Depuis l'annonce du ministre de la Santé et des Solidarités de rendre possibles les visites des résidents des Ehpad dans leur chambre, des informations contradictoires sont parvenues aux directeurs des Ehpad. La confusion de trop pour cette directrice d'Ehpad associatifs.
Les visites dans les chambres sont-elles de nouveau autorisées dans les Ehpad ? C'est la question à laquelle ont été confrontés les directeurs d'Ehpad durant la semaine du 1er juin. Alors que le ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, a annoncé un assouplissement des conditions de visite dans les chambres en Ehpad, les directives transmises ne sont pas allées pas dans ce sens dans un premier temps avant un revirement en fin de semaine, ce qui a eu le don d'exaspérer cette directrice d'Ehpad associatifs dans le Pas-de-Calais qui a préféré témoigné sous l'anonymat.
À compter du 5 juin, les conditions de visite en #EHPAD seront à nouveau assouplies. Si la situation sanitaire locale le permet, les visites doivent pouvoir reprendre.
— Olivier Véran (@olivierveran) June 1, 2020
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Lorsqu'elle a appris que les conditions de visite en Ehpad seraient assouplies, cette directrice était heureuse et enthousiaste : "J'ai commencé à dire à quelques résidentes qu'on allait pouvoir rendre possibles les visites ce week-end. "Auparavant, celles-ci n'étaient pas réalisables humainement dans l'établissement malgré un premier assouplissement annoncé lors du déconfinement : "Pour garantir une visite par semaine à chacun des résidents de notre établissement, il nous faut mobiliser deux personnes à temps plein, car ils doivent accompagner un à un les résidents dans les salles communes puis désinfecter à la fin de chaque visite. On ne pouvait pas se le permettre le week-end."
Tous les résidents pourront-ils recevoir leurs proches dans leur chambre ?
Mais l'annonce du ministre de la Santé de visites possibles sans condition (auparavant, seuls les résidents présentant des contre-indications médicales ou des difficultés de mobilité significatives pouvaient recevoir des proches dans les chambres) devait permettre de changer la donne. Selon le communiqué de presse diffusé le lundi 1er juin : "Sont ainsi désormais autorisées : [...] les visites en chambre de deux personnes à la fois maximum, lorsque les conditions de sécurité le permettent."
La joie a été malheureusement de courte durée : "Le mardi après-midi, je suis tombée à terre quand j'ai reçu les nouvelles directives du ministère relayées par l'Agence régionale de Santé (ARS). Les visites en chambre n'étaient de nouveau plus autorisées. Quand je l'ai annoncé à l'une des résidentes que j'avais prévenue du contraire, elle s'est mise à pleurer. À la seconde résidente, c'est moi qui me suis effondrée, j'étais en pleurs devant elle."
Finalement, un visiteur ayant contacté l'ARS l'avertit le jeudi 4 juin que les visites dans les chambres sont bien de nouveau possibles depuis l'annonce d'Olivier Véran. À son tour, elle appelle l'ARS qui relève l'erreur de communication et la prévient que les directives vont être modifiées. C'est finalement le vendredi, dans la matinée, que la directrice reçoit les directives en accord avec les propos du ministre de la Santé. "Mais en attendant, dans quelle position on met les directeurs d'Ehpad ? On est ceux qui disent non aux proches et aux résidents alors que le gouvernement dit oui."
Ces changements nous mettent toujours dans une posture délicate.
"Je suis écoeurée", reconnaît-elle. Ce craquage manifeste la saturation qui l'habite après des mois à essayer de gérer au mieux l'épidémie dans ses trois établissements malgré des directives souvent contradictoires : "Ces changements nous mettent toujours dans une posture délicate. On a des consignes et le lendemain, elles changent. Depuis le début de la crise, je n'ai fait que de la gestion administrative du coronavirus."
Elle en veut à l'Agence régionale de santé (ARS) et au département qu'elle estime avoir été "inexistants. Ma correspondante de l'ARS a mis un mois après le début du confinement pour me contacter et me demander comment ça se passait dans mes établissements. Les autres correspondants, quand on les appelait, ils nous disaient qu'ils n'étaient disponibles qu'un jour sur deux du fait du télétravail. On est en situation de crise, mais plus personne n'est là."
Un accompagnement de l'ARS qui a "augmenté"
Ce propos a surpris l'ARS, contactée par nos soins : "C'est sensiblement le contraire, l'accompagnement de l'Agence a même augmenté durant cette période."
Dans un mail, l'Agence a tenu à rappeler que "hors période de crise et a fortiori depuis le début de la crise, l'agence est joignable par téléphone et par mail 24h/24, et 7 jours sur 7 en semaine, en astreinte le soir, la nuit et le week-end. L'ensemble des modalités de saisies de l'ARS est connu par les établissements et les services médico-sociaux. [...] Depuis le début de la crise, les équipes en charge de médico-social ont été joignables sans aucune interruption via la cellule de crise ou via les services habituels en charge du suivi des établissements."
L'ARS ajoute : "Dès le 14 mars, [...] il a été demandé aux directeurs d'Ehpad de la région de remonter quotidiennement la situation au sein de leur établissement. Depuis le début de la crise, tous les établissements touchés par des cas positifs ont fait l'objet d'un suivi individualisé par les médecins et personnels administratifs de l'Agence. Chaque Ehpad de la région fait l'objet d'un appel régulier pour faire un point de situation et identifier les éventuelles difficultés et réponses à apporter. Lors de ces appels, sont notamment abordés les sujets relatifs aux besoins en renfort RH, les équipements de protection individuels, l'articulation avec les établissements de santé, les recommandations transmises, ..."
Les Ehpad ne sont pas des mouroirs.
Mais ce revirement autour des visites dans les chambres a été la goutte de trop pour la directrice d'Ehpad. "On en prend plein la tête depuis des années. J'ai des équipes qui ont été là, je suis tellement fière de ce qu'on a fait, mais tout ce qu'on a entendu, ce sont les morts dans les Ehpad alors que dans mes trois établissements, je n'ai eu aucun décès. Les Ehpad ne sont pas des mouroirs. On n'y travaille pas par hasard. C'est un métier de partage à tous les niveaux, on a juste envie de faire plaisir aux résidents et de les accompagner au mieux."