Cette semaine, "La liste du dimanche" donne carte blanche à un photographe qui a réalisé une série surprenante sur les commerces fermés, restés en l'état dans les villes et villages du Pas-de-Calais.
Photographier les traces du passé, c'est entre autres ce qu'aime faire Sébastien Croës, photographe amateur installé à Vimy. Il parcourt la région (mais aussi la France) pour en figer les beautés. Il classe tout consciencieusement sur un compte Flickr, qui lui permet de partager son travail.
Parmi les séries qu'il alimente régulièrement, l'une s'appelle 'Mortification urbaine". Elle a particulièrement retenu notre attention. "C'est une série qui m'est venue un peu par hasard, lors d'un déplacement à Isbergues (Pas-de-Calais), explique Sébastien Croës. J'y ai découvert une façade de boulangerie-pâtisserie qui malheureusement n'existe plus, mais tous les éléments du commerce sont encore en façade. Et j'ai continué à parcourir cette rue. J'y ai trouvé bien d'autres petits commerces qui avaient déposé le bilan, jouxtant parfois d'autres petits commerces toujours actifs. Ces cicatrices, je ne voulais pas les voir disparaître, d'où mes photos."
Arras, Billy-Montigny, Liévin, Wanquetin... Le Pas-de-Calais est particulièrement confronté à cette mort lente du petit commerce. La série est photographique mais elle parle aussi d'économie, de société, de sociologie... Et de nostalgie : "Le combat est perdu d'avance pour quelques uns. Ces rues devaient autrefois être remplies de vie, de contacts entre êtres humains, plein de proximité, et de produits réalisés et vendus avec le coeur. Tous ces éléments, je pense que je ne les retrouve pas dans nos grands magasins actuels (d'ailleurs, personnellement, j'essaie d'aller le plus possible chez le petit commerçant). Alors, évidemment, j'ai choisi de placer dans le nom de cette série le mot "mortification", la racine latine veut dire "faire mourir".
J'essaie donc, dès que je peux, de me mettre en quête de ces lieux qui me rappellent aussi mon enfance à Tourcoing, où j'avais la joie d'aller à la boucherie (où le boucher offrait une rondelle de saucisson), à l'épicerie (où j'avais parfois droit à un bout de fromage), à la boulangerie (avec parfois l'autorisation de me faire plaisir avec un carambar grâce à la monnaie rendue sur la baguette). J'aimais aussi ces lieux pour les agencements, les présentations des produits, les odeurs, le contact avec les commerçants. Tout cela avait bien du caractère à côté des grandes surfaces et grandes chaînes actuelles que l'on retrouve sur tout le territoire et même au delà de nos frontières. Il n'y aucune surprise à aller dans ces magasins. Donc oui, il y a aussi un brin de nostalgie dans ma démarche. J'essaie donc d'immortaliser ces lieux quand j'en trouve, avant qu'ils ne disparaissent à jamais."
Petite particularité : Sébastien Croës aime donner des noms à ces photos. En voici 20, avec leur titre d'origine, choisies dans la série. Le travail complet est ici.