni aucun chantage financier. (...) L'amitié entre nos deux pays mérite mieux que des postures qui nuisent à la coopération entre nos services", cite l'AFP.
"On sait le travail extraordinaire des gendarmes, des sauveteurs"
Loan Torondel, travailleur humanitaire passé par Calais et auteur d'un rapport sur le phénomène des traversées de la Manche, ironise également sur ces effets d'annonces. "Si ces annonces peuvent sembler impressionnantes, pas sûr qu'elles soient très différentes des précédentes.... Comme précédemment, les plans de ce type sont entièrement dépendants d'un accord de la France pour leur mise en œuvre, rappelle-t-il sur son compte Twitter. Priti Patel savait pertinemment que cela allait se passer ainsi."
Si ces annonces peuvent sembler impressionnantes, pas sûr qu'elles soient très différentes des précédentes....
— Loan Torondel (@LoanTorondel) September 9, 2021
Comme précédemment, les plans de ce type sont entièrement dépendants d'un accord de la France pour leur mise en œuvre, ce qui n'est pas le cas ici encore une fois. https://t.co/8vgXabDWr3
Pour Jean-Claude Lenoir, président de l'association Salam, qui oeuvre auprès des migrants à Calais et Grande-Synthe, l'annonce est aussi impossible à mettre en oeuvre sur le plan juridique que pratique. "C’est incroyable que des ministres, français ou britanniques, tiennent ce genre de propos. En ce moment, il y a jusqu’à 20, 30 embarcations en même temps sur l’eau. C’est juste impossible, impossible, impossible, assène-t-il. Frontex, au début, était censé empêcher les gens d’entrer en Europe. Et maintenant, il faudrait qu’on l’utilise pour les empêcher de sortir de l’Europe ? Ils ne peuvent pas dévoyer les lois comme ça leur plaît, il s’agit de vies humaines !"
De plus, les exilés ne sont pas les seuls pour qui une politique de refoulement serait dévastatrice. "Quand on est marin, on sait le travail exceptionnel, extraordinaire des gendarmes, des sauveteurs. Ce sont des gens sérieux, qui dépassent même leur rôle et le font avec un engagement incroyable. Sans eux, il y a aurait des centaines de morts. Sauf qu’un jour, avec cette politique, ils vont se retrouver avec 30 morts autour d’eux, et quel traumatisme ça engendrerait pour ces gens dévoués !"
"Pour moi, cette décision revient à les condamner à mort malheureusement"
Une crainte confirmée par Jean-Michel Fournier, patron du Notre-Dame de Boulogne, au micro de Marion Durand pour France 3 Nord Pas-de-Calais. Le pêcheur a déjà secouru plusieurs migrants entassés sur des embarcations en difficultés. "Je ne comprends pas la réaction des Anglais. Si vraiment ils se mettent à repousser les gens qui veulent rentrer chez eux, je ne comprends pas. Je ne conçois pas à ce que la Royal Navy renvoie les migrants alors qu’ils sont à bout de force après la traversée", avance-t-il.
Pour lui, venir en aide aux personnes en difficultés dans la Manche fait partie de son "code d’honneur". Il craint désormais pour la vie des migrants. "Ils ont assez d’essence pour faire le voyage une fois, mais pas pour le faire deux fois. Pour moi, cette décision revient à les condamner à mort malheureusement". Avant de conclure. "Si on n‘est pas là, il y aura des drames".
Dans les eaux de la Manche, qui même les jours de chaleur restent à 13 ou 14 degrés, la traversée est toujours un risque. Selon le préfet maritime Philippe Dutrieux, quelque 15.400 migrants ont tenté la traversée entre le 1er janvier et le 31 août, dont 3.500 ont été "récupérés en difficulté" dans le détroit et ramenés sur les côtes françaises.