C'était il y a 110 ans jour pour jour, le 10 mars 1906. Un "coup de poussier" dévastait 110 km de galeries de la Compagnie des Mines de Courrières, entre Sallaumines et Billy-Montigny. Entre 1100 et 1200 mineurs trouvaient la mort dans la pire catastrophe minière de l'histoire européenne.
Des cartes postales en noir et blanc, précieusement conservées au Centre Historique Minier de Lewarde, permettent de reconstituer, en images, le film de la pire catastrophe minière jamais survenue en Europe.
10 mars 1906, vers 6h30 du matin. Une violente explosion secoue le bassin minier du Pas-de-Calais, près de Lens. Un "coup de poussier" (incendie de poussières de carbone hautement inflammables) vient de dévaster 110 kilomètres de galeries de la Compagnie des Mines de Courrières. Comme un souffle incandescent tout droit sorti de l'enfer. Les fosses n°2 (Billy-Montigny), n°3 (Méricourt), n°4-11 (Sallaumines) sont touchées. Près de 1600 mineurs sont déjà au travail à ce moment là, extrayant le charbon entre 100 et 300m sous terre.
L'explosion est tellement forte que la cage d'entretien et des chevaux sont projetés à plusieurs mètres de haut à la sortie du puits n°3 dont le chevalement est détruit.
A la surface, c'est la panique. Dans les corons, des femmes et des enfants en pleurs, paniqués, se précipitent aux nouvelles. Des gendarmes doivent être appelés en renfort pour contenir tout le monde. Quelques centaines de mineurs parviennent à remonter par la fosse n°10 de Billy-Montigny, épargnée par la déflagration. Les secours vont s'y organiser, les autres puits, obstrués par les débris, étant plus difficilement accessibles. Une quarantaine de mineurs seront quand même extraits en vie du n°4-11, où une cage fonctionne encore. Certains sont grièvement blessés, le visage défiguré par le feu. Pour les autres, il n'y a déjà plus beaucoup d'espoir...
Les premiers secours qui descendent dans les galeries découvrent des monceaux de cadavres, déchiquetés ou asphyxiés.
Un premier bilan, le soir de la catastrophe, fait état de 1219 morts mais le chiffre officiel sera ramené à 1099 victimes. Plus du quart avait entre 13 et 18 ans. On compte plus de 500 veuves et un millier d'orphelins. Une quinzaine de sauveteurs décèderont également lors des opérations
La catastrophe - qui fait la "une" des journaux de l'époque - suscite un formidable élan de solidarité. Une souscription est lancée pour aider financièrement les familles endeuillées.
Des mineurs belges, des sapeurs-pompiers parisiens et des sauveteurs allemands, équipés de masques à oxygène, se mobilisent pour venir prêter main forte aux équipes de secours sur place.
Grâce à leur matériel, les Allemands aideront à retrouver un survivant, Auguste Berthou, 24 jours après la catastrophe.
Treize autres "miraculés" ont également été sauvés quatre jours plus tôt, après avoir erré dans le noir complet pendant deux semaines. Pour survivre, ils ont dû abattre un cheval et manger sa chair crue. Ils sont allés jusqu'à boire leur propre urine pour tenter de vaincre la sensation de soif dans l'air vicié et chargé des galeries.
Ils s'appelaient Léon Boursier, Louis Castel, Honoré Couplet, César Danglot, Albert Dubois, Élie Lefebvre, Victor Martin, Henri Neny, Romain Noiret, Charles et Anselme Pruvost, Léon Vanoudenhove et Henri Wattiez. En patois du Nord, on les désignait comme les "escapés" ou "rescapés". La catastrophe de Courrières a fait passer ce terme dans le langage courant. Deux de ces rescapés - Charles Pruvost et Henri Neny - reçurent la Légion d'Honneur pour leur courage.
Les obsèques des premières victimes de la catastrophe se sont déroulées à Billy-Montigny le 13 mars 1906, sous la neige, en présence de 15 000 personnes.
Celles qui n'ont pu être identifiées ont été inhumées à Méricourt dans une fosse commune, surnommée le "silo". Un monument funéraire y a été depuis érigé.
Durant les obsèques, le directeur de la Compagnie des Mines de Courrières doit rapidement s'éclipser après avoir été hué et traité d' "assassin" par une foule en colère. Les familles des victimes lui reprochent d'avoir surtout cherché à préserver les installations minières plutôt qu'à sauver des vies, en murant rapidement les galeries et en inversant l'aérage pour étouffer l'incendie. "Je le jure sur cette tombe qui nous glace d'horreur, sur ces cercueils que des mains tremblantes viennent de retirer d'une fosse pour les descendre dans une autre, justice sera rendue aux morts, justice sera rendue aux vivants, justice sera rendue à l'humanité !", s'égosille le député-maire socialiste de Lens, Emile Basly. Surnommé le "Mineur indomptable", ce dernier est une figure du syndicalisme qui a inspiré à Emile Zola le personnage d'Etienne Lantier dans le roman Germinal.
Dès le 14 mars, les mineurs se mettent en grève. Le mouvement s'étend rapidement à toute la France et même au-delà des frontières, jusque dans le Borinage en Belgique. La découverte tardive de survivants amplifiera encore la colère des mineurs qui accuseront la Compagnie des Mines de Courrières d'avoir abandonné trop tôt les secours. Le 23 avril, un officier de l'armée, le lieutenant de dragons Lautour, est tué à Lens. Le ministre de l'Intérieur, Georges Clémenceau, mobilise jusqu'à 30 000 gendarmes et soldats qui procèderont à de nombreuses arrestations. Les mineurs reprennent le travail début mai, moyennant une légère augmentation de salaire. Le mouvement social, né la tragédie de Courrières, débouchera également sur la loi du 13 juillet 1906 instituant le repos dominical en France. La mort de plus d'un millier de mineurs conduira également la Compagnie des Mines de Courrières à faire appel à de la main d'oeuvre étrangère pour les remplacer : 900 Kabyles sont recrutés en Algérie, colonie française à l'époque.
Les causes de la catastrophe de Courrières ont également alimenté la polémique. Trois jours auparavant, le 7 mars, un feu avait été découvert dans l’une des veines de la fosse n°3 de Méricourt, à 320 mètres de profondeur, baptisée "la veine Sainte-Cécile". Les ingénieurs décidèrent alors d'ériger plusieurs barrages pour couper l'air et étouffer les flammes. Le dernier, réalisé en maçonnerie, ne fut achevé que la veille du drame. Un délégué-mineur, Pierre Simon, dit "Ricq", demanda à ce que personne ne descende, par sécurité, tant que l'incendie n'était pas définitivement éteint. Mais il ne fut pas écouté...
Rien ne permit toutefois de déterminer avec certitude l'origine du "coup de poussier" meurtrier du 10 mars 1906. Le site des Archives du Pas-de-Calais rappelle que d'autres pistes ont été explorées, comme celle d'une explosion survenue au nord de la fosse n°3, dans la voie Lecoeuvre. Elle aurait pu être provoquée par le déclenchement inopiné de cartouches d’explosifs amorcées, consécutif à un choc. Un "coup de grisou" a également été soupçonné mais cette piste n'a jamais vraiment convaincu, ce gaz n'ayant jamais été détecté dans les fosses concernées avant la tragédie. La Compagnie des Mines de Courrières avait même été récompensée, lors de l'exposition universelle de 1900, pour... la sécurité de ses installations. Les images publiées dans cet article proviennent du Centre Historique Minier de Lewarde (Nord), le plus grand musée de la mine en France, qui a réalisé un travail historique important sur la catastrophe du 10 mars 1906, à partir de ses archives. Ce travail a donné lieu à une publication "10 mars 1906, Compagnie de Courrières : enquête sur la plus grande catastrophe minière d’Europe", disponible à la boutique du musée (192 pages, prix : 24 €). Pour plus d'informations : www.chm-lewarde.com