La crise du Covid-19 et les deux mois de confinement ont bousculé les habitudes d’achat alimentaire des Français, qui se sont tournés en partie vers le circuit court. S’agit-il alors d’une tendance ou d’un changement pérenne ?
“Ça fait sept ans que nous travaillons dans le circuit court. C’est un domaine qui a toujours été en progression, mais là, c’est du jamais vu. Du jour au lendemain, on a multiplié les commandes par trois”, constate Jimmy Devemy, l’un des fondateurs de la plate-forme LeCourtCircuit.fr, basée à Lille.[Communiqué de Presse] Des jours heureux pour l'alimentation locale ? #mangeonslocal #circuitcourt #agriculture #alimentation #hautsdefrance pic.twitter.com/vddPlzsFLp
— LeCourtCircuit.fr (@lecourtcircuit) May 13, 2020
Trois fois plus de clients pendant le confinement
Pour rapprocher les consommateurs des producteurs, ce drive de produits fermiers 100 % made in Nord Pas-de-Calais compte 20 points de retrait dans la région. Durant le confinement, les clients s’y sont précipités : “Il y a eu un vrai effet confinement, on est passé de 700 commandes par semaine avant la crise, à 2000 ! Un changement immédiat mais aussi continu, puisqu’on a recruté de nouveaux clients tout au long du confinement”.
Jimmy Devemy a beaucoup échangé avec ces nouveaux amateurs du circuit court : “Ils me disaient souvent ‘depuis le temps que j’y pensais... cette fois je le fais, j’achète des produits en direct’, le confinement était le moment propice pour passer à l’action”.
"Beaucoup de mes clients sont devenus des amis"
130 producteurs et artisans de la région fournissent le Court Circuit, à l'image de Paul Vanhaecke, éleveur de porcs bios à Quaëdypre près de Dunkerque. Si déjà 80% de sa production partait en vente direct, avant le confinement, ses ventes ont explosé début avril. Une excellente nouvelle pour cet éleveur, qui croie dur comme fer dans le circuit court : "la vente en direct, c'est l'avenir ! C'est bénéfique pour le client qui a accès des produits frais, pas forcément plus chers qu'en grande surface et en plus d'être bien meilleur pour l'environnement, ça crée de l'emploi chez nous". Sans compter l'aspect social de ce mode de consommation local : "Beaucoup de mes clients sont devenus des amis. Pendant le confinement, ma communauté Facebook s'est agrandie. J'y publie des recettes de cuisine, des vidéos de la ferme, de mes cochons. C'est important de savoir ce qu'on a dans son assiette."
À chaque fois que nos vie changent, on se pose des questions qu’on ne se pose pas au quotidien.
Un boom bien lié à la crise du covid-19, selon Franck Lehuédé, directeur d’étude et de recherche au pôle consommation du Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de Vie (CREDOC) : “À chaque fois que nos vies changent, à cause d’un déménagement, d’une maladie ou du confinement qu'on vient de vivre, on se pose des questions que l’on ne prend pas le temps de se poser au quotidien. C’est notamment l’occasion de se demander si notre consommation est bien pour nous, mais aussi pour les autres, car il ne faut pas oublier que le circuit court a une dimension individuelle mais aussi collective, sociale.”
Depuis la crise de 2008, la production mondialisée remise en cause
Cette réflexion autour de l’environnement, du développement durable et du bien-être était ancrée depuis déjà un moment : “Le marché du bio et du local se développe fortement depuis le crise de 2008, après laquelle beaucoup se sont demandés si le système mondialisé était le plus légitime, si produire de la nourriture Asie et la manger en France avait du sens. Cette réflexion portée par les consommateurs depuis plusieurs années, accentuée avec la crise de 2008, donnait ainsi un terreau pour que les circuits courts connaissent ce phénomène aujourd’hui”, explique l’analyste du CREDOC.
À cela s’ajoute un élément conjoncturel : “A chaque fois qu’on connaît une crise sanitaire, les consommateurs privilégient les magasins de proximité. Ce n’est pas forcément rationnel, mais ils cherchent des signes rassurants. Et forcément, on a toujours plus confiance en ce qui est fabriqué près de chez soi”.
“Je pense que ces comportements vont durer”
Consommation : "Le Covid-19 accentue des clivages qui laissent présager des troubles sociaux". Avec, selon @PhMoati, deux manières de consommer en tension : le "moins mais mieux", et la frustration de ne pas pouvoir consommer ce que l'on veut.https://t.co/3bGR8Do16B pic.twitter.com/zLqRp2rxJf
— Rédac France Culture (@FC_actu) April 26, 2020
“Je pense que ces comportements vont durer”, considère le directeur d’étude et de recherche du CREDOC Franck Lehuédé. “On ne constate pas une rupture brutale avec la consommation de masse. Une partie de la population ne va pas être concernée tout de suite par cette volonté de consommer local, pour des raisons financières et d’accès physiques. De plus, on ne peut pas tout produire en circuit court, l’organisation actuelle de l’agriculture ne le permet pas. Mais on constate tout de même depuis peu, que la classe moyenne modeste prend le pas. La jeunesse, habituée aux crises économiques héritière des problèmes environnementaux, est très sensibilisée aux problèmes de consommation. À terme, la notion de circuit court devrait être réfléchie au niveau national voire européen.”
De nouveaux modèles économiques ont fleuri avec le confinement
Si le circuit court ne séduit pas encore tous les Français, la tendance est au rapprochement entre consommateurs et producteurs. D’autres modèles sont nés pendant le confinement, comme la vente directe et à domicile, entre grossiste et citoyens.
Exemple : Arnaud Vandecasteele livrait les restaurants du Nord en viande et en poissons, via son entreprise Gadus Vidanda à Carvin (Pas-de-Calais), avant la crise du Covid-19. Face à la fermeture de ces derniers pour plusieurs semaines et pour ne pas gaspiller ses stocks, il a dû complètement repenser ses circuits de distribution, au profit d’une démarche de circuit plus court, vers le consommateur directement : “Bien que ça ne soit pas uniquement des produits régionaux, c’est très vertueux, la nourriture fraîche va du producteur ou éleveur au consommateur en passant par un seul maillon, nous. Lorsqu’une seule entreprise transporte, stocke, prépare la marchandise et la livre à domicile, ça produit bien moins d’emballage”. Une idée qui a permis, aussi, de ne mettre personne au chômage dans son entreprise.
Un intérêt grandissant pour le “consommer local” donc, mais qu'en sera-t-il sur le long terme ? C’est la question que se pose Jimmy Devemy, de la plateforme Le Court-Circuit. “On sait que rien ne change radicalement du jour au lendemain, admet-il, mais là, en huit semaines, de nouvelles routines se sont installées.” Reste à voir si ses clients vont rester dans les prochains mois. Pour l’instant, trois semaines après le début du déconfinement, quelques uns sont repartis, “mais par rapport à l’avant-confinement, notre clientèle reste multipliée par deux”.
Depuis le début de la période du confinement, l’Observatoire Société et Consommation étudie dans des enquêtes quantitatives et qualitatives les comportements des consommateurs. Résultat, sur 1286 personnes interrogées, 53% déclarent que la production nationale ou locale influera davantage leur consommation après la crise.